Cette fois, la volte-face est réussie. À la suite des violences qui ont émaillé les rassemblements pro-Gaza interdits au préalable par l’administration le week-end dernier à Paris et Sarcelles, le gouvernement avait changé d’avis, autorisant une manifestation dans la capitale ce mercredi 23 juillet. Bien lui en a pris, puisque le cortège a réuni hier entre 14 500 et 25 000 personnes et défilé dans le calme entre la place Denfert-Rochereau et les Invalides. D'autres manifestations, comme à Bordeaux ou Toulouse, avaient également lieu mercredi soir.
À Paris, des milliers de personnes avaient répondu à l’appel du Collectif national pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens, regroupement d’associations, de syndicats et de partis qui se sont fait l’écho de la cause palestinienne tout en invoquant le droit de manifester.
Le cortège a été très encadré le long du boulevard des Invalides, où les troupes de CRS n’ont quasiment pas eu à intervenir pendant le défilé. Un calme entretenu par les services d’ordre de la CGT, NPA, Parti de gauche et PCF, rompus à ce genre d’exercice, et par l’itinéraire choisi, empruntant exclusivement de grandes artères aérées. Plus d’un millier de policiers étaient mobilisés pour l’occasion.
En tête du défilé, les plus radicaux, essentiellement des jeunes, ont eu le temps de scander des « LDJ (Ligue de défense juive) on t’encule, la LDJ est une salope » avant de se faire réprimander par leurs propres services d’ordre. Certains en ont profité pour jeter des pierres et autres projectiles sur les autorités. La tension est montée d’un cran lorsqu’un vieil homme, étranger à la manifestation, s’est fait prendre à partie au motif que sa barbe ressemblait à celle d’un rabbin. « C’est un Juif ! » s’est exclamé un gamin qui semblait vouloir en découdre. Un rapide mouvement de foule s’est formé avant d’être stoppé net par les organisateurs, laissant une échappatoire au vieil homme.
Hormis ces quelque excités surveillés de près dans les rangs, on retrouve en début de cortège des personnes de tout âge ayant répondu à l’appel entre autres du Front de gauche, du PCF, des Verts et du NPA. Plusieurs députés socialistes s’affichent à leurs côtés : parmi eux Razzy Hammadi, Yann Galut et Alexis Bachelay. La foule hétérogène et métissée, où se mêlent femmes voilées, quinquagénaires adeptes des stickers CGT et jeunes en maillot du PSG, réclame « la paix » et une « Palestine libre et indépendante ». Malgré sa fatigue énoncée deux jours auparavant, Jean-Luc Mélenchon arrive telle une star, lunettes noires, le pas pressé pour éviter les médias. Il prend la pose quelques secondes devant les caméras avant de disparaître au milieu de la foule, compacte.
« Nous sommes tous des Palestiniens », et « Israël Assassin, Hollande complice » sont les slogans qui affichent le plus de succès chez les manifestants. Parmi eux, Kader, 22 ans, venu d’Angoulême pour « soutenir la cause palestinienne » et dénoncer « un génocide ». « On a tous droit à cette liberté d’expression, et c’est dommage qu’on nous l’enlève. La France est en train de perdre ses valeurs et ses principes… »
Comme Kader, beaucoup sont dans la rue pour la première fois de leur vie. Certains se perdent dans un cortège de plus en plus étendu. Quand le défilé de tête emmené par la CGT atteint les Invalides, la queue du regroupement quitte à peine Montparnasse. « Elle est pas ouf cette manif », s’étonne l’un d’entre eux.
Plus loin, en queue de cortège, l’animation était de mise. Posté entre deux enceintes sur une remorque tractée par un camion de location, Abdelhakim Sefrioui harangue une centaine de personnes munies d’un drapeau palestinien géant. Au micro, ses amis lancent des « Palestine résistance » puis « Hamas résistance, Djihad résistance » du nom des deux organisations – Hamas et Djihad islamique – qui prônent la lutte armée pour défendre Gaza. A. Sefrioui est membre du collectif Cheikh Yassine, du nom d’un leader spirituel du Hamas assassiné en 2004 par l’armée israélienne. Mais dans la foule bruyante qui suit ce qui est devenu un deuxième cortège, nombreux sont ceux qui ignorent l’origine de ces hommes au micro.
« Peu importe le syndicat ou le collectif, ce qu’on dénonce, ce sont tous ces crimes commis en Palestine. En plus de ça c’est notre liberté qu’on défend : on veut montrer à l’État que le droit de manifester, on ne peut pas nous l’enlever. Personnellement, même s’il a été élu démocratiquement, je n’ai pas voulu crier Hamas, je suis français, je préfère soutenir le peuple palestinien et demander à notre gouvernement d’arrêter d’être complice des assassinats de Gaza », explique Karim*, 25 ans.
Quelques mètres derrière ce groupe, plusieurs drapeaux tricolores se mêlent aux étendards palestiniens. Des autocollants réclamant un boycott d’Israël se passent de mains en mains et des pancartes rappellent le nombre de morts à Gaza – 650 – depuis le début des opérations militaires. L’une d’entre elles dénonce la position diplomatique de François Hollande et conclut : « France de Jaurès, de Chirac où es-tu ? » Devant, en milieu de cortège, des militants plus âgés défilent sous la banderole des « Juifs et Arabes unis pour la paix ».
Dans le lot des manifestants, certains ont défilé avec une pancarte indiquant en grosses lettres noires : « Je suis juif. » Une démarche inédite pour Eva, qui n’a pas pour habitude de revendiquer ses origines : « Je révèle une partie de mon identité que je n’emploie habituellement jamais. Je suis venue parce que ce qu’il se passe en ce moment n’est pas une guerre de religion, il faut casser cette dynamique d’Israël, cette propagande qui veut que toute attaque contre Israël soit dénoncée comme antisémite. Il s’agit d’une guerre de colonisation, ils massacrent un peuple pour prendre leurs terres, c’est intolérable. Ma mère me disait toujours "il faut pas dire que t’es juive", elle a toujours vécu dans la peur du retour du fascisme (...). Moi j’estime qu’il faut se battre à visage découvert. »
À ses côtés, Serge ne cache lui non plus rien de son identité. S’affichant juif mais athée, il est un adepte de la tolérance. « Je tenais à montrer que je viens sans crainte dans les manifestations. Autant je n’ai pas de menaces ici, par contre de la LDJ j’en ai eu. Le danger, je le vois plus là-bas qu’ici. »
Au moment de quitter les lieux, la scène place des Invalides était joyeuse et la foule commençait à se disperser. Plus tard dans la soirée, dans un tout autre quartier, celui du Marais, seize personnes ont été interpellées. Elles auraient proféré des insultes antisémites dans un restaurant situé près du quartier juif de la rue des Rosiers et commis des dégradations dans ce restaurant.
* Le prénom a été modifié.
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