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Derrière l'excellence, l’enseignement des maths en France connaît une crise inédite

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Sur les trois dernières années, près de 1 600 postes d’enseignants de mathématiques proposés aux concours n’ont pas été pourvus. Faute de candidats au niveau suffisant. La session extraordinaire du concours 2014 a même marqué un record, puisque la moitié des postes offerts au Capes de maths sont restés vacants.

Au moment où l’excellence de l’école française de mathématiques est une nouvelle fois célébrée à travers la remise de la médaille Fields au Franco-Brésilien Artur Avila (lire aussi notre série sur la France championne des maths), l’enseignement des mathématiques dans le secondaire connaît, lui, une crise historique. Pour le mathématicien Pierre Arnoux, qui tirait la sonnette d'alarme l'an dernier dans la revue de mathématiques Tangente, la crise actuelle du recrutement dans la discipline s’apparente à rien de moins qu’un « accident industriel ».

L’érosion du nombre de candidats aux concours de mathématiques remonte à plusieurs années. Depuis 2008 et la mise en place de la masterisation – qui a repoussé de deux ans le niveau d'études pour pouvoir se présenter au concours – le nombre d’étudiants inscrits aux concours a commencé à s’effondrer. En 2011, le nombre de candidats au Capes externe avait chuté de 53 %, par rapport à l’année précédente. Le nombre d'admissibles avait lui baissé de 46 %, ce qui avait conduit le jury de l’époque à ne pourvoir que 60 % des postes offerts au concours. Si le ministère expliquait, à l’époque, qu’il s’agissait d’une année de transition, la tendance à la baisse ces dernières années n’a fait que se confirmer. En 2012, le jury d’agrégation de mathématiques avait décidé de démissionner collectivement pour protester devant cette démolition annoncée de la discipline. Malgré la chute du nombre de candidats, pas question pour les jurys de brader les concours qui, rappelaient-ils alors, engagent la qualité de l’enseignement pour quarante ans. Mais la pression est là.

« Les jurys essaient évidemment d’éviter de recruter des candidats totalement démunis de ressources, mais il est certain que ces dernières années, ils ont dû baisser leurs exigences en sélectionnant des candidats dont ils savaient qu’ils auraient ensuite des difficultés à enseigner », admet Luc Trouche, président de la Commission française pour l’enseignement des mathématiques. « Le pari qui est fait est que la formation continue prendra le relais », explique-t-il. Un pari bien risqué, puisque les budgets consacrés à la formation continue des enseignants se sont eux aussi effondrés.

Pour pallier le manque de profs de maths de plus en plus criant, le ministère de l’éducation nationale a eu, ces dernières années, massivement recours à des vacataires. Des personnels très précaires, payés à l’heure, et recrutés à des niveaux pour le moins variables. Autre mesure sparadrap, les rectorats incitent fortement les profs de disciplines scientifiques – physique ou technologie – à assurer les cours de maths. « On ne m’a pas franchement donné le choix », nous confiait il y a quelques mois un prof de technologie de l’académie de Versailles, conscient qu’il était « un peu juste » face à ses élèves de collège.

La crise du recrutement touche certes bien d’autres disciplines, mais les maths sont de loin la plus touchée. Les causes de la désaffection des carrières enseignantes sont connues : la baisse du nombre de postes proposés au concours dans un contexte de réduction drastique des postes dans l’Éducation nationale ces dix dernières années a entraîné mécaniquement une diminution du nombre de candidats. La masterisation, avec un recrutement porté à bac + 5 (sur lequel l’actuel gouvernement est partiellement revenu, fixant la barre à bac + 4) a, là encore, eu des effets dévastateurs sur le recrutement, notamment chez les candidats issus de classes modestes. Enfin, la stagnation des salaires, déjà faibles, les conditions de travail dégradées ont fait le reste.

Luc TroucheLuc Trouche

Facteur aggravant pour les mathématiques, la concurrence avec d’autres débouchés à ce niveau d’études est aussi beaucoup plus forte. « Pour les étudiants de lettres classiques, l’enseignement est pratiquement le seul débouché. En mathématiques, la concurrence avec d’autres carrières, dans l’informatique notamment, est bien plus forte. Par ailleurs, les très bons étudiants en mathématiques, ceux de l’ENS (École normale supérieure) par exemple, préfèrent s’orienter vers la recherche que vers l’enseignement », précise Luc Trouche. Une tendance confirmée par Christophe Hache, maître de conférences à Paris 7 où il est en charge du master Mathématiques et métiers de l’enseignement : « Ce ne sont pas les meilleurs étudiants qui s’orientent vers l’enseignement. Ceux-là choisissent plutôt le master mathématiques financières, qui offre des débouchés attractifs, ou le master mathématiques fondamentales par exemple. » Pour lui, « il faut aussi rappeler que les débouchés après les classes prépa scientifiques sont très nombreux ». La part de candidates, déjà très faible par comparaison avec celle de leurs homologues masculins, aurait aussi eu tendance à régresser selon l’association Femmes et mathématiques

La crise actuelle peut-elle déjà avoir eu une incidence sur le niveau des élèves en maths ? La dernière enquête PISA consacrée aux compétences en mathématiques montrait que la France qui se situait, il y a dix ans, dans le groupe des pays « dont la performance est supérieure à la moyenne », a désormais rejoint les élèves moyens de l’OCDE. 

À la sortie de l’école primaire, où la majorité des professeurs des écoles sont d'ailleurs de formation littéraire, une part préoccupante d’élèves ne maîtrisent pas les fondamentaux en mathématiques. Et la tendance tendrait à s’aggraver. Une récente enquête de la DEPP montrait ainsi un affaissement du niveau des élèves de CE2 en mathématiques entre 1999 et 2013, notamment dû à des lacunes des élèves en matière de « conscience des nombres ».

Un des paradoxes de la situation actuelle est que, au-delà de l’excellence reconnue en matière de recherche fondamentale en mathématiques, la France se distingue, aussi, par la qualité de ses recherches en matière d’enseignement des mathématiques. La mathématicienne Michèle Artigue a été la deuxième Française à recevoir la médaille Félix-Klein, consacrée à la recherche sur l’enseignement des mathématiques. Depuis qu’a été créée cette distinction, en 2003, la France a été le pays le plus primé. « Le problème réside dans l’écart entre ces recherches et leur prise en compte au niveau institutionnel », estime Luc Trouche qui rappelle que la plupart des recommandations émises à l’issue de la grande Conférence nationale sur l’enseignement des mathématiques à l’école et au collège de 2012 sont restées lettre morte.

« Il faut penser les recrutements à moyen terme et ne pas les corréler aux besoins démographiques, ce qui produit inévitablement des effets d’accordéon », estime le président de la CFEM (Commission française pour l'enseignement des mathématiques). Tout comme il juge nécessaire de « mettre en place un réel pré-recrutement des enseignants, comme cela a pu se faire par le passé, lors des précédentes crises de recrutement ».

Le bilan des emplois d’avenir professeur (EAP), lancés par Vincent Peillon et qui permettent aux étudiants boursiers se destinant à l’enseignement de percevoir pendant leurs études 900 euros par mois contre 12 heures de surveillance hebdomadaire dans un établissement scolaire, est encore difficile à évaluer. Selon une étude menée par le directeur de l’Institut de recherche sur l’enseignement des mathématiques de Montpellier, Nicolas Saby, leur impact est pour l’instant presque nul. « Il faut malheureusement constater à la Faculté des sciences de Montpellier que le bilan est maigre. Compte tenu des difficultés soulevées précédemment, aucun étudiant de M1 n’est engagé dans un EAP et seulement une dizaine en L2 et en L3 sont actuellement sur des supports d’EAP. Il faut insister sur le fait que les flux d’étudiants dans ces filières sont historiquement faibles et que l’on ne voit pas d’amélioration à courte échéance »,écrit-il. 

Le vivier des futurs médaillés Fields serait-il menacé ? Les pouvoirs publics, qui se soucient en matière d’éducation généralement plus de la reproduction des élites que du niveau moyen des élèves, semblent commencer à se préoccuper de la question. Le directeur de cabinet de Benoît Hamon doit ainsi recevoir des représentants de la Commission française pour l’enseignement des mathématiques le 12 septembre prochain. Le temps presse.

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