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Dans une école de Belleville, « ras-le-bol des rumeurs et de l'évitement scolaire »

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À la lecture de Mediapart, ils ont tous eu la même réaction. Horripilés. Dans un article paru le 7 juillet, des parents d’enfants de l’école maternelle de la Baleine (Paris 11e) expliquaient pourquoi ils avaient demandé une dérogation ou s’étaient tournés vers le privé plutôt que d’inscrire leur enfant à l’école primaire de Belleville à la rentrée prochaine. Plusieurs lecteurs excédés nous ont écrit pour nous faire part de leur courroux. Eux ont mis leur enfant à l’école primaire de Belleville, l’an passé ou il y a quelques années. Parfois après avoir hésité, parfois après avoir s’être vu refuser une dérogation. Et aujourd’hui, leurs enfants sont « heureux », disent-ils. 

Des parents d'élève de l'école primaire du boulevard de BellevilleDes parents d'élève de l'école primaire du boulevard de Belleville

Selon eux, l’article précédent était susceptible de nourrir la rumeur selon laquelle la violence et le mauvais niveau gangrènent « leur » école. Nous avons donc convenu de nous rencontrer le 10 juillet autour d’un café. La veille, une mère nous a appelés. « Je viendrai vous soutenir. Ils seront très nombreux et sont très remontés. Il peut y avoir de l’agressivité. »

En fait, non. Le jour dit, aucune acrimonie. Simplement le besoin de raconter. De ne pas laisser le dernier mot à ceux qui propagent les rumeurs.

À deux exceptions près, ils sont tous profs ou intermittents. Des profils quasi identiques à ceux de l’école de la Baleine, généralement qualifiés de « bobos ».

Ambre, animatrice dans une école maternelle, sort d’emblée le carnet de notes de son fils aujourd’hui au collège, après être passé par l’école primaire de Belleville. « Regardez ! Cela ne l’empêche pas d’être partout au-dessus de la moyenne générale ! » Françoise, professeure de français dans un lycée, a de son côté apporté la photo de classe de son fils, pour prouver « la mixité » au sein de l'établissement.

Chacun sourit de ces initiatives. Mais en réalité, personne ne sait comment prouver sa bonne foi. Patricia, mère de deux enfants, explique : « Quand il y a un problème dans une cour d’école, c’est normal, c’est une cour d’école. Mais quand ça se déroule à Belleville, ah ben c’est normal, c’est parce que c’est Belleville. »

Pour Nicolas, réalisateur, « ce qui est terrible, c’est qu’on ne peut pas lutter contre une rumeur. Même quand je dis à mes amis que l’école de mes enfants est super, ils restent suspicieux ». Comme s’il disait ça pour valoriser le parcours de ses enfants. Ou pour se dédouaner. « Je me sens parfois regardé comme un mauvais parent. Et ils me disent toujours que mes enfants y sont parce qu’on n’a pas eu le choix. »

Il est vrai qu’à l'origine, Nicolas avait, comme les parents de la Baleine, demandé une dérogation. Car lui et d’autres avaient à peu près tout entendu sur cette école de Belleville. « En arrivant, franchement, je m’attendais à ne trouver que des cas sociaux, des gamins se roulant au sol et hurlant sans cesse. » Renaud, prof de lettres en prépa, renchérit : « Au square, je n’avais pas entendu qu’il y avait de la violence, mais que tout l’argent censé être consacré aux sorties scolaires allait aux traducteurs pour les enfants chinois. Ce qui est complètement faux. »

Renaud regrette que « même des choses positives so(ie)nt tournées négativement ». « Je lis dans votre article qu’une mère s’est renseignée : les instituteurs s’occupent des enfants qui vont mal. Ce devrait être très bien vu. Mais c’est entendu comme "Ils ne s’occupent pas des enfants de milieux favorisés". »

Claire, intermittente, reconnaît qu’elle aussi était inquiète sur ce point. « Mais la maîtresse m’a expliqué sa méthode pédagogique. Par petits groupes. Du coup, chacun avance à son rythme. Personne n’est brimé. Et ma fille sait tout aussi bien lire et écrire que ses copains des autres écoles du quartier. Ma fille, elle fait des additions à 5 chiffres ! »  

Pour Renaud, les préjugés sont en réalité partout les mêmes. « J’ai grandi à Boulogne-Billancourt, dans un cadre donc favorisé. Et à l’époque, les parents voulaient absolument que leurs enfants aillent dans les établissement huppés du 16e. Beaucoup allaient dans le privé. Alors que Boulogne, c’était très bien aussi. En arrivant à Belleville, quand j’ai eu vent des premières rumeurs à la con, je me suis dit que c’était exactement pareil. On en a beaucoup parlé avec ma femme. La suite m’a donné raison. »

En raison de ce choix, certains de leurs amis voient Renaud et sa femme Françoise comme « des militants ». « Alors que pas du tout. Techniquement, je ne le suis pas. Et ça me paraît juste normal de mettre mon enfant dans l’école du quartier. »

À l’école de Belleville, estiment ces parents, on compte environ 1/3 d’enfants de bobos, et 2/3 d’enfants issus de classes populaires. L’école est classée en zone d’éducation prioritaire. « Ça fait qu’il y a moins de 24 élèves par classe et souvent beaucoup moins, et puis une maîtresse surnuméraire, explique Anne-Marie, professeur de français dans un lycée. Je m’étais renseignée sur le privé, mais mieux vaut être 17 ici que 30 par classe dans le privé ! Et puis là-bas, ils proposaient d'apprendre l’anglais entre midi et deux. Ça m’a effrayée ! »

Même si la diversité ne se voit pas autour de la table du café, Anne-Marie se dit choquée par les propos tenus par des parents de la Baleine : « J’imagine les parents africains qui lisent ça. C’est insultant. Ils doivent se dire qu’on a peur de leurs enfants ! » Ambre abonde : « Ce n’est pas parce qu’on porte le voile qu’on est inculte. Et il y a des parents étrangers très diplômés. »

Ambre veut à tout prix rassurer sur le fait d’être minoritaire. « Mon fils est blond aux yeux bleus. Il n’a jamais eu le moindre problème. Tiens, j’aurais dû l’emmener mon fils. C’est une parfaite publicité pour Belleville. Sage, timide, blond. » Anne-Marie appuie : « Mélanger crée quelques valeurs comme l’entraide. On valorise le progrès plutôt que le fait d’être premier. Et c’est peut-être mieux que l’esprit de compétition à tout crin. »

Nicolas tient le même discours, « même si ça fait Amélie Poulain ». Pour lui, « retrouver des gens de toutes les origines à la fête de l'école, c’est beau. Et je suis content que mon enfant voie ce qu’est la société : des gens qui vivent dans de très jolis lofts. Et d’autres qui vivent dans 12 m2 ».

De façon plus ou moins explicite, ces parents en veulent à ceux qui pratiquent l’évitement scolaire. Renaud, par exemple, « parce qu’ils participent à ce qu’il y ait une classe de moins cette année. Et parce qu’à force de ne pas y mettre leurs enfants, le risque est que l’école devienne ce qu’ils fantasmaient ». Sa femme, Françoise, fustige « ceux qui se plaignent de l’absence de mixité, alors que c’est de leur faute s’il n’y en a pas ».

Interrogée dans l’article précédent, la directrice de l’école de Belleville n’avait pas mis une folle énergie à démentir les rumeurs existantes, au risque de les accréditer. « Elle est directrice, pas publicitaire, la défend Anne-Marie. On ne défend pas une école de quartier comme on défend une entreprise. Et le fait est qu’elle tient parfaitement son établissement. »

N’en font-ils quand même pas un peu trop, tous ces parents ? « On n’est pas là pour dire que c’est la meilleure école du monde, tempère Renaud. Simplement pour témoigner que nos enfants y sont bien. » 

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