Son avocat lui fait les gros yeux. C., 18 ans à peine, semble perdu dans son box des prévenus dans la chambre 23 du tribunal de grande instance de Paris. « Je ne comprends pas, madame », adresse-t-il à la présidente, quand celle-ci lui demande s’il conteste les motifs de sa comparution. Le jeune homme chétif, qui vit chez ses parents à Toulouse depuis 2008, est accusé de jets de pierres, de barres de fer et de palettes de bois sur des policiers samedi 19 juillet. Les policiers ont formellement reconnu son visage enfantin dans le groupe des caillasseurs.
« Je ne connais pas Paris, je viens du Bangladesh, je n’ai rien contre la Palestine ou Israël. J’attendais l’ouverture du métro. » Il n’en rajoutera pas plus. Autant assommé par la fatigue que figé par la peur, C., en séjour chez son cousin à Paris, est incapable de justifier sa présence à Barbès. Il est 23 heures ce mardi soir. Son audience est expédiée en 15 minutes.
C. est alors le sixième prévenu du jour à comparaître pour des faits de violence sur des policiers samedi dernier à Barbès, après la manifestation de solidarité envers Gaza, préalablement interdite par la préfecture de police de Paris. Le jeune homme, titulaire d’une carte de séjour et en voie de professionnalisation en mécanique automobile via les programmes de la mission locale, est condamné à 6 mois de prison avec sursis.
Comme C., les autres prévenus du jour présentent un casier judiciaire vierge. Comme C, la plupart d’entre eux paraissent bien peu politisés, et affichent publiquement leur désintérêt envers le conflit israélo-palestinien. « Mais que faisiez-vous alors samedi dans un quartier dont tout le monde connaissait les risques de débordements ? » s’évertue à questionner la présidente.
W., 19 ans, tout juste bachelier, en passe d’intégrer un BTS marketing, est d’abord venu dans la zone par « curiosité ». Puis s’est engouffré dans le boulevard Barbès pour « aider un ami paniqué qui souhaitait rentrer ». « Mais qu’alliez-vous faire ? Vous êtes Superman ? » lui rétorque la présidente. Le jeune homme le reconnaît : « Je n’avais rien à faire ici », et se dit « choqué » par les scènes dont il a été témoin. Formellement reconnu par un officier de police, car il était la seule personne de « type africain dans un groupe d'individus de type nord-africain » à jeter des projectiles sur un policier. W., un jeune homme « enclin à une insertion réussie vers la vie d’adulte » selon la présidente, est condamné à 4 mois avec sursis et 150 euros de dommages et intérêts à verser à l’officier de police qui s’était constitué partie civile.
Des peines presque similaires – 3 mois de sursis – sont prononcées pour T. et B.
T., 26 ans, intérimaire régulier, est le dernier à comparaître mardi à 23 h 15. Toujours vêtu comme il l'était samedi, d’un marcel noir et d’un short bariolé, T. justifie sa présence à Barbès pour « faire des courses » dans le quartier. Malgré son look décontracté, le domicilié à Villepinte ne convainc pas le tribunal, qui l’accuse de jet de bombe lacrymogène sur les policiers à 19 heures. « Je ne suis pas violent, je ne tolère pas la violence », explique le jeune homme sans casier judiciaire jusqu’ici. La grenade lacrymogène avait d’abord atterri sur sa cuisse, lui causant un hématome de 6 cm de diamètre d’après l’expertise médicale. Le prévenu explique l’avoir saisie et relancée par « instinct ».
Pour B., le tribunal a reconnu « l’effet de groupe » pour expliquer le recours à la violence de ce jeune homme au caractère calme et serein. Cet étudiant en 3e année de droit est actuellement vacataire dans un tribunal en région parisienne. « Était vacataire », lui auraient lancé les policiers en garde à vue, selon son avocate. Celle-ci dénonce à travers ces interpellations « une politique du chiffre » de la part de l’administration. B. habite chez sa mère à Barbès. Cet après-midi-là, il dit s’être promené dans le quartier avec deux amis, allant chercher un jeu vidéo chez l’un d’entre eux. Sur le chemin, l’étudiant s’attarde même à prendre un « selfie » avec un policier. Il reste en fait plus de deux heures dans les parages et est interpellé en début de soirée pour caillassage. Une grossière erreur, avance l’étudiant qui, comme beaucoup de casseurs, portait un maillot du PSG ce jour-là. « On m’a confondu avec un autre », avance-t-il.
La veille, E., un ingénieur kurde de 26 ans, a aussi trouvé dans son accoutrement l’origine de son interpellation. Porteur d’un keffieh rouge à la sortie du métro bastille, E. est arrêté pour « participation à une manifestation illicite » puis « rébellion ». « Mon keffieh est rouge, c’est un keffieh kurde, celui des Palestiniens est noir et blanc ! » explique-t-il, avant de laisser éclater sa colère « La Palestine, j’en ai rien à foutre ! Je suis kurde. Qui attaque les Kurdes en Syrie ? C'est le Hezbollah ! Et le Hezbollah, c’est le premier soutien de la Palestine. Vous comprenez ? » Le jeune ingénieur, finalement relaxé, envisage de porter plainte pour violences policières à la suite de son interpellation musclée, a indiqué son avocat.
Il n’est pas le seul à avancer la thèse des violences perpétrées d’abord par les forces chargées du maintien de l’ordre. A., 28 ans, est pompier volontaire et pratique les sports de combat. Accusé d’outrage, de violence et de jet de projectile, ce pratiquant régulier d’arts martiaux aurait menacé les policiers : « Bande de connards (…), je vous prends tous en tête à tête. » Lui affirme avoir été « tabassé sauvagement » par les policiers alors qu’il était en train de filmer la manifestation à côté d’une patrouille. « Ils m’ont dit "tu filmes quoi là ?" et m’ont plaqué au sol », explique-t-il. L’expertise médicale a estimé à un jour l’incapacité temporaire de travail du jeune homme, ancien surveillant de collège. Le bilan médical, plutôt modeste au vu des accusations de A., est directement imputable à sa rébellion, indique le procureur. A. est condamné à 5 mois de prison avec sursis sans inscription au casier judiciaire pour outrage et rébellion, mais relaxé des faits de violence qui lui étaient reprochés.
Dans la longue série des comparutions immédiates de mardi, A. est le seul à évoquer son soutien à la Palestine, même s’il avance surtout « la curiosité » et l’envie « d’observer » pour justifier sa présence à Barbès. La veille, trois autres prévenus affirmaient ouvertement leur soutien à la manifestation.
F., une jeune femme élancée au débardeur rose fluo, était la première à comparaître, lundi. On lui reproche la participation à une manifestation illicite, et le jet d’une cartouche de bombe lacrymogène à l’encontre de CRS. « J’ai pris la responsabilité d’y être parce que je voulais y être. J’étais venue pour soutenir la Palestine, je ne pensais pas que ça allait dégénérer, que ce serait la guerre », justifie-t-elle. Identifiée par un policier de la sûreté publique pour avoir ramassé à ses pieds, puis jeté, une cartouche de gaz lacrymogène, F. évoque « un réflexe ». « Vous ne le feriez pas, vous ? » demande-t-elle au président. « Moi, non, si j’ai une bombe lacrymo à mes pieds, je ne la ramasse pas, je mets un coup de pied dedans ou je m’en écarte », lui répond-il, avant de prononcer bien plus tard dans la soirée une peine de 6 mois de prison avec sursis et 105 heures de travaux d’intérêt général. Le parquet avait requis 10 mois de prison ferme « pour adresser un signal fort de découragement » aux potentiels casseurs parmi les manifestants. F. avait déjà été condamnée par le passé pour outrage et conduite en état d’ébriété.
La plus lourde peine prononcée au tribunal de grande instance de Paris s’élève à 10 mois de prison pour des faits de rébellion et participation à un attroupement interdit. N., 33 ans, était accusé dans un premier temps d’être un des organisateurs de la manifestation interdite. « Je ne suis pas organisateur mais animateur, proteste-t-il. Je disais simplement des slogans au porte-voix : "Nous sommes tous des Palestiniens", "Résistance, c’est la voie de l’existence", "Médias français, montrez-nous la vérité"… » déclare-t-il dans des propos rapportés par Libération. Cet ingénieur chez EDF, père d’une petite fille d’un an, a promis de « ne plus participer à une manifestation interdite ». Dans la même chambre, K., un informaticien de 33 ans, père de famille également, avait été condamné pour rébellion à quatre mois de prison avec sursis et 1 150 euros d’amende à verser à un policier qu’il avait fait chuter lors de son interpellation. L’arrestation musclée causant deux jours d’ITT à K., 4 jours au policier. Pour ces trois cas jugés lundi, le parquet de Paris, qui avait requis des peines de prison ferme, a fait appel des condamnations, espérant le même jugement que celui prononcé mardi à Pontoise. Quatre jeunes âgés de 20 à 28 ans y ont été condamnés de peines allant de trois à six mois de prison ferme pour des violences sur des policiers survenues dimanche dans les manifestations de Sarcelles.
Parmi les onze prévenus parisiens, deux n’ont pas été jugés. M., 32 ans, comparaissait mardi en fin d’après-midi. Le regard vide, dans un tee-shirt trop large pour lui, M. semble seul au monde. Il est en fait handicapé à 80 %, et placé sous curatelle chez sa sœur. « Il a de graves troubles neurologiques : des problèmes de mémoire, d’orientation, de raisonnement quand il est en présence d’une foule », indique son cousin, après s’être fait expulser de la salle d’audience pour avoir haussé la voix durant les débats. Son audience sera renvoyée au 22 octobre après la réalisation d’une expertise médico-psychiatrique.
Enfin, le cas de M.T. a été renvoyé au 3 septembre prochain. Ce Tunisien de 35 ans est connu sous 12 identités différentes par les services de police. Il est le seul à comparaître à la fois pour outrage, violences volontaires sur des policiers ayant entraîné 10 jours d’ITT, jet de barres de fer et port d’arme de catégorie 6 – un Opinel en l’occurrence. Le seul véritable « dur » à défiler dans le box des prévenus, au milieu de profils jusqu'ici sans histoire.
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