Mercredi, les militants pro-palestiniens manifestent à nouveau à Paris, cette fois-ci avec l'autorisation du gouvernement. Débordés par des partisans de Dieudonné et d’Alain Soral, ils font aussi face à la mobilisation adverse de groupuscules juifs radicalisés. Parmi eux, la Ligue de défense juive (LDJ), organisation juive d'extrême droite.
Très présent sur Internet et les réseaux sociaux, où il promet de défendre la communauté juive et de faire « dormir à l’hôpital » les « casseurs musulmans pro-terrorisme », ce groupuscule use de méthodes violentes. Il sillonne certains quartiers comme la rue des Rosiers, l’emblématique rue de la communauté juive de Paris, pour les « sécuriser ». Le 22 juillet, la plateforme de pétition en ligne wesign.it, qui héberge la pétition réclamant la dissolution de la LDJ, a accusé dans un communiqué le groupuscule d'avoir attaqué son site internet. « Nous avons eu une attaque avec un nombre exorbitant d'adresses ip venant de Suède, des États-Unis et de nombreux pays occidentaux », explique à Mediapart son fondateur, Baki Youssoufou.
Sur Facebook, l'organisation avait annoncé qu’elle viendrait à chaque manifestation pro-palestinienne pour « raccompagner » à sa façon les manifestants pro-palestiniens – aucun appel de sa part n'est cependant visible pour la manifestation de ce mercredi.
Ces derniers jours, la LDJ a été au cœur de plusieurs échauffourées autour de synagogues. Le 13 juillet, certains de ses membres s'étaient opposés à des militants pro-palestiniens aux abords de la synagogue de la rue de la Roquette, à la fin d'une manifestation de solidarité avec Gaza, avant d'être séparés par les CRS. Plusieurs versions s’étaient affrontées (lire notre article). « Nous nous sommes seulement défendus », avait affirmé la Ligue de défense juive, alors que des éléments laissent penser que l'affrontement était prémédité. Dans une vidéo amateur relayée par i-Télé, on voit certains membres de la LDJ brandir casques de moto, barres de fer, bombes lacrymogènes, pieds de table et chaises du restaurant La Cappadoce, avant d'aller se réfugier derrière un cordon de CRS.
Interrogé à propos de cet épisode sur France inter ce mercredi, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve a estimé que la Ligue de défense juive « est dans l'excès ». « Elle est dans des actes qui peuvent être répréhensibles et qui doivent être condamnés et ces actes le sont par moi de façon extrêmement ferme », a-t-il affirmé. Avant d'ajouter que « s'il y a des violences qui ont été commises, des plaintes qui ont été déposées, le droit passera ».
Le ministre a cependant démenti les propos d'un auditeur selon lesquels les forces de l'ordre auraient protégé les activistes de la LDJ. « Les forces de police se sont interposées entre la LDJ et des manifestants pour éviter des affrontements, a balayé Bernard Cazeneuve. Tout ce discours, toutes ces affirmations selon lesquelles il y aurait une complicité de la police avec la LDJ qui expliquerait que les manifestations aient mal tourné relève d'une manipulation pure et simple. »
Dans la journée de mercredi, le blogueur Al-Kanz s'est cependant ému de ce qu'un tweet du ministre condamnant « fermement » des « actes répréhensibles » de la LDJ ait été supprimé de son compte Twitter officiel. Selon son cabinet, contacté par Mediapart, c'est tout le « live tweet » de la matinale de France inter qui a été « comme d'habitude » effacé et remplacé par un lien vers la vidéo de l'entretien. « Bernard Cazeneuve peut redire ce qu'il a dit sur la LDJ cinquante fois si besoin », nous assure-t-on. Plusieurs « live tweet » d'apparitions médiatiques de Bernard Cazeneuve ont cependant été conservées sur son compte, comme le 9 juillet lors d'un passage chez France info.
Qui sont les militants de la LDJ ? Le groupuscule revendique plusieurs centaines de militants, mais n’en compte en réalité qu’une quarantaine, avec un noyau dur d’une quinzaine de personnes, essentiellement des jeunes basés à Paris et Lyon. Parmi ses dirigeants, on trouve Jean-Claude Nataf, qui apparaît aussi sous les pseudonymes de « Amon Cohen » ou « Carlisle ». Homme de réseaux, il a la main sur tous les outils de communication du groupuscule et entretient des contacts avec l’extrême droite française. En 2013, Mediapart l'a aperçu dans la foule du 1er-Mai du FN, où il écoutait le discours de Marine Le Pen en compagnie de Philippe Péninque, ancien du GUD et conseiller officieux de la présidente du FN.
Ses premiers contacts avec l’extrême droite française, retracés par le site d’information antifasciste REFLEXes, remontent au début des années 2000, via Louis Aliot, l'actuel numéro deux du FN. D'après Libération, il s'est aussi rendu à la fête des « Bleu Blanc Rouge » du Front national, au milieu des années 2000. Parallèlement, il a côtoyé l’ex-FN Jean-François Touzé, dont il est proche, et s’est tourné un temps vers des cadres du Bloc identitaire (BI). Une rencontre aura d'ailleurs lieu à Paris en marge d’une manifestation du BI avec Fabrice Robert et Richard Roudier, qu’il avait rencontrés dès 2005.
En 2010, le Monde rapportait un billet posté sur le site de la LDJ dans lequel son administrateur soutenait Marine Le Pen après ses déclarations rapprochant les prières de rue musulmanes et l'Occupation. Un an plus tard, après la mort d'un bijoutier tué au cours d’un braquage, Nataf explique dans le Parisien que « dans la communauté », certains sont tentés « de plus en plus par un vote protestataire en faveur du Front national ». Car une partie de la LDJ voit d’un bon œil la stratégie de « dédiabolisation » de Marine Le Pen, ses appels du pied à la communauté juive (Louis Aliot s’était rendu en Israël fin 2011) et surtout son discours anti-islam.
En amont de la présidentielle de 2012, la LDJ publiait sur son site une « mise au point » pour le moins ambiguë. L’organisation « n’apporte pas son soutien au Front national », pouvait-on lire, « bien que la prise de position faite par le FN à l’encontre de l’islamisation reste un pas significatif dans les urgences politiques de notre pays ». Plus récemment, l'organisation se félicitait que Marine Le Pen ait « tué le père » après les déclarations de Jean-Marie Le Pen sur la « fournée ». Le 21 juillet, dans un billet intitulé « Non, ce n’est pas le Front national qui attaque les synagogues », l’organisation fustige les comités de surveillance des mairies frontistes auxquels participent l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) et Sos Racisme.
Sur Twitter, le groupuscule cultive cette même dualité, alternant défense du FN et provocations :
Parallèlement, une partie de la LDJ s'est rapprochée du collectif anti-islam Riposte laïque et son satellite Résistance républicaine. À plusieurs reprises, ce sont des militants de la ligue qui ont assuré la sécurité d’événements organisés en 2010 par Riposte laïque – comme l’apéro républicain, une manifestation devant l’ambassade d’Iran, ou les « Assises sur l’islamisation ». Organisées avec les identitaires, celles-ci ont été sécurisées sous la conduite de Philippe Wagner, un ancien skinhead nationaliste qui avait intégré la LDJ. La présidente de Résistance républicaine, Christine Tasin, sait s'en souvenir. Dans un billet, le 16 juillet, elle salue le « patriotisme » de l'organisation et évoque « le soulagement de savoir que la LDJ existe, est efficace ».
Quelles sont les actions militantes de la LDJ ? Sur son site, l'organisation se présente comme un « mouvement patriotique et nationaliste juif » qui vise à « protéger les juifs de France contre la violence tant verbale que physique de leurs ennemis ». Elle affirme prôner « un discours pacifiste ». Mais sur les réseaux sociaux, elle revendique des actes de violence :
Et diffuse des propos radicaux:
Sur le terrain, le groupuscule se comporte en milice qui seconderait les forces de l'ordre et multiplie les messages de soutien aux policiers. Exemples :
L'organisation fonctionne avec un noyau de jeunes menés par un chef de bande et des méthodes violentes que certains de ses membres assument, comme dans cette vidéo diffusée en 2009 :
Sur son site, sur les réseaux sociaux ou YouTube, la LDJ met en scène ses actions coup de poing. On y voit par exemple les militants asperger de peinture rouge l'écrivain juif marocain et militant antisioniste Jacob Cohen (voir les images), la présidente de l’association CAPJPO-EuroPalestine Olivia Zémor (voir les images), ou encore la porte-parole des Indigènes de la République Houria Bouteldja :
Mais d’autres actions de l’organisation vont bien au-delà de la violence symbolique. La liste des agressions dont est à l’origine la LDJ est longue (lire la recension du journal Politis et l’article du quotidien Times of Israel qui liste 115 incidents violents depuis 2001). Certains de ses membres ont été condamnés pour des faits de violence.
En 2002, des militants du Betar et de la LDJ provoquent de violents incidents lors d’une manifestation de soutien à Israël à Paris. Un commissaire de police est grièvement blessé après un coup de poignard. En 2004, l’un de ses cadres est condamné pour avoir agressé des étudiants de la faculté de Nanterre dans l’enceinte du tribunal administratif de Paris. En 2009, quatre de ses membres sont condamnés après le saccage, avec cagoules, bâtons et bouteilles d'huile, d’une librairie parisienne proche de la cause palestinienne. La même année, ils sont soupçonnés d'être les auteurs de l'agression de trois lycéens, dont deux d'origine tunisienne.
Deux ans plus tard, la LDJ interrompt violemment une réunion organisée par l’association France-Palestine. Rue89 raconte cette opération coup de poing : slogans « Israël vaincra », drapeaux israéliens déployés, gants en cuir renforcés de plomb ou de sable enfilés.
La même année, l’organisation crée la polémique en annonçant dans un communiqué une expédition en Israël avec les « militants ayant une expérience militaire » pour « prêter main-forte à (leurs) frères face aux agressions des occupants palestiniens » et « renforcer les dispositifs de sécurité des villes juives de Judée et Samarie (la Cisjordanie, ndlr) ».
Métronews rappelle qu’en juin 2013, la LDJ avait publié un message pour revendiquer la violente agression d'un jeune. Plusieurs associations ou sites avaient dénoncé ce post Facebook alors que la victime en question était dans le coma.
Un reportage diffusé en 2012 dans « Enquête exclusive », sur M6, montre comment l’organisation joue aux justiciers dans Paris, avec des méthodes parfois illégales, sous la conduite de leur leader, alors visé par trois plaintes pour agression. On le voit s'entraîner au tir (malgré l’interdiction de port d'armes en France) et expliquer qu’ils sont « préparés face aux menaces qu’il pourrait y avoir contre Israël ». On voit également l’organisation sillonner le Marais, à Paris, en pleine nuit, pour une opération d’affichage sauvage avec des appels au meurtre contre l’assassin antisémite d'Ilan Halimi. Quelques jours plus tard, ils partent en expédition punitive porte de Bagnolet, avec des matraques télescopiques, pour venger un adolescent qui aurait été victime d’une insulte antisémite :
En 2004, « Complément d'enquête » avait révélé que les membres de la LDJ s’entraînaient dans un bâtiment officiel protégé par la police française. L'émission de France 2 avait filmé une quarantaine de leurs membres en train de suivre dans ces locaux des cours de krav maga, technique de combat utilisée par l’armée israélienne :
Autour de la Ligue de défense juive, c’est toute une galaxie de jeunes qui gravitent. Outre le Betar, autre mouvement de jeunesse juif radical, une multitude de petits groupes communautaires se montent. Ils se retrouvent dans les clubs de krav maga, comme le Maccabi, dans le Xe arrondissement de la capitale. Ils sont en lien sur les réseaux sociaux, où ils lancent des appels pour converger vers les synagogues.
La LDJ reste pourtant ultraminoritaire au sein de la communauté juive. « C’est une toute petite organisation, qui n’est pas membre des institutions juives, qui n’est pas membre du Crif », « c’est très, très marginal », a tenté de minimiser Roger Cukierman, le président du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), interrogé par RFI sur la responsabilité de la LDJ dans les tensions actuelles.
Une « petite » organisation dont certains partis et associations demandent à nouveau la dissolution. La LDJ émane de la Jewish Defense League, fondée en 1969 par le rabbin Meir Kahane aux États-Unis puis en Israël, et dont elle se revendique. Son créateur a également fondé le parti Kach (devenu Kahane Chai), qui prônait l'expulsion des populations arabes de Palestine hors du "Grand Israël". Le parti a été interdit par le gouvernement israélien en 1994 après le massacre d'Hébron par l’un de ses membres. Il est classé comme organisation terroriste par le gouvernement américain.
Ce sont ces arguments que brandit le député communiste Jean-Jacques Candelier pour réclamer la dissolution de la LDJ. Dans une lettre ouverte à François Hollande, le 19 juillet, il dénonce une « organisation criminelle ». « L'impunité de ces barbares dont le seul but est de créer un amalgame entre judaïsme et sionisme est inacceptable », argumente le député. À gauche, d'autres élus demandent cette dissolution. « Il semble qu’il y a eu des provocations de la part de la Ligue de défense juive (LDJ), donc je suis pour la dissolution », a déclaré la sénatrice EELV Esther Benbassa dans les Inrockuptibles.
Ce n’est pas une première. Le Mrap demande cette dissolution depuis 2002, à la suite de plusieurs agressions attribuées à la LDJ. « La violence de ce groupe, l’étalage sur Internet de ses entraînements paramilitaires, les vidéos relatant les actions de commando du groupe, ses provocations jusque dans l’enceinte des tribunaux, ne peuvent passer inaperçus du ministère », dénonçait à nouveau en juillet 2012 le mouvement contre le racisme.
Au même moment, l'Union juive française pour la paix (UJFP) était également remontée au créneau auprès de Manuel Valls en s’étonnant que la LDJ soit « l’une des rares milices fascistes autorisées en France ». « En France, elle a multiplié les attaques de manifestations autorisées, de rassemblements, de réunions publiques, de locaux associatifs, et a commis des ratonnades anti-Arabes », accusait l’association.
Selon Libération, les statuts de la Ligue de défense juive ont d’abord été déposés en préfecture en tant que… « Liberté, démocratie et judaïsme ». Le 19 juillet 2003, deux ans à peine après sa création, la LDJ s’était autodissoute. Depuis, il s’agit donc d’un simple groupement informel, non enregistré au Journal officiel.
Dans le cadre de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, le président de la République peut dissoudre par décret des milices, qu’elles soient ou non constituées en association. C’est ce qui s’est passé pour le Service d’action civique (SAC), dissous en 1982 par François Mitterrand. Plus récemment, le 1er mars 2012, Nicolas Sarkozy avait dissous le groupuscule islamiste radical « Forsane Alliza » au motif qu’il s’agissait d’un « groupe de combat » qui avait pour « but d'attenter par la force à la forme républicaine du gouvernement ».
En juillet 2013, après le meurtre du militant antifasciste Clément Méric, François Hollande avait dissous plusieurs organisations d’extrême droite les 12 et 25 juillet 2013 : « Troisième Voie », les « Jeunesses nationalistes révolutionnaires » de Serge Ayoub puis, deux semaines plus tard, les « Jeunesses nationalistes » d’Alexandre Gabriac et l’Œuvre française (lire nos articles ici et là).
En raison de son caractère liberticide, cette mesure doit répondre à des conditions strictes et être précédée d’une procédure contradictoire. Pour dissoudre l’Œuvre française, le président de la République s’était par exemple appuyé sur trois motifs expressément prévus par la loi : la forme et l’organisation militaires du mouvement, le culte qu’elle vouait à la collaboration et au régime de Vichy, ainsi que son idéologie incitant à la haine et à la discrimination envers les étrangers, les juifs et les musulmans. Le Conseil d’État avait confirmé ces motifs le 25 octobre 2013, en rejetant le recours des responsables de ce mouvement d'extrême droite.
« Le Conseil d’État reconnaît une milice privée à son organisation hiérarchique paramilitaire, à l’obéissance de tous à un chef, à ses entraînements collectifs aux arts martiaux, à sa capacité à orchestrer des coups de force, c’est-à-dire à mobiliser collectivement et rapidement des effectifs autour d’un événement particulier et dans une logique de violence », explique l'avocat Nicolas Gardères dans Le Nouvel Obs.
Interrogé mardi par Mediapart à Marseille sur une éventuelle dissolution de la LDJ, Bernard Cazeneuve a éludé, en répondant qu’aucun groupe ne peut se mettre « en contravention avec les principes de la République si l’on veut que ses valeurs prévalent ». Avant de couper court au point presse qu’il tenait à l’hôtel de police sur l’élucidation de plusieurs des règlements de comptes récents par la brigade criminelle.
« Si à un moment, la LDJ remplit les critères, ce sera appliqué », précise son cabinet qui rappelle que la dissolution est « une procédure exceptionnelle, qui répond à des conditions strictes ». « Nous savons qu’il s’agit de gens malintentionnés et ils sont suivis depuis des années par le ministère de l’intérieur qui est très vigilant, assure par ailleurs le cabinet du ministre. La meilleure preuve, c’est qu’à Sarcelles dimanche, la manifestation prévue par la LDJ a également été interdite. »
« C'est clair que la LDJ n'est pas simple et que ses membres créent plus de problèmes qu'autre chose, mais à la préfecture on ne peut rien faire tant que le ministère de l'intérieur n'agit pas », déplore dans Métronews un responsable de la préfecture de Paris, sous couvert d’anonymat.
BOITE NOIRENous avons adressé lundi une série de questions au ministère de l'intérieur, à la préfecture de police et au parquet de Paris sur le manque de réaction des forces de l'ordre le 13 juillet face à des militants du LDJ armés sur la voie publique, sur le bâtiment où la LDJ s'entraîne selon « Complément d'enquête », sur les suites judiciaires de plusieurs aggressions attribuées à la LDJ, etc. Beaucoup sont pour l'instant restées sans réponse.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Dieudonné – Le Mur disponible en torrent