Les parlementaires PS contestant la ligne sociale-libérale de François Hollande ne retiennent plus leurs coups. Proche lieutenant de l'ancienne première secrétaire du PS Martine Aubry et coanimateur de l'« Appel des 100 » prônant une réorientation de la politique économique et sociale, Jean-Marc Germain estime que le gouvernement Valls-2, expurgé des voix dissonantes (un gouvernement « de clarté », a dit Manuel Valls mardi soir sur France 2), « ne reflète pas la majorité qui a élu François Hollande en juin 2012 ». Et il promet une « régression démocratique » si le débat y est désormais interdit. Germain regrette par ailleurs « le symbole » de la nomination de l'ancien banquier Emmanuel Macron au ministère de l'économie.
Votera-t-il la confiance au gouvernement Valls ? Pour l'heure, le député des Hauts-de-Seine élude : « Je ne suis pas dans une situation de divorce, mais s'il n'y a pas de débats on peut aller dans une impasse. » Les « frondeurs », dit-il, restent dans la majorité. Mais ils refuseront « de se laisser enfermer dans ce choix binaire qui nous est proposé à chaque début de séquence : soumettez-vous si vous voulez éviter l'apocalypse. » Pas question donc de se laisser intimider par les « menaces de dissolution », une « décision du seul président de la République ». Alors que certains ministres proches de Hollande envisagent désormais de dégainer le 49-3 (débat sans vote) ou de gouverner par ordonnances, Jean-Marc Germain entend, comme ses collègues, revaloriser le Parlement. Il confirme que Martine Aubry va « s'exprimer prochainement », mais que « la conquête du pouvoir n'est pas son sujet ».
Mediapart.- Le gouvernement « Valls-II » vous satisfait-il ?
Jean-Marc Germain.- Le choix des équipes est de la responsabilité du président et du premier ministre. Ce que nous souhaitons, c'est un remaniement de la politique économique menée, plus équilibrée entre l'offre et la demande, faisant plus de place aux attentes sociales. Le gouvernement ne reflète pas cette réorientation. Je regrette le départ des ministres qui portaient cette attente : Arnaud Montebourg, Benoît Hamon, Aurélie Filippetti.
Leur départ n'est pas une bonne nouvelle : un gouvernement doit débattre, y compris de manière publique, dès lors que des décisions ne sont pas prises. La soustraction du gouvernement de ceux qui portaient ces débats économiques essentiels est un regret. C'est de mauvais augure. Par ailleurs, que les ministres s'engagent désormais à ne plus avoir de débats est très étrange. C'est une régression démocratique forte. En temps de guerre, on pourrait comprendre cette nécessité. Mais une démocratie en temps de paix fonctionne par l'intelligence collective, le débat au gouvernement, au Parlement, dans la société civile. Nous sommes déterminés à mener notre travail parlementaire, comme c'est le cas dans toute démocratie. Le vrai rendez-vous sera à l'automne (lors du vote du budget pour 2015)
La nomination d'Emmanuel Macron au ministère de l'économie est-elle une provocation ?
Je ne connais pas Emmanuel Macron. C'est d'ailleurs bizarre, alors que j'ai été depuis deux ans rapporteur au Parlement de lois importantes (par exemple l'accord interprofessionnel sur l'emploi, ANI). Je respecte sa personne, mais je regrette le symbole que cette nomination représente. La mainmise de la finance a écrasé l'économie, empêché son développement. Mettre au ministère de l'économie et de l'industrie quelqu'un qui, par son parcours, l'incarne, n'est pas opportun. Si j'avais été président de la République ou premier ministre, je n'aurais pas fait ce choix.
Espérons juste que, désormais, les ministres en face de nous auront de vrais pouvoirs. Ils nous expliquaient ces derniers mois qu'ils n'avaient pas de marge de manœuvre, que tout était déjà décidé plus haut. Les décisions ne peuvent pas se prendre dans un grand bureau à l'Élysée, cela voudrait dire que le Parlement ne sert à rien : dans ce cas, c'est un système technocratique et ce n'est pas possible.
Manuel Valls se rend ce mercredi 27 août à l'université d'été du Medef. Une négociation entre les syndicats et le patronat va débuter en septembre sur les seuils sociaux, et pourrait donner lieu à une loi. Le gouvernement veut aussi assouplir le travail dominical. Les vannes des réformes d'inspiration sociales-libérales sont-elles ouvertes ?
S'il nous est proposé de supprimer les seuils sociaux, je voterai contre ce texte. Des études de l'Insee montrent qu'il n'y a pas ou très peu d'impact sur l'emploi, au mieux quelques centaines. Renoncer à des droits sociaux sur la négociation collective, sur les salaires, la formation, le dialogue économique pour un effet nul sur l'emploi, cela n'a aucun sens. Le PS s'est d'ailleurs exprimé contre. Ce n'est pas parce que le président de la République soumet un texte que je dois le voter sans réfléchir. Quant au travail dominical, la loi nous offre toutes les possibilités d'organiser ce qui est nécessaire pour le tourisme, l'alimentation et aussi protéger les salariés. Il peut y avoir des aménagements, mais pas de reculs sociaux. Si c'est le cas, je m'y opposerai de manière claire et déterminée.
Le gouvernement a-t-il toujours une majorité à l'Assemblée nationale ?
En tout cas, l'affichage et sa composition ne reflètent pas la majorité qui a élu François Hollande en juin 2012. Il n'y a pas les Verts, l'aile gauche du PS en est absente. Les aubrystes, qui ont fait 44 % à la primaire socialiste, ne sont pas représentés. Patrick Kanner (le nouveau ministre des sports, président PS du conseil général du Nord) n'est pas un aubryste. C'est un proche de Pierre Mauroy, il n'a jamais été dans les clubs de Martine Aubry. D'ailleurs, personne ne le connaissait avant de découvrir sa biographie. Le sujet des aubrystes, ça n'est pas d'être au gouvernement, mais que la politique économique, sociale et sociétale menée soit la bonne. Nous avons donc à nous organiser, à grossir et à peser sur les choix qui sont faits.
Il n'y aura pas de majorité garantie à chaque texte ?
Je n'en sais rien. Il y a eu une majorité sur les textes précédents, cela peut continuer. Dans les jours qui viennent, nous allons expliquer que la Cinquième République peut fonctionner avec ces différences importantes entre nous, sans qu'il y ait pour autant de divorce entre l'exécutif et sa majorité. Nous sommes tous d'accord sur le redressement dans la justice, pour dire qu'il faut aider les entreprises, et pour considérer que sans politique de l'offre, une politique de la demande, c'est comme arroser le sable. Même François Hollande commence à le dire ! Il y a donc entre nous des controverses importantes sur les sujets économiques et sociaux et sur les dosages, mais personne à gauche ne considère que la droite ferait mieux !
Donc l'idée n'est pas de mettre en minorité ce gouvernement ?
Je n'ai pas été élu pour m'asseoir sur le fauteuil rouge de l'Assemblée et appuyer tout le temps sur le bouton vert. L'idée est de voter ce que nous pensons bon pour le pays. En fait, les choses sont relativement simples : soit nous sommes minoritaires à penser ce que nous pensons et alors nous prendrons date. Nous aurons au moins démontrés aux Français que nous ne sommes pas monocolores à gauche. Soit nous sommes une majorité, et dans ce cas le gouvernement devra procéder par 49-3 (un article de la Constitution qui permet l'adoption d'un texte sans vote) s'il persiste dans sa ligne, ou accepter nos amendements s'il veut évoluer.
Je ne souhaite pas une dramatisation avec une menace de dissolution sur chacun des textes ou des votes importants. C'est pourtant ce qui s'est passé depuis le mois d'avril (lire ici). La menace d'une dissolution n'a pas à être brandie à chaque vote, lors du budget, lors d'un vote de confiance. Si on ne vote pas la confiance, comme dans toute démocratie digne de ce nom, le premier ministre composera un gouvernement qui peut la recueillir.
Manuel Valls va demander la confiance au Parlement « en septembre ou en octobre », ce que la Constitution ne l'oblige pas à faire. La voterez-vous en l'état ?
Nous ne souhaitons pas nous laisser enfermer dans ce choix binaire qui nous est proposé à chaque début de séquence : soumettez-vous si vous voulez éviter l'apocalypse. Nous refusons cet enfermement sous la contrainte. Nous avons une ligne de politique économique très claire que nous jugeons essentielle pour la réussite du gouvernement et du pays. Sur cette ligne-là, nous verrons combien nous sommes.
Mais diriez-vous que votre vote n'est pas acquis, ou qu'il l'est de toutes façons parce que vous appartenez à la majorité ?
Non. Rien ne nécessite que tel ou tel vote soit acquis. Je ne suis pas dans une situation de divorce, mais s'il n'y a pas de débats, on peut aller dans une impasse : quelques hommes ne peuvent pas traiter tous les problèmes de ce pays sans faire appel à l'intelligence collective des parlementaires, des syndicats, du patronat, de la société civile. Si jamais il devait y avoir une dissolution, ce serait une décision du seul président de la République, que rien ne l'obligerait à prendre puisque les autres possibilités existent dans nos institutions. Il ne souhaite pas le faire, nous non plus. Mais ce scénario ne doit pas être brandi comme une menace qui empêche de débattre sereinement. D'ailleurs, prétendre avoir la majorité alors que le vote des parlementaires est obtenu sous contrainte n'est pas une bonne chose, ni pour le président de la République, ni pour le premier ministre.
Plaidez-vous pour un congrès rapide du PS ?
Oui, je suis favorable à un congrès. La carte d'identité du PS est difficile à définir tant qu'il n'y aura pas eu de débat sur la politique économique et sociale. On pourrait l'organiser en avril, mai ou juin 2015, suffisamment en amont des élections régionales.
François Hollande souhaite pourtant le repousser le plus tard possible.
Il est illusoire de croire qu'après des régionales qui ne s'annoncent pas triomphales, il y aura au premier semestre 2016 un congrès de pure formalité désignant à nouveau François Hollande comme notre candidat à la présidentielle. Un congrès d'orientation politique, on ne l'évitera pas, en 2015 ou 2016 : autant qu'il arrive au moment défini dans les statuts du parti, c'est-à-dire à mi-mandat.
Montebourg et Hamon deviennent-ils des leaders possibles pour ce parti ?
Attendons qu'ils expriment leurs intentions. Mais ils devront rassembler bien au-delà de ce qu'ils ont porté politiquement jusque-là. Pour l'heure, je tire de l'expérience espagnole la possibilité de voir émerger des têtes nouvelles dans un congrès sur une ligne politique de gauche décomplexée. Pedro Sanchez, le nouveau leader du PSOE (le parti socialiste de l'ancien premier ministre José Luis Zapatero, qui a gouverné le pays de 2004 à 2011), a défendu un programme totalement de gauche, avec une génération nouvelle (lire notre article). Inconnu il y a trois mois, il a réussi à être majoritaire, à redonner du crédit à son parti. Ils étaient très bas sous la direction de leur ancien dirigeant, Alfredo Robalcaba, qui était un peu le Manuel Valls de Zapatero.
Sanchez, pour l'instant, semble réussir, y compris en récupérant des voix de gauche qui s'étaient « perdues » chez Podemos, mouvement de contestation sans débouché politique. Cette expérience est instructive, et peut-être annonciatrice d'un renouveau au sein du PS. Ce ne sera peut-être pas au congrès de 2015 ou 2016, ce sera peut-être après la présidentielle de 2017, mais tôt ou tard cela arrivera.
Le PS a-t-il d'ores et déjà perdu la présidentielle de 2017 ?
Non. Mais un autre chemin était possible : celui du rassemblement du PS, des Verts et au-delà. Ce n'est pas si difficile de rassembler la gauche. Cet été, certains de nos amendements ont été votés par les radicaux, les écologistes, les communistes. Ils prônaient l'arrêt des aides aux entreprises sans contreparties, et un équilibre différent entre le soutien massif aux entreprises et le progrès social par le soutien au pouvoir d'achat et l'investissement public. Sur cette ligne-là, on réunit assez large à gauche. C'était le moment de le faire.
Martine Aubry va bientôt prendre la parole. Que doit-elle dire selon vous ?
Elle ne souhaite pas être dans le commentaire, ni donner des bons et des mauvais points, ni revenir sur la composition du gouvernement. Elle dira ce qu'elle pense devoir être fait dans les trois ans qui viennent, ce qu'elle pense bon et utile pour le pays, comme elle l'a fait l'an dernier par une tribune appelant à une « nouvelle renaissance ». Elle considère que nous sommes à un tournant du quinquennat. Nous étions jusqu'ici dans la phase de mise en œuvre des 60 engagements présidentiels, quoi qu'on pense des lois votées pour les mettre en œuvre. Désormais, nous entrons dans une autre phase, où il est nécessaire de redéfinir ce qu'est le « redressement dans la justice », cette page politique relativement blanche. Cela concerne le parti et ses grands dirigeants comme Martine Aubry. Elle souhaite aussi s'exprimer sur le modèle de société dans lequel nous voulons vivre. Mais elle parlera sur le fond, en s'extrayant des questions de personne, afin qu'on écoute ce qu'elle dit. La conquête du pouvoir n'est pas son sujet.
Donc elle n'est pas en « conquête du pouvoir», mais pas non plus retranchée sur son Aventin lillois ?
Elle veut être utile à son pays. Compte tenu du fait qu'elle n'est ni présidente de la République ni premier ministre, cela signifie éclairer les choix que le pays doit prendre, de façon non conflictuelle.
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