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Mort d'un Algérien expulsé: la police est gravement mise en cause

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Pourquoi Abdelhak Goradia, 51 ans, est-il mort lors de son transfert vers l’aéroport de Roissy dans un fourgon de police, jeudi 21 août ? Ce ressortissant algérien, sous le coup d’un arrêté ministériel d’expulsion, devait embarquer sur un vol pour l’Algérie jeudi à 21 h 15, à Roissy.

Une source policière a d’abord affirmé à l’AFP vendredi que l'homme, père d’un enfant français de six ans, était mort « d'une crise cardiaque ». « En arrivant à Roissy, les policiers se sont aperçus qu'il était en train de faire un malaise dans le fourgon et, malgré les secours prodigués, il est décédé », avait déclaré le policier. Mais dès le lendemain, un porte-parole du parquet de Bobigny, confirmant une information du Monde, indiquait que « selon les premiers résultats de l'autopsie, la mort avait été provoquée par une asphyxie due à une régurgitation gastrique ». Une information judiciaire pour homicide involontaire contre X... a été ouverte vendredi.

Contacté lundi, le parquet de Bobigny ne veut désormais plus communiquer et renvoie vers le cabinet du ministre de l’intérieur. Dans son communiqué envoyé vendredi, le ministre Bernard Cazeneuve indique simplement souhaiter « que l'enquête judiciaire permette de faire toute la lumière sur les circonstances de ce décès dramatique ».

Plusieurs proches de la victime, qui se sont rendus samedi à l’Institut médicolégal de Paris (XIIe arrondissement), affirment avoir constaté des hématomes sur son visage. Houari Goradia, l’un de ses neveux, décrit ainsi « un gros bleu au niveau du nez, un bleu sous l’œil gauche, des bosses et un creux au niveau du crâne ». « Nous étions derrière une vitre et il avait un linceul jusqu’aux oreilles qu’ils ont refusé de retirer », dit Houari Goradia, 37 ans, qui est apporteur d’affaires à Paris. Selon lui, la sœur et le frère de la victime, qui habitent en région parisienne, entendent se constituer partie civile.

Détenu depuis 2011 pour plusieurs escroqueries à la carte bancaire, Abdelhak Goradia faisait l’objet d’un arrêté ministériel d’expulsion, notifié le 12 août, au motif d’une « nécessité impérieuse pour la sécurité publique », selon son avocat. Le même jour, ce quinquagénaire avait été placé au centre de rétention de Vincennes, à sa sortie de la maison d’arrêt de Châteaudun. Il aurait déjà fait l'objet de deux tentatives d'expulsion, dont l'une le 16 août, auxquelles il s'était opposé. Selon son neveu, le commandant de bord avait refusé de l’embarquer le 12 août, car il était entravé aux mains et aux jambes.

Ce 21 août, Abdelhak Goradia n’était pas inscrit au tableau des départs, d’après des retenus du CRA de Vincennes joints par téléphone. « Ils lui ont dit qu’il avait une visite pour qu’il les suive », raconte Mouelhi Adnen, un Tunisien qui partageait la chambre de l’Algérien au sein du bâtiment 1 du CRA. « Il ne voulait pas partir car depuis la mort de ses parents, il n’avait plus personne en Algérie, toute sa famille vivait en France », dit Ivan Drajic, un retenu serbe au CRA de Vincennes. Arrivé sur le territoire en 1996, Abdelhak Goradia était le père d'un enfant né en France en 2008. Il était séparé de la mère.

Vers 19 heures, le jeudi soir, il a appelé son avocat et sa famille pour les prévenir qu'une escorte allait l'embarquer. Me Sohil Boudjellal a alors pu parler au chef d'escorte « qui m'a dit qu'il ne faisait qu'exécuter un ordre ». Puis le portable de l’Algérien n’a plus répondu. L’avocat et la famille n’ont plus eu de nouvelles jusqu’à ce qu’ils apprennent sa mort le lendemain matin, après avoir passé en vain plusieurs coups de fil en Algérie et au CRA de Vincennes.

« En sortant de la visite au premier étage (au-dessus de l’accueil du CRA, ndlr), un Chinois a entendu des cris, comme une bagarre, mais il n’a pas vu ce qui se passait », explique Ivan Drajic. Ce sont cinq fonctionnaires de la compagnie de transferts, d'escortes et de protection de la police (Cotep) qui auraient embarqué l’homme. « Comme il était assez virulent, les policiers de la Cotep se sont mis à quatre ou cinq pour l’entraver, explique Cédric Caste, du syndicat Unité Police SGP-FO pour la police aux frontières (PAF) de Roissy. Ils ont écarté une lame de rasoir. Ils ont protégé sa tête avec un casque de boxe et l’ont allongé dans le fourgon, entravé aux mains et aux pieds. »

D’après le syndicaliste policier, ce n’est qu’à l’arrivée à l’unité d’éloignement de l’aéroport de Roissy, à 19 h 45, que les policiers « se sont rendu compte qu’il était bleu ». « Les policiers de la Cotep et de l'unité nationale d'éloignement, de soutien et d'intervention (Unesi) ont essayé de le réanimer et ont appelé les secours qui l’ont intubé par le nez, car il avait les voies obstruées. » D’après le ministère de l’intérieur, l’inspection générale de la police nationale était sur place « une heure après la constatation du décès ».

Dans un communiqué, l'Association service social familial migrants (ASSFAM) a souligné que la victime « n'avait jamais fait état de problèmes de santé depuis son arrivée au centre de rétention ». Me Boudjellal, l’avocat de la victime, n’a pas encore eu accès au rapport d’autopsie. « La version de départ est totalement contredite, remarque-t-il. Il n’est pas mort naturellement mais s’est étouffé devant les policiers ou sous l’effet de leurs contraintes. Ce qui suppose des convulsions et une mort atroce. » « Comment peut-on ne pas porter secours à quelqu’un qui s’asphyxie ? » s’interroge l’avocat. « Tout ce qu'on sait est qu'il n'est pas mort de mort naturelle, dit Houari Goradia. On sait comment ça se passe. On attache les pieds et les mains, on met une muselière sur la bouche, on emploie la manière forte... Même à un animal, on ne fait pas ça ! » 

Abdelhak Goradia avait été condamné à plusieurs reprises pour des escroqueries à la carte bancaire. « Avec les récidives, il avait cumulé neuf ans de prison (du fait de la loi sur les peines planchers - ndlr), explique son avocat. Il a fait six ans, il avait travaillé et remboursé les parties civiles. » « Nous savions que la prétendue suppression de la "double peine" sous Sarkozy était une mauvaise plaisanterie et qu’elle reste en vigueur sous la présidence de Hollande », remarque le Réseau éducation sans frontières (RESF).

Un premier recours en référé-liberté avait été rejeté le 20 août par le tribunal administratif de Paris, qui avait estimé que son expulsion ne constituait pas une atteinte « manifestement grave » aux libertés fondamentales. Mais le juge administratif devait se prononcer le 28 août sur un autre recours, cette fois en référé-suspension. Il s’agissait de déterminer s’il était légal ou non d’expulser le père d’un enfant français. D'après son neveu, il était confiant : « On allait le voir tous les jours au CRA : il était en bonne santé, pas en colère, il pensait qu'il allait sortir. » Son avocat affirme avoir envoyé en vain trois fax le jeudi soir, au ministère de l'intérieur, à la direction du centre de rétention ainsi qu'à la préfecture de police chargée de l'escorte pour leur rappeler cette audience. Mais ce type de recours n’est pas suspensif en France.

Selon Cédric Caste, le dossier d’Abdelhak Goradia était « plus que sensible » et suivi de près par la direction centrale de la police aux frontières, le ministère de l’intérieur et la préfecture de police de Paris. « C’est la première fois en vingt ans que je vois un arrêté ministériel au motif d’une nécessité impérieuse de sécurité pour ce type de profil, remarque Me Boudjellal. D’habitude c’est utilisé pour des braqueurs ou des terroristes, pas des petits délinquants non violents. »

En France, les deux derniers cas de décès lors de reconduites remontent à plus d'une dizaine d’années. Ricardo Barrientos, un Argentin de 52 ans, était décédé en décembre 2002 à bord de l’avion qui le ramenait en Argentine, après avoir été maintenu plié en deux par les policiers sur son siège. Mariame Getu Hagos, un Éthiopien de 24 ans, était lui mort en janvier 2003 suite à l’utilisation de la même technique policière. Il avait passé vingt minutes maintenu de force le torse plié, la tête touchant les cuisses, et menotté dans un siège d'avion à la ceinture serrée.

À la suite de ces deux décès, un manuel, publié par Mediapart en 2009 (lire l'article et l'intégralité du manuel ici), avait été mis à disposition des 180 agents de l'unité nationale d'éloignement, de soutien et d'intervention (Unesi), rattachée à la direction centrale de la police aux frontières. Tout en exposant le cadre législatif des « éloignements », ce manuel vise surtout à délivrer des « conseils techniques utiles aux fonctionnaires » afin d'« escorter efficacement les reconduits aux frontières internationales ». Y sont répertoriés les moyens de coercition à leur disposition : les menottes textiles ou métalliques, les bandes velcro et la « ceinture d'immobilisation ».

« Toute forme de bâillonnement est strictement prohibée », précise le manuel, pour tenter de mettre fin à une pratique employée il y a quelques années. À l'aide de schémas et de photographies « en situation », les gestes visant à maintenir la personne expulsée sont explicités. Comme la « régulation phonique » qui consiste en un étranglement et dont l'objectif est de « déstabiliser physiquement » la personne, de « diminuer sa résistance » et de « diminuer ses capacités à crier ». Les risques sont listés : « détresse ventilatoire et/ou circulatoire », « défaillance de l'organisme » et « risque vital ».

Des journalistes refusés à l'entrée du CRA en 2012 © Les Inrocks

Pour protester, une vingtaine des retenus du bâtiment 1 du CRA de Vincennes se sont mis en grève de la faim depuis vendredi. Ouvert en 1995, ce centre est l'un des plus importants de France avec 168 places réparties en trois ensembles. Dans un communiqué, ils réclament la possibilité pour des journalistes de « venir voir les conditions de vie dans le centre » (un accès promis par Manuel Valls en janvier 2014) ainsi qu’une punition pour « les acteurs des violences envers M. Goradia, car ils l'ont tabassé à mort ». « Une partie de la police est très agressive verbalement et fait des provocations, affirment-ils. Ils vont jusqu'à dire des insultes dans le micro. Ils hurlent et font des gestes obscènes. »

L'Afssam a saisi le contrôleur général des lieux privatifs de liberté, qui depuis mai 2014 peut contrôler l'«exécution par l’administration des mesures d’éloignement prononcées à l’encontre d’étrangers». L'association n'a pas accès aux zones de vie du centre de rétention où elle dispose juste d'un bureau. «Nous ne sommes pas non plus dans les fourgons, on ne sait pas ce qui s'y passe», explique Christian Laruelle, son directeur.

Dans un communiqué, la Ligue des droits de l’homme a pour sa part exprimé son « indignation et sa colère ». « Jamais une mesure d’expulsion ne devrait se conclure par la mort d’un homme et ceci engage la responsabilité des policiers mais aussi la responsabilité d’une autorité politique qui, de gouvernement en gouvernement, finit par considérer la mort d’un étranger comme une inévitable bavure collatérale. » RESF a également réagi. « La mort par asphyxie d’un sans-papiers dans le fourgon qui le conduisait à l’avion est révélatrice de la violence des expulsions, même si toutes ne se terminent pas de façon aussi tragique, écrivent Pablo Krasnopolsky et Richard Moyon. Les éventuels antécédents judiciaires de Monsieur Goradia, invoqués ici ou là, sont hors sujet. »

BOITE NOIREUne citation du syndicaliste Cédric Caste a été légérement modifiée : ce sont les policiers de la Cotep et de l'Unesi qui ont prodigué les premiers secours au ressortissant algérien, et non les policiers de la PAF de Roissy, comme d'abord indiqué.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI


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