Aller vite, « accélérer », encore. Les mots choisis par François Hollande dans la longue interview qu’il a accordée ce mercredi au Monde pour donner le ton de la rentrée politique paraissent bien galvaudés (l'entretien complet est à lire ici). Depuis son élection en mai 2012, il n’a cessé de les employer pour afficher l’inflexibilité de sa volonté en matière de réformes. Quand bien même le chômage gonflerait chaque mois, que la croissance française n’aurait pas bougé d’un iota aux deux premiers trimestres et que le paysage économique européen serait sinistré (lire notre analyse sur le risque déflationniste).
En réalité, à défaut de convaincre sur la possibilité de faire vite en matière économique, le président a décidé d’appliquer à lui-même cette méthode incantatoire. En présentant dès mercredi matin son programme de rentrée sur le site du quotidien, il a tenté de couper l’herbe sous le pied des critiques qui enflent chaque jour un peu plus, dans sa majorité au premier chef.
Neuf jours avant l'université d'été du PS à La Rochelle, il lance un appel à l’unité dans son propre parti. Alors qu’Arnaud Montebourg recevra son collègue Benoît Hamon dimanche lors de sa traditionnelle Fête de la Rose de Frangy-en-Bresse, il oppose une fin de non-recevoir aux revendications du flanc gauche des socialistes, et par extension, aux revendications des radicaux de gauche et surtout des Verts (Le Nouvel Observateur publie le même jour les bonnes feuilles d’un livre de l’ex-ministre écologiste Cécile Duflot, où elle critique fortement le chef de l’État). Mais puisqu’il a déjà joué sa carte maîtresse en faisant voter le pacte de responsabilité, qui ne devrait pas redresser la situation économique du pays, Hollande est contraint de multiplier les annonces. Ou les effets d’annonce.
- Le cap ne bouge pas
Mis à part quelques phrases sur la Syrie et l’Irak – il a confirmé pour la première fois que la France avait livré des armes aux rebelles syriens et souhaité l’organisation d’une « conférence sur la sécurité en Irak et la lutte contre l'État islamique » –, François Hollande a concentré l’essentiel de son message sur l’état politico-économique de la France. Avec un seul objectif affiché : maintenir le « cap ». Le président n’entend pas modifier sa politique. « J’ai fixé un cap, c’est celui du pacte de responsabilité. L’objectif est clair : moderniser notre économie en améliorant la compétitivité et en soutenant l’investissement comme l’emploi. Aujourd’hui, ce n’est pas parce que la conjoncture est plus difficile (…) que nous devons y renoncer », tranche-t-il.
La recette présidentielle pour faire face aux difficultés économiques ? « Nous devons aller plus vite et plus loin », et « accélérer les réformes ». Un message que Hollande répète depuis qu’il est élu, rappelait malicieusement un montage vidéo du Huffington Post il y a un mois, et que les médias s’empressent de relayer, note Arrêt sur images.
- Plus de pouvoir d’achat ?
Le 6 août, le Conseil constitutionnel a mis un sacré bâton dans les roues de l’exécutif, en censurant la seule mesure pensée comme une aide aux particuliers dans le pacte de responsabilité : la réduction des cotisations salariales pour les bas salaires. Il s'agissait de réduire le montant des cotisations sociales des salariés au Smic de 520 euros par an (avec une réduction dégressive pour les salaires allant jusqu'à 1,3 Smic). En 2015, la mesure aurait dû toucher plus de 5 millions de salariés et 2 millions de fonctionnaires, pour un allègement fiscal total de 2,5 milliards d'euros. Après cette censure, le gouvernement s'était engagé à remplacer la mesure par un dispositif « de même ampleur pour parvenir au même but ».
François Hollande a annoncé deux réformes censées remplir ce rôle, qui seront mises en œuvre dès la prochaine loi de finances. Première mesure : « rendre plus juste et plus simple le barème de l'impôt sur le revenu notamment pour les premières tranches, c'est-à-dire pour les contribuables modestes et moyens ». Sous quelle forme, et dans quelle proportion ? Interrogé sur ce point à la sortie du conseil des ministres, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll a éludé, en affirmant : « C'est maintenant au premier ministre d'annoncer clairement le périmètre et le niveau. »
L'autre réforme est d’une tout autre complexité, puisqu’elle « fusionnera la prime pour l'emploi et le RSA activité », pour « favoriser la reprise du travail et améliorer la rémunération des salariés précaires ». L'explication détaillée des enjeux de cette réforme est à lire ici. La prime pour l’emploi (PPE), instaurée en 2001 sous Lionel Jospin, est un crédit d'impôt qui vise les salariés à bas salaires. Son montant moyen est de 434 euros par an, mais le nombre de bénéficiaires baisse chaque année (6,3 millions de foyers fiscaux bénéficiaires en 2012, contre 12 millions en 2008) car son barème est gelé depuis 2009. Son efficacité est contestée, notamment parce qu’elle conduit à un « saupoudrage » important des aides versées et parce qu’elle est touchée par les particuliers avec un an de décalage par rapport à leur salaire.
La PPE devrait donc disparaître, et être fusionnée avec le RSA-activité, qui bénéficie lui aussi aux Français modestes, mais seulement à 700 000 d’entre eux, pour un total de 1,5 milliard d'euros. « Dans cette fusion », l'objectif est de « faire en sorte que dans ce dispositif aujourd'hui décalé, pas clair, on mette de la clarté, de la simplification et on y ajoute de la justice », a déclaré Stéphane Le Foll, qui a assuré que des « clarifications seront apportées dans les jours qui viennent ».
Et il y a de quoi apporter des précisions, tant le dispositif du RSA est décrié. Par exemple, moins d’un tiers des Français ayant droit au RSA-activité le demandent… La fusion PPE-RSA était proposée dès juillet 2013 dans un rapport signé par le député socialiste Christophe Sirugue. Et pourtant, jusqu’à ces tout derniers jours, même la garde rapprochée du président ne semblait pas croire à cette option : dans un article publié mardi dans Le Monde, le ministre des finances Michel Sapin confiait que cette piste n’était « pas forcément celle qui a le plus de chances de prospérer ».
Les opposants de Hollande au sein de la majorité sont loin d’être plus emballés. « Je pense que ça reste un dispositif peu lisible et précaire », indique ainsi l’un des leaders de l’aile gauche, le député européen Emmanuel Maurel. Pour ce « frondeur », l’idéologie selon laquelle « la collectivité publique rémunère le travail peu qualifié à la place de l’employeur » n’est pas adaptée. Sans compter qu’une telle fusion risque de faire de nombreux perdants, qui toucheront moins d’argent, ou qui seront exclus du dispositif. C’est ce que ne s’est pas privé de rappeler l’ancien ministre du budget UMP Éric Woerth, qui se félicite sur twitter de cette « bonne mesure ».
Ls fusion #PPE #RSA est une bonne mesure ...qui fera de nombreux perdants..— Eric Woerth (@WoerthEric) August 20, 2014
« Sur la fiscalité, le mieux c’est d’aller progressivement vers une fusion entre la CSG et l’impôt sur le revenu. C’était un des grands engagements de Hollande, mettre un grand impôt progressif », rappelle Maurel. La sénatrice de Paris Marie-Noëlle Lienemann partage cette position, pas franchement convaincue par les annonces du chef de l’État : « D’une certaine façon c’est “circulez il n’y a rien à voir” et plus il le répète, plus il sera seul. Il n’a même pas consulté les chefs de groupe des différents partis qui lui ont permis d’être élu (Verts, PC, PS). »
La CFDT « approuve que soit mis fin à la superposition de plusieurs dispositifs générateurs d'effets de seuil incompréhensibles pour les salariés, de difficultés d'accès et facteurs d'injustice », mais estime dans un communiqué qu'on « ne peut en rester là ». Le syndicat rappelle que « les aménagements des barèmes sur l’impôt sur le revenu (...) ne peuvent masquer l’absence de réforme fiscale globale ».
Jean-Claude Mailly, secrétaire général de Force ouvrière, a quant à lui déclaré à l'AFP craindre qu'on « entre encore dans un système d'usine à gaz ». « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? » s'est-il interrogé, regrettant que la proposition de FO d'un coup de pouce au Smic, « qui aurait été beaucoup plus simple », n'ait pas été retenue par l'exécutif.
- Libéralisations annoncées
Le président annonce que le ministre de l’économie Arnaud Montebourg présentera en septembre « un projet de loi sur le pouvoir d'achat ». Lequel s’attaquera en réalité à divers aspects du droit du travail et du commerce, comme avait commencé à le faire entendre le ministre lors de son grand show de juillet à Bercy. Sous la bannière de la lutte « contre le maintien de certaines rentes et privilèges », Montebourg est chargé de « faire baisser les tarifs » de certaines « professions réglementées », terme fourre-tout qui regroupe huissiers, kinésithérapeute, notaires, architectes, auto-écoles ou plombiers. Cette annonce est dans la droite ligne des préconisations du rapport de l’Inspection générale des finances dont Mediapart a révélé l’intégralité, et de la stratégie d’Arnaud Montebourg ces dernières semaines.
Ce n’est pas tout, puisque le texte de loi devrait aussi comporter « des mesures de simplification des normes d'urbanisme » et, éternel serpent de mer dont Hollande semble décidé à se débarrasser, des mesures pour adapter « la réglementation sur l'ouverture des magasins le dimanche ». Le logement est aussi dans le viseur : dans ce domaine, « j'ai demandé au premier ministre de présenter un plan de relance », annonce le président, précisant qu’« il touchera à la fiscalité, aux procédures et aux financements ».
- Fermeté face aux frondeurs
Outre ces quelques annonces, dont on voit mal comment elles pourraient inverser la tendance économique du pays, François Hollande s’exprime surtout en direction de sa majorité, se démenant pour éviter la désagrégation en cours. « Le respect entre le gouvernement et sa majorité doit être mutuel », affirme-t-il. « Il n'y a pas d'échappatoire. Le jugement en 2017 sera à la fois porté sur le président, le gouvernement et la majorité. C'est ensemble que nous réussirons. » « Les choix ne peuvent être rediscutés à chaque fois qu'un indice trimestriel est connu. La constance, c'est la confiance », déclare-t-il encore.
Interrogé sur son message aux socialistes à une semaine de l'université d'été du PS, celui qui en fut onze ans le premier secrétaire le met en garde contre la division. « Qu'ils restent unis. C'est la condition première pour convaincre », martèle-t-il. Et en réponse à ceux qui mettent ouvertement en doute ses choix, il ferme la porte à tout changement de perspective. « Toute godille ou tout zigzag rendrait incompréhensible notre politique et ne produirait pas de résultats », balaie-t-il, sur le même ton que son premier ministre dans le JDD trois jours plus tôt.
Seule concession accordée aux sceptiques de sa famille, le chef de l'État a légèrement mis de l’eau dans son vin sur l’objectif des 3 % de déficit budgétaire, en indiquant que « le rythme de la consolidation budgétaire en Europe doit être adapté à la situation exceptionnelle que nous traversons ». Il a aussi reconnu qu’une partie des difficultés économiques européennes, et notamment la faiblesse de la demande, est le fruit de « la poursuite de politiques d'austérité en Europe ». Une analyse partagée depuis des années par de nombreux économistes, le prix Nobel Joseph Stiglitz le rappelant encore en juin sur Mediapart.
Pour autant, les « frondeurs » n’auront pas droit à plus de considération. Hollande considère que le problème de l’offre est tout aussi prégnant en France, et se félicite que la France n'ait jamais emprunté à des taux aussi faibles sur les marchés financiers. « N'en déplaise aux grincheux, c'est la preuve du sérieux de notre politique. C'est aussi ça, la crédibilité. » Fermez le ban.
Une position qui fait enrager les socialistes les plus critiques. « Je ne vois aucun changement dans sa stratégie, déplore Marie-Noëlle Lienemann. Il dit qu’il n’y aura pas d’évolution dans sa politique européenne, alors qu’il fait mine de découvrir que l’Europe n’a pas de croissance. Par ailleurs, il ne peut pas dire que la politique européenne est mauvaise alors qu’il applique la même en France. » « On nous dit qu'il faut être solidaire de l’exécutif, mais j’aimerais bien que l’exécutif prenne aussi le temps de nous écouter », grince pour sa part Emmanuel Maurel.
Certes, Maurel et Lienemann jouent ici leur partition classique. Mais ils sont rejoints par d’autres figures moins attendues, comme le député Pierre-Alain Muet, ancien conseiller économique de Lionel Jospin. « Mon désaccord est profond, il porte sur l’inadéquation des politiques actuelles avec la réalité, explique-t-il dans une interview à Mediapart. Je ne fais pas partie de la gauche du parti, mais l’économiste que je suis est réellement effaré, non seulement par la politique, mais par le discours qui est tenu, qui d’un point de vue économique est faux. »
- Des seuils sociaux bien polémiques
Tout à sa volonté affichée d’unir les socialistes, le président a tout de même maintenu un objectif dont le premier secrétaire du PS s’est publiquement démarqué à plusieurs reprises. Comme il l’avait annoncé le 14 juillet, Hollande a indiqué sa volonté de lever « des verrous » et de « réduire les effets de seuil » dans la représentation des salariés dans les entreprises. Ce sont les seuils sociaux qui fixent des obligations légales, comme la création d’un comité d'entreprise à partir de 50 salariés. Le Medef souhaite supprimer ces seuils, mais les syndicats et une partie de la gauche sont vent debout pour les maintenir.
Des négociations entre partenaires sociaux doivent s'ouvrir à la rentrée. Si rien n’aboutit, le gouvernement passera par la loi. Pourtant, mardi 19 août, veille de l’interview de Hollande, le dirigeant du PS Jean-Christophe Cambadélis avait jugé dans Libération que « la remise en cause des seuils sociaux n'est ni urgente ni pertinente ». Il avait déjà donné son avis le 5 juin sur RTL, rappelant que le bureau national du PS ne soutenait pas « cette expérience ».
- Peu de moyens face au patronat
À une semaine de l'université d'été du Medef, le chef de l'État expose aussi sa fermeté face aux chefs d’entreprise. Il rappelle que « le pacte [de responsabilité], c'est un contrat dans lequel chacun doit respecter ses engagements » et que « le gouvernement a tenu les siens » en dégageant 40 milliards d'euros sur trois ans pour améliorer la compétitivité des entreprises. Il attend donc que le patronat emploie « pleinement les moyens du CICE pour investir et embaucher, et non distribuer des dividendes ». Mais le gouvernement n’a en réalité aucune prise sur le patronat, qui ne s’est aucunement engagé à créer des emplois. Sur son blog, le dirigeant du Medef Pierre Gattaz ne se prive d’ailleurs pas d'affirmer que, si « le Pacte est la bonne solution », « les 40 milliards de baisse de charges promises sont encore virtuelles puisqu’elles n’interviendront de façon échelonnée qu’entre maintenant et 2017 » et « qu’il faut aller au-delà ».
Cette position a de grandes chances d’être partagée par les banques. Pour les encourager à soutenir l’économie, François Hollande annonce que « des assises se tiendront en septembre avec l'ensemble des établissements financiers pour les inciter davantage à prêter aux PME, pour mieux orienter l'épargne vers l'économie productive ». Sans aucune garantie que les établissement financiers lui tendent une oreille compréhensive.
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