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Bercy rappelle un peu à l'ordre la grande distribution

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À chaque guerre ses victimes collatérales. Dans le monde de l’agro-alimentaire, les plus petits acteurs (agriculteurs, PME) comme les plus grandes multinationales s’estiment pris à la gorge par la course au prix bas menée par les enseignes de la grande distribution, les centres E.Leclerc en tête. Le bras de fer entre producteurs et fabricants d’un côté et distributeurs de l’autre n’est pas nouveau, mais, en ces temps de crise, la fragilisation des revenus des consommateurs radicalise les débats.

Face à la fronde menée par une alliance presque contre-nature des agriculteurs et PME avec les multinationales, l’exécutif avait donc décidé de taper du poing sur table. Trois ministres, Arnaud Montebourg (économie), Stéphane le Foll (agriculture), et Carole (commerce et consommation) avaient invité jeudi soir à Bercy les représentants de la grande distribution à s’expliquer sur leurs pratiques commerciales visant à proposer des prix toujours plus bas. 

Les représentants présents de Carrefour, Intermarché, Leclerc, Auchan et Système U se sont fait taper sur les doigts par les ministres. Dans un communiqué, Bercy a en effet reconnu l’existence de pratiques irrégulières de la part des grandes surfaces. Les enquêtes de la répression des fraudes (DGCCRF) ont relevé l’existence de « demandes de baisse de tarif après signature du contrat, des menaces de rupture, de déréférencement » ou encore  « des rétrocessions de chiffre d’affaires injustifiées ». Affichant sa fermeté, le gouvernement a promis de boucler cet été le rapport de la répression des fraudes et de sanctionner les géants de la distribution en cas de pratiques assimilables à de l’extorsion.

Des menaces donc, mais c’est à peu près tout. Les producteurs sont « restés sur leur faim », a expliqué à l’AFP Yves Le Morvan, directeur général délégué de Coop de France. Ces derniers affichent leur colère depuis plus d’un mois. Dans une lettre envoyée le 11 juin dernier au premier ministre, les géants de l’agroalimentaire, représentés par l’association nationale des industries alimentaires (ANIA), les agriculteurs, par l’intermédiaire de la FNSEA, et les PME et coopératives via le mouvement Coop de France, dénonçaient avec inquiétude les agissements de la grande distribution. 

Selon ces fournisseurs, la grande distribution s’est lancée dans une « guerre des prix », qu’elle accompagne « d’abus » durant les phases de négociations et « de menaces de retraits de certains produits de leurs rayons ». D’après leurs calculs, la situation pourrait détruire près de 20 000 emplois en France.

Si peu d’éléments de la table ronde de Bercy ont filtré, une répétition générale avait eu lieu la veille, mercredi, en public, au palais Bourbon. Conviés par les députés de la commission des affaires économiques de l’Assemblée, l’ensemble des acteurs de la filière se sont dit leurs quatre vérités (l'intégralité de la réunion est à voir ici). Sur fond de conflit commercial, la question du pouvoir d’achat est restée centrale devant les députés.

La majeure partie du chiffres d’affaire des centres Leclerc est réalisée en « semaine 2 », lors du « versement des allocations », indique Michel-Édouard Leclerc. Une preuve de plus que le pouvoir d’achat du consommateur français se fragilise. Les ménages consacrent aujourd’hui 13 % de leur budget à l’achat de denrées alimentaires, soit le troisième poste de dépenses après le logement et le transport. 

Pas question donc pour les centres E.Leclerc de changer la politique des prix bas. Assis devant les parlementaires à côté de Jacques Creysse, représentant entre autres Auchan, Carrefour et Casino, il érige la grande distribution en « amortisseur de crise ». 

Mais pour les députés de la commission, la course effrénée aux prix initiée par Leclerc provoque un cercle destructeur d’emplois, chez les fournisseurs comme chez les distributeurs. « Auchan a supprimé 22 % de ses cadres et gelé ses investissements pour avoir les moyens de (les) suivre », explique Annick Le Loch, élue PS du Finistère.

Comment proposer des prix aussi bas aux consommateurs ? Les fournisseurs des grandes surfaces ont la réponse. Selon eux, les hypermarchés répercutent systématiquement leurs prix faibles sur leurs coûts d’achat aux producteurs, jamais sur leurs marges brutes. « Entre 2007 et 2008, il y a eu une augmentation de 7 % des prix des denrées alimentaires, suite à la hausse des cours des matières premières agricoles, c’est quatre fois plus de ce qu’on observait d’habitude. Pourtant en 2009, après l’effondrement des cours, les prix sont restés stables en rayon », rappelle devant les députés Olivier Andrault, spécialiste des questions alimentaires pour l’UFC Que Choisir. La tendance se poursuit depuis et pourrait s’expliquer par l’augmentation surprenante des marges que la grande distribution applique sur certains produits. Pour le poulet ou le porc, les hypermarchés appliquent en moyenne une marge brute de 42 %, constate Olivier Andrault.

 Selon un calcul de l’UFC Que Choisir, l’augmentation des marges équivaudrait depuis 2004 à 7,7 milliards d’euros de gains pour les grandes enseignes, au détriment des consommateurs. Faux, répond Michel-Édouard Leclerc : « On a grillé 0,8 point de marge depuis le début de l’année pour les baisses de volumes. »

La grande distribution est accusée de toute part d’abuser de sa position dominante. Jean-Philippe Girard, représentant l’ANIA, réclame aux pouvoirs publics un « durcissement des contrôles » et des sanctions plus sévères envers les distributeurs.

« On est face à une inflation des coûts et une déflation des prix, c’est impossible à tenir pour une entreprise » constate le président de l’ANIA, qui défend les intérêts de 12 000 entreprises agroalimentaires, dont des multinationales comme Coca-Coca, Nestlé ou Ferrero.

Mais les plus gros fabricants ne publiant pas leurs marges brutes enregistrées sur le marché français, difficile pour les députés d’estimer l’équilibre du rapport de force. « Il n’y a pas de déséquilibre, produit par produit, il y a 2 ou 3 entreprises qui représentent 80 % des marchés et qui font jusqu’à 20 % de marges nettes », se défend Jacques Creysse. Les distributeurs dénoncent au contraire des « blocages » de la part des multinationales dans les négociations fournisseurs-distributeurs. Celles-ci sont accusées d’appeler le gouvernement à l’aide en « s’abritant derrière les petits », dans un étonnante « alliance du matou et de la souris », ironise Michel-Édouard Leclerc.

Car mercredi, au sein de l’assemblée, les députés font bloc pour alerter sur la situation de certaines PME et des agriculteurs exploitants, incapables d’imposer un rapport de force dans cette course au prix. Pour Michel-Édouard Leclerc, le salut des producteurs doit venir par la valorisation-produit, le marketing et l’innovation, c’est ce que fait « tout entrepreneur digne de ce nom ». Les ministres vont dans ce sens en demandant jeudi aux distributeurs de mettre plus en avant les produits d’origine française, en particulier pour les filières les plus fragiles (lait, fruits et légumes, œufs, produits de la mer). 

Les comparateurs de prix et le CICE aussi dans le viseur 

La valorisation des produits de qualité passerait ainsi par une meilleure identification, voire presque « une éducation » du consommateur. Là encore, les méthodes d'E.Leclerc empêcheraient une telle démarche. Unanimement, les professionnels du secteur ciblent Michel-Édouard Leclerc sur l'une de ses armes de communication favorites : la publicité comparative des prix. Vivement critiqués par les trois associations de fournisseurs, mais aussi par les autres acteurs de la distribution car jugés « destructeurs de valeurs » et sources de « déstructuration des efforts de production et de contrôle sanitaire », les comparateurs de prix seront mieux surveillés, promet Carole Delga. Les sites qui garantissent « une information exacte et loyale des consommateurs » resteront en place. 

Pas de modification non plus au programme pour le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) qui offre des exonérations de charges aux distributeurs. En 2013, Carrefour a perçu 90 millions d’euros, selon la section CFDT du groupe, grâce à ce dispositif de soutien aux entreprises créé par Jean-Marc Ayrault. La FNSEA souhaiterait que les grandes enseignes utilisent cette manne financière pour diminuer leurs marges. Mais le CICE ne prévoyant pas de réelles contreparties, les moyens d’actions sont maigres pour le gouvernement. Le sujet n’a d’ailleurs été que « très brièvement évoqué » jeudi en présence des ministres, rapporte Bercy. 

Affichant sa volonté de fermeté, le gouvernement n’a en réalité que peu de marges de manœuvre pour apaiser les tensions entre les acteurs de la filière. La grande distribution, à part des exceptions prêtes à relever certains prix comme Système U, semble rester inflexible. Michel-Édouard Leclerc clôturait à sa manière la réunion de mercredi à l’Assemblée : « Si c’est pour faire remonter les prix, non, je ne le ferai pas. Vous pouvez en parler pendant 20 ans, mais ce sera sans moi… »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian


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