Bien sûr, il y a les prudences de style. Elles sont classiques dans le discours politique et consistent à soutenir qu’on ne dit pas ce qu’on dit, qu’on n’entend pas ce qu’on entend, et qu’on est parfaitement d’accord, bien qu’on soit en désaccord.
Donc, ce samedi 23 août, à la veille de son discours à Frangy-en-Bresse, Arnaud Montebourg, très courtois, ne dit pas que le gouvernement et le président de la République se sont plantés dans les grandes largeurs en appliquant une austérité qui a échoué, et qui reste exigée, au nom de l’Europe, par le pouvoir allemand. Alors que François Hollande disait la semaine dernière : « Je ne me place pas dans un face-à-face avec l’Allemagne », son ministre de l’économie répond seulement : « Il faut hausser le ton… Nous ne pouvons plus nous laisser faire. Si nous devions nous aligner sur l'orthodoxie la plus extrémiste de la droite allemande, cela voudrait dire que le vote des Français n'a aucune légitimité et que les alternances ne comptent plus. Cela signifierait que, même quand les Français votent pour la gauche française, en vérité ils voteraient pour l'application du programme de la droite allemande ! »
De même, Arnaud Montebourg est parfaitement d’accord avec le premier ministre, Manuel Valls, qui a qualifié d’« irresponsables » ceux qui s’opposent à la politique économique du gouvernement. Leurs rapports sont « amicaux et trempés dans la franchise », précise Montebourg, mais lui, les frondeurs, donc « les irresponsables », il les invite chez lui, ce dimanche, à la fête de la Rose. Et comme si les faits ne parlaient pas d’eux-mêmes, il donne un cours de démocratie à son ami Manuel : « Dans la Constitution, le Parlement a la responsabilité de contrôler l'action du gouvernement et non l'inverse. Chacun exerce ses responsabilités. Les députés prennent les leurs. »
Ainsi, le ministre de l’économie n’est pas d’accord avec la politique économique voulue par le Président et par le Premier ministre, mais il n’envisage pas, ou pas encore de sortir du gouvernement. D’ailleurs François Hollande n’a rien entendu qui fâche, et répond, depuis l’océan Indien, qu’il « souhaite convaincre les partenaires européens de donner une priorité à la croissance, et que tous ceux qui portent cette idée sont bienvenus », donc bravo Arnaud, je te reçois cinq sur cinq. Et Manuel Valls, depuis Matignon, a déclaré qu’il n’a « rien entendu de choquant », que « la donne européenne est en train de changer », et qu’il attend d’Arnaud Montebourg « un engagement total sur la croissance et l’emploi”.
À ce niveau de clarté dans l’audition, le professeur Tryphon Tournesol est battu à plates coutures.
Au-delà des prudences diplomatiques, il y a donc bien un problème politique énorme au cœur même du pouvoir. Problème avec une majorité qui n’a cessé de s’étioler depuis deux ans et demi, au point de se réduire au seul Parti socialiste et à son annexe radicale, lesquels se divisent à leur tour. Un mouvement qui atteint désormais le gouvernement. Nombre de ministres le disent de plus en plus ouvertement, et Montebourg vient d’entrer dans une dissidence officielle qui devrait le conduire à se faire virer, ou à démissionner.
Il ne sera pourtant pas renvoyé, sauf surprise, et rien ne dit qu’il s’en ira. Le faire partir serait pour Manuel Valls un échec politique plus définitif que de faire la sourde oreille. Quant à la démission, Montebourg l’a si souvent brandie qu’on dirait une balle à blanc.
Passé l’échauffement des discours et des réactions, l’épisode a donc toutes les chances de ne pas changer grand-chose en dépit du climat, de plus en plus irrespirable. Ainsi va la Cinquième République. Un pouvoir réputé fort peut aller jusqu’au bout de sa faiblesse, avec un ministre important qui contredit son président, et continuer quand même, comme si de « Rien » n’était… « Rien », comme le nota Louis XVI dans son journal de bord, le 14 juillet 1789.
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