Comment mieux soutenir les travailleurs pauvres ? François Hollande et Manuel Valls ont dû revoir leurs plans après la censure du Conseil constitutionnel. Le président de la République a donc annoncé mercredi, entre autres, la fusion du RSA (revenu de solidarité active) et de la PPE (prime pour l’emploi).
L’idée n’est pas nouvelle – c’est le moins que l’on puisse dire – puisqu’elle apparaît dès l’origine dans le projet du concepteur du RSA, Martin Hirsch, en 2005. Mais la fusion, jugée trop risquée politiquement, avait été abandonnée au moment de la mise en place du dispositif en 2008-2009, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Dans ces conditions, comment François Hollande compte-t-il s’en sortir ? Pourquoi prend-il cette décision maintenant ? Quels seront les gagnants et les perdants ?
Au vu de l’explosion du nombre de travailleurs pauvres en France (7,5 % des travailleurs aujourd’hui), le RSA avait été pensé comme un complément de revenus versé par l’État. Le dispositif devait également inciter les chômeurs à retrouver du travail. Ainsi, quand un chômeur reprend une activité même à très faible revenu, pour 1 euro de gagné, les allocations diminuent de 0,38 euro, permettant ainsi une progression globale du revenu de 0,62 euro.
Seulement, 68 % des travailleurs qui pourraient bénéficier de ce coup de pouce non négligeable (176 euros en moyenne par mois) ne le demandent pas ; bien loin de l’image de la France assistée véhiculée par Nicolas Sarkozy lors de sa campagne électorale.
Le dispositif RSA est ouvert aux personnes âgées de 25 ans et plus. Un RSA jeunes a bien été créé en septembre 2010. Mais les conditions sont si restrictives qu’il ne bénéficie aujourd’hui qu’à 9 000 adultes âgés de 18 à 25 ans.
En tout, moins d’un million de personnes touchent le RSA-Activité (qu’il ne faut pas confondre avec le RSA socle, équivalent de l’ancien RMI, alloué à ceux qui n’ont aucun revenu). En 2010, il avait été calculé que le RSA activité avait permis une baisse modeste de 0,2 point du taux de bas revenus en 2010. Alors qu’en cas de recours intégral à la prestation, le nombre de travailleurs pauvres aurait diminué d’environ 150 000.
La PPE, elle, existe depuis 2001. 6,3 millions de personnes en bénéficient. Elle permet soit de payer moins d’impôts, soit, pour ceux qui n’en paient pas, de toucher un crédit d'impôt, c'est-à-dire une somme d'argent, une fois par an. Le montant annuel moyen versé au titre de la PPE était de 434 euros en 2012.
Il a été reproché à la PPE de « saupoudrer » la dépense publique au détriment de son efficacité. Selon la Cour des comptes, la PPE ne contribuait qu’à hauteur de 3,3 % à la réduction des inégalités de vie en 2008 et, en 2007, seuls 6 % des bénéficiaires sortaient de la pauvreté grâce à son effet.
Les deux dispositifs ont des objectifs proches, qui visent à soutenir ceux qui gagnent moins que 1,3 fois le Smic. Mais ils se complètent mal, se chevauchent, rendant l’ensemble indigeste et opaque. Ils n’ont pas la même temporalité (annuelle contre mensuelle). Ils ne relèvent pas de la même administration (administration fiscale contre CAF). N’ont ni la même assiette, ni la même logique.
Par conséquent, dans les ministères concernés par la réforme, on confirme que l’Élysée partage le constat d’échec dressé sur ces deux dispositifs par le député Christophe Sirugue dans un rapport rendu en juillet 2013 au premier ministre. Interrogé ce mercredi, celui-ci confirme avoir été en contact avec l’Élysée mais sans savoir précisément ce qui sera retenu de sa proposition dans le projet de loi à venir. « Est-ce que tout sera calé sur mes propositions ou est-ce que le projet ne fera que s’en inspirer ? Je n’en sais rien. » Le député rappelle en tout cas que ses préconisations, élaborées avec un large groupe de travail, peuvent être mise en œuvre en six mois.
Martin Hirsch, de son côté, pense également « du bien » de l’annonce. « Le fait de ne pas intégrer la PPE dans le RSA explique les difficultés qu’on a aujourd’hui avec l’un et avec l’autre. Si on en finit avec cette concurrence, ce sera plus simple et l’accès sera meilleur », explique-t-il. En 2009, il avait été estimé que 6 millions de ménages risquaient de perdre la prime pour l’emploi. Pour une perte annuelle moyenne de 500 euros environ. D’où le renoncement.
Cette fois, le risque est moins important. D’abord parce que depuis 2008, la prime pour l’emploi a été gelée. Ce qui fait que mécaniquement, 500 000 foyers de moins la touchent chaque année.
Surtout, l’annonce ne vient pas seule. François Hollande a également fait valoir des changements concernant les barèmes de l’impôt sur le revenu. Ce qui devrait permettre de rattraper un certain nombre de ménages qui perdront la PPE.
Quel pourrait être le nouveau dispositif ? L’idée de Christophe Sirugue est de créer une prime d’activité. Fini le RSA-activité, qui avait un effet repoussoir. « L’amalgame avec le RSA-socle suscitait une stigmatisation frappante », explique le député. Cette fois, les 18-25 ans qui travaillent (hormis les jobs d’été d’étudiants et les apprentis) auraient accès à la prime d’activité. Écarté le distinguo incompréhensible qui faisait que pour la même activité et le même salaire, un jeune de 26 ans touchait plus d’argent que son copain de 24 ans.
Ce serait la CAF, et non l’administration fiscale, qui verserait un complément simplifié, mensualisé à la suite d’une déclaration trimestrielle.
Surtout, et c’est la mesure qui suscite le plus de débats aujourd’hui à l’Élysée, la prime serait individualisée. Autrement dit, on prendrait toujours en compte l’ensemble des revenus d’un ménage pour savoir si une personne est éligible à la prime d’activité. « Si un homme est un travailleur pauvre, mais que sa femme gagne plus de 5 000 euros par mois, on ne va pas la lui verser », fait valoir Christophe Sirugue.
Mais une fois qu’il est éligible, seuls ses propres revenus de salarié sont pris en compte pour le calcul de la prime, qui pourrait être versée à tous ceux qui gagnent moins que 1,2 fois le Smic.
Auparavant, pour le calcul du RSA activité, l’ensemble des revenus du foyer était pris en compte, y compris les revenus des enfants vivant au foyer, rendant les calculs incertains, indigestes, et intrusifs. Martin Hirsch dit aujourd’hui ne pas savoir quelle est la meilleure solution. Christophe Sirugue, lui, en fait une condition incontournable : « Le familial, c’est un dispositif social. Alors que là, la prime est une mesure d’accompagnement du parcours professionnel, qui est un parcours individualisé. »
À l’évidence, la mesure devrait générer des perdants. « Et encore plus si on reste à budget constant », pronostique Évelyne Serverin, directrice de recherche au CNRS, spécialiste des politiques publiques de l’emploi. Des gens toucheront moins qu’avant. On supprime une source de complément de revenus. »
Qui ? Combien ? Dans les ministères concernés, les calculettes tournent à plein régime. Dans son étude, Christophe Sirugue avait identifié les familles monoparentales avec plusieurs enfants comme les grandes perdantes d’une telle réforme. Des mécanismes complémentaires avaient donc été envisagés (augmentation de l’allocation de rentrée scolaire pour ces familles, ou somme forfaitaire versée pour chaque enfant). Est-ce que ce sera le scénario retenu ? Ou serait-ce le début d’une nouvelle usine à gaz ?
Jusqu’à présent, le budget de la PPE était de 2,5 milliards par an. Et celui du RSA Activité de 1,5 milliard. Mais mécaniquement, plus le taux de recours est important, plus l’État doit débloquer d’argent. « Il aurait fallu proposer un système d’automaticité du versement, comme pour la PPE, où il n’y a qu’une case à cocher pour la toucher », explique Évelyne Serverin. Ce n’est toutefois pas le système qu’a retenu Christophe Sirugue, qui table d’ici trois ans sur un taux de recours passant de 32 % (pour le RSA-Activité) à 60%. Si François Hollande veut bien mettre en œuvre son idée.
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