On connaissait le goût de Nicolas Sarkozy pour le bling-bling. Il semblerait qu'il méprise en plus le style Empire. À l’Élysée, en tout cas, il a laissé ses chiens vandaliser le « Salon d'argent » de Napoléon, ensemble de meubles parmi les plus précieux de la République. Le rapport de la Cour des comptes sur le budget 2013 de l’Élysée, qui a dévoilé mardi 15 juillet le coût d'entretien des œuvres installées dans les résidences présidentielles, ne dit rien évidemment de cet épisode.
Les magistrats financiers se contentent de livrer des chiffres globaux : plus de 500 000 euros dépensés en 2013, bien plus d'un million ces cinq dernières années. Mais dans les couloirs du Mobilier national, institution héritière du Garde-meubles royal, c'est la restauration du « Salon d'argent » qui a laissé le souvenir le plus amer, d'après des informations recueillies par Mediapart.
Doté de plus de 70 000 pièces (tableaux, fauteuils, tapisseries, etc.), le Mobilier est en effet chargé des prêts aux plus hauts représentants de l’État (ministres, préfets, ambassadeurs…). Il travaille toujours dans la plus grande discrétion, avec ses propres ouvriers et quelques artisans extérieurs. Fait exceptionnel, en janvier dernier, ses services s'étaient fendus d'un communiqué pour démentir les rumeurs de millions d'euros de dégâts à l’Élysée, supposément causés par une scène de ménage entre François Hollande et Valérie Trierweiler. Mais sinon, impossible de savoir quel ministre a réclamé quelle œuvre d'art pour son bureau. Ou bien qui a cassé quoi.
S'agissant de Nicolas Sarkozy, pourtant, les langues se délient. Car le « Salon d'argent » créé à l'époque de Napoléon, avec ses meubles dorés à l’or blanc et couverts d’étoffes, a atterri dans les ateliers du Mobilier à la mi-mai 2012, juste après la présidentielle, dans un état piteux.
Plusieurs corps de métier ont dû intervenir pour retaper méridiennes et fauteuils, restaurer les bois, resculpter, retapisser, etc. Ce qui a le plus heurté ? Les chiens du président ont visiblement aiguisé leurs crocs sur les accoudoirs, fameux pour leurs becs-de-cygnes.
D’après un devis, la réfection des dorures a été sous-traitée à un artisan parisien pour plus de 6 600 euros. L’achat de galons, à lui seul, a coûté plusieurs milliers d’euros. Sans compter les soieries, ni les heures de travail des ouvriers du Mobilier.
La "négligence" de Nicolas Sarkozy a d’autant plus choqué que le Salon d’argent, œuvre de l’ébéniste Jacob-Desmalter, a traversé deux siècles d’Histoire de France, choyé dans un boudoir de l’Élysée. C’est là que Napoléon, en 1815, a dicté son abdication. Là que le président Félix Faure est mort foudroyé d’une crise cardiaque dans les bras de sa maîtresse favorite – avant que les médecins ne jugent préférable d’installer le cadavre à son bureau.
L’épisode a d’ailleurs produit l’une des répliques les plus célèbres du "Palais" : « Le président a-t-il encore sa connaissance? », avait demandé l’abbé convoqué en urgence. Réponse du garde républicain : « Non, elle est partie par le jardin. »
L’inattention de Nicolas Sarkozy, en plus, aurait des antécédents. Quand il était ministre de l’intérieur, un précieux canapé était déjà rentré au Mobilier dans un état honteux, imbibé de poils et d’urine.
« La conservation soigneuse des œuvres et objets de collection (...) doit être au premier rang des préoccupations des institutions », a pourtant rappelé le premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, dans un récent discours sur le patrimoine culturel français.
Sollicité par Mediapart, l’administrateur général du Mobilier reconnaît non seulement « des traces d'usure » mais aussi de « détérioration » sur le Salon d'argent. Questionné sur l’éventuelle facturation à Nicolas Sarkozy d’une partie des travaux réalisés en 2012, Bernard Schotter explique que « les dépenses d’entretien et de restauration du mobilier sont prises en charge, selon les cas, par les institutions dépositaires ou le Mobilier ». Jamais par l'intéressé.
D'après le rapport de la Cour des comptes publié mardi, l’Élysée ne règle d'ailleurs jamais son dû, à l'inverse des autres institutions « dépositaires ». Les magistrats financiers recommandent donc de corriger cette anomalie : « (Les frais de restauration) devraient être facturés (à la présidence), conformément au droit commun applicable aux administrations publiques », écrivent-ils.
Au profit de l’Élysée, le Mobilier a par exemple dépensé 253 000 euros en 2013 (pour la rémunération d'artisans extérieurs), plus 246 000 euros de frais dans ses ateliers (sans compter l'achat des matières premières).
Au-delà des réparations, le Mobilier national (qui comptabilisait plus de 5 600 œuvres déposées à la présidence fin 2012) est aussi confronté à des disparitions. D'après des chiffres provisoires de la Cour des comptes, « 625 meubles du Mobilier national » et « 32 œuvres déposées par les musées nationaux » pouvaient être réputées « non vues » en 2012, dans les différentes résidences présidentielles (fort de Brégançon, etc).
Un fastidieux récolement, soit un inventaire sur pièce et sur place, est aujourd'hui en cours à l’Élysée, certains éléments pouvant simplement avoir été oubliés dans un placard. Mais si l'on comprend bien, « l'absence de récolements » antérieurs « à jour » empêchera de savoir quelles disparitions d’œuvres « sont récentes et celles qui sont plus (voire très) anciennes », regrette la Cour, qui s'agace : « Il est impératif de ne pas s’interdire à l’avenir de déposer plainte de façon systématique. » Car « l’expérience a montré que cette procédure, dissuasive, permet souvent le retour d’une partie significative des objets supposés disparus ».
« Pour l’Élysée, je pense que nous serons en mesure de présenter un document complet l’an prochain, affirmait au printemps dernier Jacques Sallois, président de la Commission de récolement des dépôts d’œuvres d’art (logée au ministère de la culture et chargée de vérifier l'état des œuvres mises à disposition des différentes administrations), interrogé par Mediapart. Ce travail n’avait pas été fait rigoureusement pendant des décennies. » Et d'ajouter : « S’il y a des disparitions, il y aura des plaintes, comme pour les services du premier ministre. »
Déjà vingt-et-une disparitions d’œuvres déposées à Matignon depuis les années 1950 font l’objet d’une plainte au pénal, dont un fauteuil Louis-XV, des tapis d’Orient, une « lampe bouillotte à deux lumières » style Louis XVI ou encore une estampe de Poliakoff. « Les hommes ne se respectent plus les uns les autres, regrettait Antoine de Saint-Exupéry dans ses Écrits de guerre. Huissiers sans âme, ils dispersent aux vents un mobilier sans savoir qu'ils anéantissent un royaume. »
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