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Emmanuel Macron: la gauche classique est une «étoile morte»

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Emmanuel Macron à Bercy, c’est la consécration de la ligne économique choisie par François Hollande depuis son arrivée à l’Élysée. Il est un des inspirateurs du « pacte de responsabilité » annoncé en janvier dernier. Son parcours est en lui-même symbolique : énarque brillant, ardent défenseur de la « gauche moderne » à mille lieues de celle qui serait, dixit l’ancien secrétaire général adjoint de l’Élysée, arc-boutée sur ses « repères classiques » et les « statuts », il est aussi passé par la banque d’affaires chez Rothschild.

Deux ans et demi après le discours du Bourget où l’adversaire de François Hollande était la finance, cette nomination sonne comme une ultime clarification de la politique menée par l’exécutif. Mais pas seulement pour le symbole. Aussi sur le fond.

Emmanuel Macron et Arnaud Montebourg lors de la passation de pouvoirs mercrediEmmanuel Macron et Arnaud Montebourg lors de la passation de pouvoirs mercredi © Reuters

Il y a un an, alors qu’il était encore conseiller de l’Élysée, Mediapart avait longuement rencontré Emmanuel Macron pour l’interroger sur la nature du « hollandisme ». Il avait, à cette occasion, défendu la nécessité de « repenser les objets » de la gauche et le « socialisme de l’offre », pour une « gauche des possibles », plus qu’une gauche « des statuts ». Voici le verbatim de cet entretien (lire également la boîte noire en pied de cet article).

Sur les « réflexes de gauche »

« Nous sommes de facto entrés dans une période faite de plus de contraintes, où notre modèle se fissure de toutes parts : parce que la contrainte financière, européenne et politico-sociale nous comprime de toutes parts. On ne peut plus présenter la gauche comme l’extension infinie des droits. La gauche classique, c’est être pour l’extension des droits, comme entre 1997 et 2002 (sous Lionel Jospin, ndlr) avec la CMU, les 35H ou le Pacs.

Aujourd’hui encore, parce que nous sommes en temps de crise, dans un moment de transition, la gauche se crispe sur ses objets. Et ses repères sont très classiques. Quand on est de gauche, on est contre l’expulsion des étrangers et pour le pouvoir d’achat des Français. Les yeux fermés, j’aurais pu dire la même chose il y a 5, 10 ou 15 ans – ce n’est pas un truc moderne et il n’y a pas d’approche d’ensemble.

Le pouvoir d’achat, c’est la rencontre d’un salaire et d’un coût de la vie. Si on dit qu'il faut systématiquement augmenter les salaires, soit c’est l’État qui paie – et l’endettement, qui étouffe l’économie française, continue à courir. Soit ce sont les entreprises qui évoluent dans un monde ouvert, dans lequel elles délocalisent déjà des activités en raison d’un coût du travail trop élevé. Si être de gauche, c’est trépigner en disant « Je suis pour le pouvoir d’achat des Français », alors honnêtement c’est une politique qui dure six mois. On se fera plaisir mais cela n’ira pas très loin.

L’idéologie de gauche classique ne permet pas de penser le réel tel qu’il est. Il nous manque des outils – il faut le reconnaître. La gauche n’a pas assez repensé ses objets. »

Le « socialisme de l’offre »

« Ce qu’on appelle de manière un peu vieillotte le "socialisme de l’offre", c’est faire attention à la répartition de la charge entre les différents acteurs de l’économie. Nous voulons préserver le modèle social français, et notre politique ne doit pas se faire au détriment des salariés. Mais on reconnaît aussi la nécessité d’avoir un moteur dans l’économie. Et ce moteur, c’est l’entreprise.

Ce "socialisme de l’offre" suppose donc de revisiter un des réflexes de la gauche, selon lequel l’entreprise est le lieu de la lutte des classes et d’un désalignement profond d’intérêts. Elle l’est pour partie – c’est ce que nous corrigeons avec le droit du travail et le droit social. Mais elle n’est pas que cela : sur le plan économique, elle est un alignement de forces. La bataille n’est pas à mener au sein de l’entreprise, mais pour la conquête de nouveaux marchés et de nouveaux clients. Plus une entreprise française aura la capacité à capter de la valeur ajoutée et de la croissance, plus elle pourra la redistribuer. Si on reste dans un critère classique de lutte de classes, et donc de division de la collectivité humaine dans l’entreprise, alors on continuera à creuser l’impasse dans laquelle on se trouve.

Notre politique économique comporte aussi une politique industrielle. Dans notre socialisme de l’offre, ou de la production, il y a des choix macroéconomiques mais aussi un vrai volontarisme politique. On essaie de passer des contrats avec les parties en présence ; on essaie d’orienter leur action. C’est par exemple le cas avec les 34 plans industriels (lancés en 2013 par Arnaud Montebourg, aujourd’hui remplacé par Emmanuel Macron). »

Sur la « gauche moderne » : des statuts aux capacités

« Je crois qu’il y a vraiment une voie que nous sommes en train de fait de suivre, qui n’est ni cette espèce de réflexe de gauche pavlovien qui consiste à mal revisiter la lutte des classes, ni cette espèce de libéralisme à tout crin qui consiste à dire qu’il faut que le capitaliste puisse faire des profits pour être heureux et que s’il est heureux et libre, il sera bon pour l’économie. Cette inflexion a du mal à dire son nom mais elle change des repères classiques de la gauche sans pour autant être sur le terrain de la droite.

L’axe idéologique, c’est de rendre la société plus juste mais aussi plus forte. Nous voulons aller vers une France plus en maîtrise de son propre destin, plus indépendante de l’extérieur qu’elle ne l’est aujourd’hui pour faire et assumer ses choix ; plus inscrite dans la mondialisation ; plus ouverte, moins statutaire en son sein, qui laisse plus de chances aux individus ; un pays où l’on aurait accru « l’égalité des possibles » pour reprendre la formule d’Éric Maurin.

La gauche moderne est celle qui donne la possibilité aux individus de faire face, même aux coups durs. Elle ne peut plus raisonner en termes de statuts. La société statutaire où tout sera prévu va inexorablement disparaître. Il y aura donc des moments difficiles avec l’histoire de la gauche parce que cela supposera de revenir sur des certitudes passées, qui sont, à mes yeux, des étoiles mortes. »

BOITE NOIREJoseph Confavreux et moi-même avons rencontré Emmanuel Macron il y a un an, dans le cadre d'une enquête intitulée L'impossible définition du « hollandisme ». Notre entrevue avait duré un peu plus d'une heure et elle avait été enregistrée. Dans le cadre de notre article, paru en octobre 2013, Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de l'Elysée, avait accepté d'être cité pour quelques citations qu'il avait relues.

Nous avons estimé que sa nomination à Bercy justifiait d'en publier de larges passages, pour illustrer les réflexions et les prises de position d'Emmanuel Macron.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI


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