C’est ce qui s’appelle faire l’impasse. À quelques jours de la rentrée, la mairie de Marseille s’est décidée à lever le voile sur ce qu’elle a préparé dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires qui s’applique dans toutes les villes cette année. Et la réponse tient presque en un mot : rien. La réforme a eu beau monopoliser depuis deux ans le débat politique sur l’école, Marseille – deuxième ville de France – n’a tout simplement rien prévu pour le passage de la semaine à 4,5 jours. Au risque de provoquer une rentrée cauchemardesque.
« On fera une bonne rentrée scolaire malgré les conditions défavorables qui nous sont imposées », a tenté de minimiser le maire UMP Jean-Claude Gaudin, lors d’une conférence de presse ce 25 août. La mairie a choisi de s’inscrire dans le décret dérogatoire de Benoît Hamon, avec un temps d’activités périscolaires regroupé sur le vendredi après-midi. Elle ne proposera aucune activité pour l’instant et même aucune solution alternative de garde des enfants.
Le vendredi, les parents marseillais sont donc invités à reprendre leur enfant à 11 h 30 ou 13 h 30 après la cantine. Quelques centres de loisirs seront certes ouverts pour faire de la garderie, mais rares seront les familles pouvant en bénéficier compte-tenu de la très faible capacité d’accueil dans cette ville qui n’a jamais investi ce secteur. À titre d’exemple, dans les 2e et 3e arrondissements, la maire PRG Lisette Narducci a d’ores et déjà prévenu que, dans son secteur, seules 500 places seraient disponibles pour 7 000 enfants.
L’organisation du mercredi s’avère tout autant acrobatique. Aucune jonction n’est assurée entre la fin de l’école, à 11 h 30, et l’ouverture des quelques centres aérés à 13 h 30, et il n’y aura de toutes façons pas de cantine. Aux parents de se débrouiller. La mairie a bien évoqué le principe d’une garderie entre 11 h 30 et 12 h 30, assurée par des enseignants volontaires, mais là encore l’improvisation paraît totale. « Les enseignants n’ont jamais été consultés à ce sujet », précise Sébastien Fournier, représentant du Snuipp pour les 13e et 14e arrondissements. « Mais c’est la stratégie de Gaudin. Si ça ne marche pas, on pourra toujours dire que c’est la faute des enseignants ! »
Du côté des parents, une certaine incrédulité domine. « Ils ont eu deux ans pour mettre en place cette réforme. C’est complètement irresponsable et scandaleux », estime Jean-Philipe Garcia, président de la FCPE 13.
Séverine Gil, présidente du mouvement des parents d’élèves de l’enseignement public, confie pour sa part que beaucoup de parents marseillais ne sont toujours pas au courant des modalités de cette rentrée, puisque dans les écoles l’organisation théorique de la semaine (voir ci-dessous) qui continue d’être affichée porte la mention pour le vendredi après-midi : « activités périscolaires ». « Alors qu’en réalité, il n’y a rien ! s’étrangle-t-elle. Quand je leur explique que ça va durer pendant des mois, certains parents n’y croient pas, ils continuent de penser que la mairie ne peut quand même pas faire ça. Il y a des parents qui risquent de se faire virer de leur boulot mais ils s’en foutent. C’est une honte. »
La ville a bien annoncé qu’elle mettrait progressivement en place des activités le vendredi mais sans s’engager sur aucune date précise. Dans le métro marseillais, s’étalent donc, en cette veille de rentrée, des affiches pour recruter des animateurs. Il faut dire que la ville n’a lancé son appel à projet auprès des associations que mi-juillet avec une obligation de réponse avant le 8 août quand la plupart des grandes villes avaient déjà bouclé leurs projets depuis des mois.
Le bras de fer engagé par Jean-Claude Gaudin sur cette réforme explique en grande partie le cafouillage actuel. Après avoir demandé pendant des mois un nouveau moratoire d’un an pour appliquer la réforme, alimentant la fronde des maires de droite à la veille des municipales, son équipe s’est finalement résolue à déposer un projet d’organisation au mois de mai. Un projet, sans surprise, retoqué par le rectorat puisqu’il restait sur la semaine de quatre jours… Mais qui a permis au maire réélu de jouer la victime « du sectarisme du gouvernement » tout en annonçant une hausse des impôts locaux pour financer la réforme.
Car c’est l’autre point qui ulcère les Marseillais. Gaudin, en en faisant porter la responsabilité sur le seul gouvernement, qui ne compense qu’en partie le coût de la réforme et encore de façon provisoire, a annoncé que la réforme coûterait 22 millions d’euros, un chiffre qui laisse pour le moins perplexe. « Comment peuvent-ils annoncer cela puisqu’ils n’ont pas de projet ? Elle ne coûte rien leur réforme. Zéro », s’agace la présidente du Mouvement des parents de Marseille. « La seule chose qu’ils ont payée, c’est une étude réalisée par le cabinet KPMG pour interroger les parents par fax et internet. Et cela a été un fiasco puisqu'ils n'ont eu que 2 000 réponses. »
Le chiffre avancé par la ville fait aussi un peu sursauter l’élue PS Annie Lévy-Mozziconacci qui rappelle que l’Association des maires de France a estimé le coût de la réforme à 150 euros par enfant et par an, ce qui ferait pour une ville comme Marseille, qui compte 74 000 élèves du premier degré, un grand maximum de 10 millions d’euros. Avec un financement de l’État de 6,7 millions d’euros cette année. « Et encore, précise l’élue, la ville a fait ses projections sur l’hypothèse que seuls 40 000 enfants s’inscriraient aux activités périscolaires. »
Interrogée par Mediapart, l’adjointe à l’éducation Danielle Casanova réplique qu’il ne faut pas oublier tous les coûts induits par la réforme, comme « les frais de chauffage des écoles le mercredi matin qui coûtera un ou deux millions d’euros par exemple ». « À ce niveau, on n’est même plus dans l’amateurisme, c’est vraiment de l’irresponsabilité », fulmine l’élue d’opposition Annie Lévy-Mozziconacci, qui estime que la ville paie des années de désintérêt pour tout ce qui touche à la jeunesse.
Pour assurer une montée en charge progressive des futures activités périscolaires – dont on ne sait rien à ce jour, l’appel d’offres de la ville étant des plus sommaire –, la ville doit encore recruter 3 000 détenteurs du Bafa (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateurs). « Nous n’en avons aujourd’hui que 350. La preuve que tout cela n’est pas politicien, c’est que les associations qui ont répondu à notre appel d’offres ont beaucoup de mal à en trouver », précise l’adjointe à l’éducation de la ville.
« Aujourd’hui, Gaudin découvre que seules 90 écoles sur 440 sont adossées à un centre de loisir mais la faute à qui ? », interroge Annie Lévy-Mozziconacci. Dans quels locaux se dérouleront à terme les activités périscolaires ? Mystère. « Il faudra que les référents de la ville pour les activités périscolaires (il y en aura un par école) négocient avec les enseignants pour qu’ils acceptent de laisser leur classe », prévient Danièle Casanova qui reconnaît que cela ne sera « pas simple ». Un euphémisme alors que la majorité des enseignants se sont prononcés contre l'utilisation de leurs classes.
« Il y a quand même énormément d’associations à Marseille qui auraient pu proposer des activités intéressantes. Elles n’ont jamais été consultées », regrette de son côté Séverine Gil. « C’est vrai qu’il y aura des difficultés à la rentrée, on ne le nie pas, admet Danièle Casanova, mais c’est précisément pour cela que nous voulions un report de la réforme. Maintenant qu’il nous faut la mettre en place, nous allons faire en sorte de proposer quelque chose de qualité. Nous allons notamment contrôler le casier judiciaire au deuxième degré (accessible aux administrations qui emploient des personnes en contact avec la jeunesse - ndlr) de tous les animateurs afin de rassurer les parents. » Pas sûr que cela suffise. Des blocages d’école sont déjà prévus pour la rentrée.
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