Il est touchant dans sa colère, Michel Sapin. Dans sa tribune au journal Le Monde publiée ce jeudi, on dirait François Hollande. Pas le Hollande de 2014 que le ministre de l’économie paraphrasait récemment devant un parterre d’économistes libéraux en parlant de « Notre amie la finance, la bonne finance ». Non, le Hollande de 2012, celui de « l’adversaire sans visage, sans parti », mais qui pourtant « gouverne », et qui se nommait, chacun s’en souviendra, « le monde de la finance »...
En ce temps-là, le futur président se posait en rempart. Il promettait aux Français de résister, à la finance et à l’Europe. Il s’engageait à renégocier le Traité européen en exigeant un volet social qui donnerait du pouvoir d’achat aux peuples, en relançant l’investissement.
À peine élu Hollande fit les gros yeux, mais pas à Bruxelles. Il désigna les Français. Au nom de la règle des 3 %, il se lança dans une politique de réduction des déficits qui associait l’augmentation de l’impôt et la réduction des crédits, un cocktail d’autant plus sévère que le CICE (crédit impôt compétitivité emploi) amputait le budget d’une vingtaine de milliards et que la croissance était (déjà) en berne. L’idée, d'ailleurs répétée par les gouvernements de droite depuis 2002, était que les allègements de charges relanceraient automatiquement l’économie en libérant les énergies.
Cette politique, amplifiée par le Pacte de responsabilité, et dénoncée par le Front de gauche aussi bien que par la gauche du PS, vient de prouver son « efficacité ». La France est désespérément embourbée. L’inversion de la courbe du chômage n’est pas venue, et ne viendra pas l’année prochaine.
Croissance zéro au second trimestre, après une croissance nulle au premier. C’est le moment choisi par Michel Sapin, tel Archimède en sa baignoire, pour pousser son « Eurêka », ou le « Bon sang, mais c’est bien sûr » de l’antique commissaire Bourrel, l’homme des Cinq Dernières Minutes… Il faudrait demander des comptes à l’Europe… La changer radicalement, et ne plus se conformer à ses dogmes !
Évoquant le risque de déflation, Michel Sapin propose ainsi de « promouvoir une politique en faveur de l'investissement privé et public par la mobilisation des outils existants et par la mise en œuvre de moyens nouveaux ». Comme Hollande avant l’Élysée, il s’écrie qu’il y a « urgence à agir ». Et il conclut son manifeste par cette revendication : « L'Europe doit agir fermement, clairement, en adaptant profondément ses décisions à la situation particulière et exceptionnelle que connaît notre continent. La France pèsera en ce sens. »
Encore un effort et Michel Sapin dénoncera le Traité européen…
Sur le plan politique, l’épisode est lourd pour le président de la République, et pas seulement au plan économique. Il souligne cruellement l’absence des résultats promis, en dépit des sacrifices engagés, et renvoie le chef de l’État à ses choix, et à ses renoncements. Si l’Europe à laquelle il s’adresse aujourd’hui s’est si gravement trompée, pourquoi s’être incliné devant elle dès l’été 2012, sans engager le bras de fer que lui permettait son élection toute fraîche ? Et s’il retourne aujourd’hui à son discours de candidat, alors qu’il s’est fragilisé à gauche, à droite, et vers les extrêmes, est-ce un signe d’autorité ou d’indécision, lui qui court derrière son ombre ?
Ainsi que le dit le journal Le Monde, dans son édition de jeudi, Hollande est bel et bien « dans une impasse ». Reste à savoir laquelle.
Le président étant ce qu’il est en France, ce diagnostic n’est pas secondaire, et ce qui se pose dès à présent, c’est sa capacité, problématique, ou son incapacité, possible sinon probable, à se présenter en 2017. Les résultats économiques de cet été 2014 vont libérer les contestations et les ambitions à gauche, de Valls en passant par Montebourg et les autres. Elles vont aussi aiguiser les appétits à droite en renforçant l’hypothèse d’une alternance : la bataille autour du retour de Nicolas Sarkozy n’en sera que plus féroce à l’UMP.
Mais cet aspect politicien n’est pas le plus essentiel pour la France et les Français. Ce qui frappe dans ce marasme économique, c’est que si Hollande est coincé dans un cul-de-sac, il ne s’y trouve pas tout seul. Avec lui, la plupart des voix dominantes de ce pays devraient s’interroger, et ne le feront pas.
Prenons les économistes officiels, qui tiennent chronique dans les radios, les télés, les magazines, les instituts de prévision, et dont la bible est répétée à longueur de journée. Ils expliquent que la France est à la traîne parce qu’elle n’a pas le courage de faire les réformes que l’Allemagne a osé. Et que « le différentiel » de croissance se creuse entre les deux pays.
Prenons les politiques majoritaires depuis trente-cinq ans, c’est-à-dire ceux des courants dominants du PS ou de l’UMP. Ils répètent peu ou prou ce discours, qui décrète que le pain sec deviendra du gâteau.
Cette politique de sacrifices chroniques rencontre une hostilité croissante dans le pays, toujours traité par le mépris depuis le référendum de 2005, malgré le « non » et les crises successives. C’est avec assurance, et agacement devant le nombre de fonctionnaires, que ces experts officiels évoquent le miracle allemand.
Il se trouve que la croissance de l’Allemagne devait s’envoler cet été : « La croissance économique de l’Allemagne accélérera cette année et encore plus l’année prochaine », déclarait le 15 avril dernier le ministre de l’économie d’Angela Merkel, Sigmar Gabriel, pieusement repris par la presse économique.
Au second trimestre 2014, après une mauvaise année 2013, l’Allemagne a fait encore moins bien que la France : contraction de 0,2 % de son PIB ! La locomotive a enclenché la marche arrière, et pourtant des orateurs, notamment, à l’UMP, décrètent qu’un échec continental se réduirait à un problème hexagonal, et qu’il faudrait aller encore plus loin dans « les réformes », c’est-à-dire dans l’austérité, pour sortir du marais dans lequel s’enfonce la zone euro, Allemagne comprise.
La leçon politique de cette folie nationale se lit donc à un double niveau. Le premier, au fond superficiel, concerne François Hollande : le président se retrouve dans une impasse, et a peu de chances d’en sortir. Tant pis pour lui. Mais le second constat, infiniment plus accablant, c’est que cette impasse passe toujours pour un boulevard, et que les forces d’alternance les mieux placées proposent plus que jamais de l’emprunter, en allant encore plus loin. Tant pis pour nous ?
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