Si les écologistes aiment répéter combien leur pensée est complexe, leur positionnement sur l’échiquier politique semble l’être devenu tout autant. À l’occasion de la mise en scène du quarantième anniversaire de la première candidature écolo à la présidentielle (celle de René Dumont en 1974), lors de son université d’été à Bordeaux, Europe Écologie-Les Verts (EELV) a souhaité faire le point sur sa proximité avec la gauche et le centre-droit.
Le débat s'est tenu samedi 23 août et son titre, L’écologie est-elle de gauche, de droite, ou ailleurs ?, en a fait tiquer plus d’un. Autour de la table, pas de représentants du PS au pouvoir – pas invités – mais le député de l’aile gauche socialiste, Pouria Amirshahi (l’un des animateurs de la gauche durable et des “frondeurs”), l’ancienne ministre d’Alain Juppé Corinne Lepage (Cap 21) et un ancien dirigeant des Verts, Yann Wehrling, devenu porte-parole du MoDem. Ainsi que l’une des porte-parole du Front de gauche, Clémentine Autain. L’UMP Nathalie Kosciusko-Morizet et l’UDI Chantal Jouanno avaient décliné l’invitation.
Au terme de deux heures de débat, alors que l’ancienne ministre Cécile Duflot semble vouloir désormais incarner l’une des options possibles d’une alternative au cœur de la gauche, son mouvement paraît bien moins déterminé et peu au clair sur ses perspectives stratégiques.
Yann Wehrling a su malicieusement jouer du trouble qui semble parcourir les rangs militants d’un mouvement en crise d’identité, après l’échec consommé d'un partenariat politique entamé avec Martine Aubry et dissous avec François Hollande. Appelant « à se projeter dans la modernité plutôt que dans le passé », Wehrling a lancé à ceux qui raillaient son choix d’avoir rejoint François Bayrou, désormais soutien d'Alain Juppé : « C’est bien d’avoir des ministres écolos, c’est mieux d’avoir un président. »
Avec son air juvénile et discret, celui qui est devenu conseiller de Paris, élu sur les listes de NKM, appuie là où ça fait douter. Nombreux furent à Bordeaux les cadres écolos à laisser entendre, souvent sur le ton de la blague mais pas que, combien « Juppé sur l’écologie, ça sera mieux que Hollande ». Wehrling enfonce le clou : « Le nouveau premier ministre vient de donner son accord pour qu’une autoroute traverse le Marais poitevin, son prédécesseur avec qui vous étiez au gouvernement incarnait un aéroport inutile, quant au président et à sa vision pro-nucléaire, il ne changera jamais d’avis sur le sujet. »
Et de comparer, sans être démenti, ces deux premières années avec celles du quinquennat Sarkozy, avant que l’écologie « ne commence à bien faire ». « Avec le Grenelle de l’environnement, il y avait une ambiance favorable à l’écologie, et il y a eu plus d’avancées qu’avec Hollande, il n’y a pas photo. » Wehrling a également fait résonner aux oreilles « europécologistes » les expériences de gestion des Grünen avec la CDU ou l’esprit du parlement de Strasbourg, « où le clivage gauche/droite n’a pas la même importance qu’en France ». Selon lui, ses anciens camarades de parti ne devraient plus s’occuper des « étiquettes », mais plutôt se poser la question de « savoir avec qui vous voulez travailler, en fonction des convictions écologiques de chacun, et de ceux qui veulent le plus promouvoir l’écologie ».
Ironie du débat, c’est Corinne Lepage qui viendra nuancer la proposition faustienne de Wehrling, en corrigeant celui qu’elle a côtoyé au MoDem et au parlement européen, où « quand il faut s’attaquer aux lobbies, ce n’est jamais la droite qui le fait ». L’ancienne ministre de l’environnement d’Alain Juppé renvoie dos à dos « les néolibéraux de droite » et « les scientistes de gauche ». Mais elle appelle dans le même temps au pragmatisme et à de « nouvelles synthèses ». « Pour écologiser la société, il faut être attractif et désirable, dit-elle. Les discours sur la décroissance sont inaudibles avec un taux de chômage tel qu’aujourd’hui… » Elle considère que les écologistes doivent davantage s’intéresser et convaincre dans le « monde économique » : « Entre l’économie sociale et solidaire et le Cac 40, il y a quand même autre chose… »
Écoutés par une assistance studieuse et bien moins dissipée que dans le passé parfois houleux des venues d’« écolos de droite » aux journées d’été des Verts, Wehrling et Lepage ont été tout aussi bien accueillis par les deux représentants d’EELV, la secrétaire nationale Emmanuelle Cosse et son prédécesseur, Pascal Durand, devenu récemment eurodéputé. Tous deux ont insisté sur la non-automaticité d’une gauche écologiste.
« Quand on est une minorité en politique, il faut savoir reconnaître qui sont les nôtres, quels que soient les courants », a expliqué Cosse, en citant en exemple le vote interdisant la pêche en eau profonde au parlement européen, qui a échoué à cause des 14 voix des socialistes français. « Sur la régulation bancaire, je préfère largement travailler avec Michel Barnier qu’avec Pierre Moscovici », a renchéri Pascal Durand. Si la conversion à l'écosocialisme du PG a parfois été saluée, le productivisme et les positions pro-nucléaires des communistes, comme l’attachement de Jean-Luc Mélenchon aux Rafale de Serge Dassault, ont aussi été dénoncés.
Dans un parti majoritairement satisfait de ne plus participer à l’exécutif socialiste, la crise d’orientation semble pourtant déboussoler de plus en plus de responsables. « Il ne s’agit pas d’un retour au “ni gauche-ni droite” (ndlr – doctrine des Verts abandonnée au début des années 1990), mais plutôt d’une tentation du “et-et” », estime David Cormand, secrétaire national adjoint d’EELV. La perte d’influence de Cécile Duflot sur le parti, qu’elle dirigea mais qu’elle ne parvient plus à emmener derrière elle aussi massivement, est un autre marqueur des doutes qui traversent le mouvement.
Les représentants de la « gauche classique » ont quant à eux paru un brin décontenancés, s’imaginant en terrain davantage conquis. Le socialiste Pouria Amirshahi a eu beau lancer un « appel à mélanger nos forces militantes et parlementaires pour imposer une vraie transition écologique, une grande réforme fiscale et une nouvelle loi bancaire », la salle l’a écouté d’une oreille distraite, une bonne partie quittant l’amphi pour assister à une autre « plénière »…
Le député PS est toutefois parvenu à répondre à Pascal Durand et à sa comparaison d’une écologie s’affranchissant de la gauche et de la droite, comme les socialistes de la fin du XIXe siècle s’étaient autonomisés des républicains et des conservateurs de l’époque. « Je peux entendre que l’écologie est un intérêt supérieur au-dessus de la droite et de la gauche, a composé Amirshahi. Mais au temps de Jaurès, les socialistes se sont interrogés justement sur leur attachement avec la République. Et ont estimé que ce ne pouvait pas être “Nous et nous tout seuls”, mais “nous en synthèse avec la République”. » Façon de tenter de faire comprendre, en tissant l’analogie, que l’écologie pourrait difficilement se faire sans les valeurs de gauche. Un constat qu’a approuvé du bout des lèvres Emmanuelle Cosse, consentant à reconnaître qu’« il faudra toujours faire attention à ne pas oublier la question sociale au nom de l’écologie ».
Clémentine Autain a tenu enfin à rappeler que « si les écologistes ont quitté le gouvernement, ce fut tout de même à cause de positionnements concrets, bien expliqués par Cécile Duflot dans son livre, sur l’éthique, l’Europe ou les Roms ». Porte-parole d’Ensemble !, la composante écolo-anticapitaliste du Front de gauche, elle a aussi dénoncé certaines « facilités » de langage : « Discutez avec les nouvelles générations de militants et de cadres communistes, ce n’est pas aussi caricatural que ce que vous croyez. Tout le monde au Front de gauche fait beaucoup de progrès … » À la tribune, elle a espéré voir se « réunir le meilleur du mouvement ouvrier avec le meilleur de la novation politique écologique ». Après le débat, elle ne semblait plus vraiment y croire.
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