Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Manuel Valls tente de mettre sa majorité au garde-à-vous

$
0
0

L’Élysée et Matignon ne veulent voir qu’une tête. Après s’être accordés sur les derniers réglages lors de leur rencontre du vendredi 15 août, le président de la République et le premier ministre déroulent, depuis, leur grande offensive de rentrée, multipliant explications et annonces censées répondre à l’urgence de la situation économique. Mais les avertissements aussi tombent sur tous les membres de la majorité qui pourraient être tentés de contester la politique du gouvernement, voire tout simplement dire leur incompréhension devant cette « politique économique aberrante », comme le dit le député Pierre-Alain Muet. « Il n’y a pas d’alternative », a-t-il été répété aux téméraires qui osaient évoquer au moins un débat sur les orientations gouvernementales. Manuel Valls les accusant par avance de tenir des « propos irresponsables ». 

© Reuters

Chacun est prié de serrer les rangs autour du gouvernement et de ne surtout pas émettre la moindre critique, le moindre propos différent. Feu donc sur Cécile Duflot pour avoir rompu la solidarité gouvernementale et critiqué la présidence Hollande. Feu sur les députés « frondeurs » qui osent demander des inflexions dans la politique du gouvernement, mettant en doute les bienfaits de cette politique de l’offre totalement alignée sur le Medef. Dans l’attente d’une université d’été redoutée, Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée, a mis en ligne sur le site du groupe parlementaire une lettre, qualifiée de « stupide et bêtement provocante » par certains élus, pour rappeler aux députés leurs devoirs. « La dérive monarchique de nos institutions est à son comble. Le roi a parlé. Même s’il se trompe, il ne faut pas le dire, il faut nier les chiffres et la réalité. Nous en sommes arrivés au point où le simple fait de parler est considéré comme un acte de déloyauté », constate un élu, consterné par cette caporalisation des socialistes.  

La mise au pas s’applique au sein même du gouvernement. Là non plus, les avis différents ou les simples questionnements ne semblent plus tolérés. Les membres du gouvernement en ont eu une nouvelle démonstration jeudi 21 août.

Une nouvelle réunion gouvernementale se tenait à Matignon. Après un conseil des ministres de rentrée, « totalement éteint » à en croire les confidences de certains, Manuel Valls avait tenu à réunir les ministres et les secrétaires d’État pour mettre tout le monde en ordre de bataille. Le grand thème de la réunion du jour était l’attractivité de la France – un sujet cher aux conservateurs –, illustrée par toutes les mesures que le gouvernement s’apprête à annoncer dès la semaine prochaine.

Ayant arraché une grande partie des attributions du ministère du commerce extérieur pour les ramener au Quai d’Orsay, Laurent Fabius se pique, entre toutes les crises géopolitiques du moment – Irak, Gaza, Ukraine, Libye... –, d’avoir des vues très précises sur le sujet. Au printemps, il s’est prononcé pour une réforme des zones touristiques en France, et l’ouverture des magasins le dimanche, afin de mieux profiter de l’afflux touristique. Relayant les critiques des hôteliers, il a torpillé le projet de hausse de la taxe de séjour prévu par la municipalité de Paris.

Laurent Fabius se sentait donc très à l’aise sur le sujet du jour de la réunion gouvernementale. L’intervention du ministre des affaires étrangères fut longue, très longue, selon certains. Ouverture le dimanche, limitation des zones touristiques, salaires trop élevés, législations et contrôles trop lourds et tatillons, fiscalité, tout y passa, semble-t-il. Un catalogue de critiques que n’aurait pas renié le Medef. Au point que certains participants ont eu l’impression, en l’écoutant, que la mission du gouvernement était plutôt de faire allégeance aux leaders d’opinion mondiaux et de se conformer en tout point à leurs exigences que d’emporter l’adhésion et la confiance des Français.

Compte tenu de son poids politique, de son passé, de son rôle prédominant dans la politique extérieure de la France, la parole de Laurent Fabius pèse très lourd au sein du gouvernement, surtout quand il suit la pente de Matignon et de l’Élysée. Rares sont ceux qui osent donc l’affronter ou le contredire. Cette fois, le ministre des finances, Michel Sapin, s'est pourtant senti dans l’obligation de nuancer, expliquant que les évolutions devaient être équilibrées, qu’il fallait faire preuve de prudence et de mesure.

Quand ce fut à son tour de parler, la ministre de la culture n'a pu s’empêcher elle non plus de contester. D’habitude beaucoup plus effacée, à s’en faire oublier pendant la grève des intermittents du spectacle, Aurélie Filippetti a demandé, puisque le gouvernement en arrivait à ce point, s’il ne fallait pas mieux renoncer tout de suite à faire une politique de gauche, s’il ne fallait pas s’excuser d’être de gauche pour plaire au patronat.

Cela a suffi pour qu'elle s’attire les foudres de Manuel Valls. Comment osait-elle dire cela ? En quoi n’était-ce pas une politique de gauche ? Le clash fut bref mais tendu. Le premier ministre pouvait se montrer d’autant plus sévère que le bilan d’Aurélie Filippetti au ministère de la culture est des plus décevants. Sauvée lors du dernier remaniement ministériel, elle se sait sous surveillance. Quelques confidences sur ses manquements et ses bévues, relayées dans la presse, sonnent comme un avertissement.

Au-delà du malaise latent qui s’installe au sein du gouvernement, ce bref épisode traduit aussi la nervosité du premier ministre sur certains sujets. Si les propos d’Aurélie Filippetti ont fait mouche, c’est que Manuel Valls n’est pas insensible aux critiques des socialistes et de la gauche en général sur ses convictions. À plusieurs reprises, des membres du PS lui ont rappelé qu’il faisait partie de l’aile la plus droitière du parti, qu’il n’avait recueilli que 5,6 % des voix aux primaires socialistes de 2011. Certains, doutant de ses engagements, le soupçonnent même de vouloir liquider la gauche. Un débat qui pourrait s’amplifier dans les prochains mois, alors que le PS pense à son nouveau congrès, avec comme enjeux le contrôle de l’appareil et la ligne future.

Les orientations prises par le gouvernement, lors de cette semaine de rentrée, conduisent à un premier constat. Le pacte qu’avaient scellé Manuel Valls, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon en février pour obtenir l’éviction de Jean-Marc Ayrault de Matignon et son remplacement par Manuel Valls est mort. S’ils avaient encore quelques illusions avant l’été de pouvoir peser sur les choix politiques du gouvernement, les ministres de l’économie et de l’éducation ne peuvent que constater qu’ils n’influencent rien ou pas grand-chose. Manuel Valls est seul au pouvoir.

Arnaud Montebourg a choisi de faire de Benoît Hamon son invité d’honneur lors de sa Fête de la rose à Frangy-en-Bresse (Saône-et-Loire), ce dimanche 24 août, réunion qui marque traditionnellement la rentrée politique du PS. Arnaud Montebourg, selon les confidences de son entourage, s’apprête à tenir un discours très sombre, très dur sur la situation politique et économique de la France. Il y reparlera sans aucun doute de son pacte des trois tiers – une partie des économies pour réduire le déficit budgétaire, une partie pour aider les entreprises, une partie pour redonner du pouvoir d’achat aux Français – qu’il a déjà mis en avant lors de sa grande réunion du 10 juillet. Et après ?

Les deux ministres souhaitent incarner un discours plus à gauche et renouer avec les déçus du gouvernement. Mais que peuvent-ils faire réellement, alors qu’une partie de leurs troupes s’est détournée d’eux, déçue par leur participation au gouvernement ? « Même s’ils ne se l’avouent pas, ils sont dans un corner », relève un observateur. À plusieurs reprises, Arnaud Montebourg a agité la menace de quitter le gouvernement. Mais celle-ci s’émousse à force d’être évoquée et finit par être vue comme une simple incartade sans lendemain. « Je n’en vois aucun sortir du gouvernement. Ils sont bien trop contents d’y être », relève un vieil éléphant du PS.

François Hollande et Manuel Valls n’ignorent rien de ce pouvoir d’attraction des ors de la République. Mais il y a aussi la base, ces élus qui parlent par conviction et qu’on ne peut plus tenir : ils savent qu’ils perdront leur mandat lors des prochaines élections. Pour tenter de rassurer, François Hollande a fait passer le message qu’il fallait attendre le nouveau sommet européen du 30 août. Alors qu’une nouvelle commission s’installe, que la zone euro sombre dans la déflation, la France est prête à faire entendre sa voix, à demander une réorientation des politiques européennes, a-t-on expliqué. Bizarrement, l’argument ne semble pas avoir convaincu. 

BOITE NOIRECet article est le fruit de témoignages recueillis auprès de participants ou de conseillers, ainsi que d'élus socialistes. Tous ont demandé à parler en off.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Avec HSTS, forcez vos visiteurs à revenir en HTTPS sur votre site web


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles