La République est en vacances. Après le dernier conseil des ministres ce vendredi 2 août, les ministres partent pour deux semaines de congés. Les parlementaires, eux, ont regagné leurs circonscriptions dès la semaine dernière. Après avoir voté un dernier projet de loi : la modification de l'élection des conseillers de Paris, en vue des municipales de 2014.
Encore un texte d'élus pour les élus ! Dès le début du mois de septembre, il sera à nouveau question de légiférer sur eux : la loi sur le cumul des mandats, déjà votée par l'Assemblée, arrive au Sénat. De même que la loi sur la transparence de la vie politique et de lutte contre les conflits d'intérêts, riposte du pouvoir à l'affaire Cahuzac, qui n'a toujours pas fini son laborieux parcours parlementaire.
C'est peu dire que le sort des élus a occupé l'exécutif et les parlementaires au cours des derniers mois. Au risque de braquer les projecteurs sur tous leurs conservatismes. Et d'accréditer l'idée d'un décalage avec les préoccupations des Français, alors que la France est en récession et que 2014 s'annonce comme une année électorale à hauts risques pour la majorité, avec les municipales et les européennes.
Il y a eu le psychodrame des lois sur la transparence post-affaire Cahuzac, marquée par la fronde de certains parlementaires contre la publication des patrimoines, à commencer par le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone. Voté à l'Assemblée (mais édulcoré par rapport à la version originale, avec un dispositif boiteux de consultation en préfecture), le texte a été vidé de sa substance au Sénat au terme d'obscures tractations de couloir. Il a été à nouveau confirmé par l'Assemblée puis le Sénat juste avant la pause estivale, avec une concession, modeste : la peine de prison d'un an prévue en cas de divulgation non autorisée de la déclaration de patrimoine d'un élu a été supprimée, mais pas les 45 000 euros d'amende qui vont avec.
À la rentrée, il repassera une dernière fois devant l'Assemblée nationale. Mais d'ores et déjà, malgré les avancées du texte, notamment sur les conflits d'intérêts, de nombreux Français risquent de ne retenir qu'une chose : la frilosité de sa classe dirigeante, qui enfante dans la douleur un texte, par ailleurs atténué, dont elle semble ne pas vraiment vouloir.
Le Sénat examinera aussi en septembre le texte sur le cumul des mandats (l'interdiction de cumuler un mandat de parlementaire avec un mandat exécutif local). La bataille s'annonce homérique. Bien que le texte ne doive finalement s'appliquer qu'en 2017, et non dès les municipales comme le souhaitait le PS, les radicaux de gauche et apparentés, sans qui la gauche n'a pas la majorité au Palais du Luxembourg, ont promis de mener une guerre de tranchées contre cette promesse de François Hollande. Et de nombreux sénateurs socialistes ne sont guère convaincus. À coup sûr, c'est à nouveau le conservatisme de certains de leurs élus que les citoyens vont retenir de cette séquence – même si eux-mêmes plébiscitent parfois les cumulards en votant pour eux, un des paradoxes de la vie politique française.
Les lois sur la décentralisation poursuivent leur chemin législatif. Il est, lui aussi, laborieux. Au Sénat, les “Marseillais” ont bataillé contre la création des métropoles, rétablies à l'Assemblée. Le texte revient donc au Sénat en septembre. Arrivera ensuite un deuxième volet sur les compétences économiques des régions, puis un dernier volet après les municipales de 2014. On sera pourtant loin de l'« acte III » de la décentralisation promis par François Hollande : le texte initial a été découpé en trois morceaux et toutes les collectivités pourront finalement continuer à tout faire. Face aux oppositions tous azimuts (et souvent contradictoires) des barons PS qui tiennent les associations d'élus, François Hollande a reculé.
Par ailleurs, plusieurs textes concernant le personnel politique ont été votés ou vont l'être cet automne.
En décembre 2012, c'était une loi sur le nombre maximal de sièges dans les communautés de communes, entrée en vigueur au 1er janvier 2013 pour pouvoir s'appliquer aux prochaines municipales.
Au printemps, les députés ont voté, malgré l'opposition farouche du Sénat, la suppression du conseiller territorial dû à Nicolas Sarkozy et l'instauration pour l'élection des conseillers généraux (rebaptisés “conseillers départementaux”) de candidatures en binômes (un homme-une femme), afin d'augmenter le taux de femmes élues dans les assemblées départementales (14 %). Épisode marqué par une hallucinante série de propos machistes sur les bancs de la droite.
La réforme implique désormais une profonde refonte des cantons : le nombre de conseillers généraux restant le même (4 055), il faut les diviser par deux et les redécouper. Ce choix est critiqué par la droite et les centristes, qui dénoncent avec une élégance relative une « loi MST : manipulation, saucissonnage et tripatouillage » ou déplorent la future sous-représentation des cantons ruraux. À gauche, on déplore plutôt l'absence de proportionnelle. La droite a déjà annoncé qu'elle déposera des « dizaines de milliers » de recours contre les décrets en cours d'élaboration au ministère de l'intérieur afin d'empêcher la tenue des élections aux conseils généraux de 2015.
La représentation des Français de l'étranger a également été modifiée. Et plusieurs textes concernant les élus ou les collectivités sont encore dans les tuyaux : une loi « visant à faciliter l'exercice par les élus locaux de leur mandat » (contrepartie de la loi sur le cumul des mandats, elle vise à créer un vrai statut de l'élu), une autre destinée à créer un « conseil national » chargé de contrôler les normes aux collectivités territoriales (déjà votée par le Sénat), ou encore une loi « portant diverses dispositions relatives aux collectivités locales ».
De toute évidence, certains de ces textes devaient être votés vite pour respecter le calendrier électoral, ou pour l'aménager : les élections départementales et régionales, prévues à l'origine en 2014, année déjà chargée avec les municipales et les européennes, ont été ainsi repoussées d'un an. Ils obéissent parfois à l'urgence, comme les lois de transparence, élaborées à la hâte après l'affaire Cahuzac. Ils sont souvent la traduction de choix de modernisation de la vie politique, comme la suppression du conseiller territorial, la promotion de la parité dans les conseils généraux, ou le non-cumul des mandats. Ils correspondent aussi à une tentative du pouvoir de rétablir le lien sérieusement endommagé entre les citoyens et leurs élites, politiques en premier lieu.
Si certains textes vont moins loin que prévus, et si leur examen vire souvent au chemin de croix, c'est d'ailleurs souvent en raison du conservatisme d'une bonne partie de la classe politique, comme le montrent les avanies des lois transparence, la levée de boucliers suscitée par le non-cumul des mandats ou les reculs sur la décentralisation.
Mais c'est aussi, et peut-être surtout, en raison du goût de la synthèse de l'ancien premier secrétaire du PS qu'est François Hollande, et de son extrême sensibilité aux arguments des élus locaux, qu'il ne veut surtout pas brusquer. À la différence de Nicolas Sarkozy, qui les méprisait, Hollande, archétype du grand élu local français (énarque, longtemps député, ancien président du conseil général de la Corrèze), les choie. Au point qu'un député PS l'a récemment dépeint en « conseiller général ». Si la remarque de Pascal Cherki, en mars dernier, a choqué ses camarades socialistes sur la forme, beaucoup étaient d'accord sur le fond.
Sa très grande attention aux arguments des élus lui fait même parfois commettre d'authentiques erreurs politiques, comme lorsqu'il a évoqué l'automne dernier la « liberté de conscience » des maires au sujet du mariage des couples de même sexe, juste après avoir discuté avec l'UMP Jacques Pélissard, président de l'Assemblée des maires de France.
« Sarkozy jetait les élus par les fenêtres, Hollande et Ayrault les ont fait revenir et les consultent à tout-va. Mais le peuple là-dedans ? Zéro... », s'indigne un socialiste. De fait, à l'approche d'échéances électorales cruciales, le risque est de donner aux citoyens le sentiment que le pouvoir a d'abord des préoccupations secondaires, alors que des résultats se font attendre sur les terrains économiques ou sociaux.
Le risque est aussi de confirmer l'impression que le pouvoir de François Hollande s'appuie d'abord sur la technocratie de la République, les corps constitués et les élus. Tout en négligeant la société civile ou encore l'adresse directe aux citoyens via le référendum, tabou absolu de la République “hollandaise”.
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