Outre la rentrée politique hexagonale, c'est une forte semaine européenne qui a débuté ce lundi 25 août. Avec, dès mardi, un sommet à Minsk, en Biélorussie, qui rassemble les présidents russe et ukrainien et des dirigeants européens. Puis, samedi matin, François Hollande doit recevoir à l'Élysée les dirigeants sociaux-démocrates du continent, dont le président du conseil italien Matteo Renzi, en amont du conseil européen qui se tient à Bruxelles le même jour.
Ce conseil est crucial: les postes de haut représentant aux affaires étrangères, de président du conseil européen et de président de l'Eurogroupe doivent être attribués et les discussions vont se poursuivre sur la répartition des postes au sein de la nouvelle commission. Selon le calendrier, la formation définitive du nouvel exécutif européen devrait être connue d'ici le 10 septembre. C'est donc une séquence majeure qui s'ouvre après les élections européennes du 25 mai et la désignation de Jean-Claude Juncker à la tête de l'exécutif européen.
Pour l'heure, depuis l'échec du dernier sommet européen, le 16 juillet, les spéculations continuent sur la répartition des postes au sein de la nouvelle commission, alors que la plupart des États, à l'exception de trois, ont présenté officiellement leurs candidats pendant l'été. Au milieu de ce casting où l'on voit revenir un certain nombre de commissaires déjà en poste dans le mandat précédent (voir cette carte interactive réalisée par le site d'informations européennes EurActiv), une certitude se dessine : cette nouvelle commission sera très masculine – seulement quatre femmes, pour l'heure, ont été proposées par leurs gouvernements respectifs. Soit un net recul par rapport à la commission Barroso, qui comptait neuf femmes commissaires.
L’Italienne Federica Mogherini, l'actuelle ministre des affaires étrangères du gouvernement Renzi, fera partie de cette minorité, même si l'inconnue demeure sur ses attributions. Un temps pressentie pour le poste de haute représentante aux affaires étrangères, elle a finalement été écartée semble-t-il en raison de ses positions considérées comme trop pro-russes, bien que Matteo Renzi pousse sa candidate avec insistance. À l'inverse, le Polonais Radosław Sikorski, lui aussi donné favori au départ de la course pour succéder à Catherine Ashton au vu de son expérience (ministre des affaires étrangères depuis 2007, ministre de la défense auparavant), est perçu comme trop farouchement anti-russe. Et son implication dans le scandale des écoutes téléphoniques qui a éclaboussé Varsovie en juin n'a probablement pas joué en sa faveur.
Ce poste des affaires étrangères est évidemment crucial pour déterminer la nature des relations à venir avec la Russie alors que le fossé entre Bruxelles et Moscou n'a cessé de se creuser tout au long de l'été. Mais le risque, à vouloir mettre tout le monde d'accord, est de désigner une personnalité tiède qui aura bien du mal à faire le poids face à Vladimir Poutine.
Nouveauté de cette commission Juncker, et qui va être au menu des discussions samedi à Bruxelles : de nouveaux postes devraient être créés, notamment un vice-président à l'investissement, et probablement un poste de vice-président en charge de la zone euro. Des portefeuilles évidemment très convoités, tout comme la succession de Catherine Ashton ou encore les postes de commissaires touchant à l'économie : affaires économiques, concurrence, marché intérieur, commerce énergie et numérique.
La France, on le sait depuis fin juillet, enverra Pierre Moscovici à Bruxelles. Commissaire au commerce, à l'énergie... ou vice-président à l'investissement ? C'est ce dernier poste que vise l'ex-ministre français, selon le site Euractiv. L'ancien patron de Bercy veut en tout cas une fonction de premier plan, en prise directe avec l'économie. Or sa candidature est loin d'avoir fait l'unanimité à Bruxelles, et elle ne suscite guère d'enthousiasme outre-Rhin. Pierre Moscovici s'était par ailleurs fait remarquer l'an dernier lors d'une réunion de crise consacrée à la crise chypriote où il s'était endormi avant d'être réveillé par Christine Lagarde. L'agence Reuters, qui relate l'histoire, conclut : « L'image du FMI réveillant le plus haut dirigeant économique de la France lors d'une réunion de crise illustre crûment une question qui embarrasse les diplomates : qu'est-il arrivé à la voix de la France en Europe ? »
La voix de la France en Europe, précisément, a bien du mal à percer. Pierre Moscovici « grand commissaire » ou commissaire de second rang, peu importe, au fond : la France ne fait rien pour infléchir l'orientation européenne actuelle face à une politique allemande qui ne semble pas vouloir bouger d'un iota malgré le recul de l'économie allemande au deuxième trimestre (chute de 0,2 % du PIB) et le contexte de contraction généralisée.
C'est l'Italie, finalement, qui avec les annonces fracassantes de Matteo Renzi depuis février et sa présidence semestrielle de l'Union européenne depuis le 1er juillet, cherche à adoucir le tout-austérité : elle propose, entre autres, d'exclure les dépenses en infrastructures du calcul des déficits budgétaires nationaux. Un axe qu'a d'ailleurs réitéré Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne, en visite ce week-end aux États-Unis où, comme le rapportent Les Échos, face à son homologue à la tête de la Fed il a invité les gouvernements européens à « utiliser la flexibilité des règles budgétaires européennes » afin d'engager les réformes structurelles – après avoir pourtant longtemps défendu l'orthodoxie budgétaire. Le chef de la BCE a par ailleurs poussé à développer l'investissement public à l'intérieur de la zone euro.
De fait, la France est déjà en recul sur la scène européenne depuis le début de la présidence Hollande – et ces derniers mois n'ont fait qu'accentuer la tendance. La semaine dernière, l'Élysée a ainsi ravalé, comme l'explique EurActiv, son idée d'un programme d'investissements européen de 1 200 milliards d'euros devant celui, beaucoup plus modeste, de 300 milliards d'euros présenté par Jean-Claude Juncker lors de son discours d'investiture en juillet dernier, et qui en réalité consiste davantage en la mobilisation de fonds déjà existants qu'en un plan de relance.
« La France souhaite s'impliquer dans ce grand chantier de la croissance en Europe », a toutefois insisté Pierre Moscovici la semaine dernière sur le plateau d'iTélé, martelant qu'il fallait « plus d'investissements en Europe », assumant donc un double discours pour le moins surprenant. Car le plan de relance européen initialement lancé par le parti socialiste est bel et bien passé aux oubliettes : il n'est plus défendu, ni par le candidat à la commission, ni par François Hollande qui a affiché le même jour, dans un entretien au Monde, son soutien plein et entier à Jean-Claude Juncker, et en particulier à son plan d'investissement de 300 milliards d'euros.
En recul sur la question de la relance, la France se trouvera en outre, avec un gouvernement fraîchement remanié, en position bien faible pour influer sur les décisions prises à Bruxelles – si toutefois elle ne s'en désintéresse pas complètement. Déjà, sur le plan des relations extérieures, et notamment sur la crise ukrainienne, elle s'est effacée devant la présence allemande qui, cet été, a pleinement occupé le terrain de la diplomatie européenne. L'entretien télévisé de rentrée d'Angela Merkel, ce dimanche, est à cet égard révélateur, et significatif de la dérive de la présidence Hollande : il est presque intégralement consacré à la situation internationale.
Enfin, sur les questions de politique économique, les marges de manœuvre du nouvel exécutif seront sans nul doute très minces. Manuel Valls avait notamment promis de négocier à Bruxelles un report des délais pour réduire le déficit budgétaire afin de ne pas étouffer une croissance déjà atone. Le premier ministre avait prévu à cette fin une tournée européenne dès septembre, avec Berlin pour étape. Mais la chancelière allemande, elle, a les yeux rivés ailleurs. En Espagne, ce lundi, après un week-end marqué par un déplacement à Kiev où elle a réaffirmé son soutien à l'Ukraine, Angela Merkel a de nouveau avancé ses pions en matière économique.
À Madrid, elle a en effet déclaré son soutien à la candidature de l'actuel ministre espagnol des finances à la tête de l'Eurogroupe : une nomination qui vient entériner la poursuite de la politique monétaire menée jusqu'à présent au sein de la zone euro, le ministre de droite Luis de Guindos ayant respecté à la lettre les recommandations de Bruxelles depuis son entrée en fonction, fin 2011. Si l'attribution d'un tel portefeuille à l'Espagne aurait pu renverser la barre, donnant pour une fois du poids aux pays du Sud pris dans la tourmente de la crise de la dette et du tout-austérité depuis 2010 – les fameux « PIIGS » (acronyme signifiant « porcs » en anglais et désignant Portugal, Irlande, Italie, Grèce et Espagne) –, il n'en sera rien : la chancelière a décidé, au contraire, d'adouber un fidèle allié.
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