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Au grand bazar de la réforme territoriale

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Construire « une carte régionale pour les 50 ans qui viennent ». André Vallini, le secrétaire d’État de Manuel Valls chargé de la réforme territoriale, ne craint pas les superlatifs. Ne lui en déplaise, le gouvernement n’en est pas tout à fait là. Pour l'heure, depuis que François Hollande a décidé de redessiner la France, la carte des futures régions ne cesse d’être modifiée.

Mercredi, l’Assemblée nationale a commencé à discuter de la future organisation régionale de la France – ainsi que d’un report des élections régionales et cantonales de mars à décembre 2015, et d'une baisse de 10 % des élus régionaux. Le débat va durer toute la semaine. Il ne sera bouclé qu’à l’automne, après les élections sénatoriales du 28 septembre. D’ici là, la future carte administrative de notre pays pourrait bien évoluer encore, tant les projets actuels suscitent l'incompréhension, voire la colère.

Pendant deux ans, les doublons entre collectivités, les multiples échelons administratifs, tout cela n’était pas vraiment le souci de François Hollande. La réforme territoriale n’était pas à son programme présidentiel : il avait simplement annoncé un acte III de la décentralisation. Incarnation du notable local, le chef de l’État a d’abord brossé les élus dans le sens du poil.

Mais depuis la défaite des municipales, tout a changé. Impopulaire, incapable d’inverser pour l’heure la courbe du chômage et toujours dans l’attente des résultats d'un pacte de responsabilité qui n’est pas encore voté, François Hollande veut faire de cette réforme territoriale le signe que quelque chose bouge. En menant à bien une réforme que tous les gouvernements évoquent depuis trente ans sans jamais l’avoir faite, il compte se camper en réformateur audacieux. À l'Assemblée mercredi, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a parlé de « révolution ». « La mère des batailles », dit même Manuel Valls, qui se rêve en grand rénovateur d’une société bloquée.

Le 8 avril, lors de son discours de politique générale, le tout nouveau locataire de Matignon avait surpris en annonçant la suppression de la moitié des régions, celle des départements, et la fusion des d’intercommunalités. « Les régions pourront proposer de fusionner par délibérations concordantes. En l’absence de propositions, après les élections départementales et régionales de mars 2015, le gouvernement proposera par la loi une nouvelle carte des régions. Elle sera établie pour le 1er janvier 2017 », assure alors le premier ministre.

Mais cette feuille de route fixée évolue encore. Finies les discussions entre les régions ; un mois plus tard, François Hollande, soucieux d'imposer son autorité, décide d’« accélérer ». Début juin, l’Élysée dégaine une carte de 14 régions concoctée à la va-vite, établie en liaison directe avec les grands éléphants socialistes.

La première carte des régions proposée par l'ElyséeLa première carte des régions proposée par l'Elysée


Jusqu’à la dernière minute, le nombre de régions a varié. Les arbitrages n’ont eu lieu qu’au dernier moment. « Une réforme sur un coin de table », dénoncent à raison la droite, les centristes et le Front de gauche.  

Cette carte-là ne dure qu’un mois. Début juillet, le Sénat refuse de l'examiner : communistes, élus de droite et radicaux de gauche dénoncent pêle-mêle une réforme hâtive, justifiée au nom d’économie factices, mais aussi oublieuse de la ruralité et de la démocratie – le Front de gauche, l'UMP et les radicaux de gauche ont plaidé pour un référendum, refusé par les députés.

C’est donc une feuille blanche qui est revenue à l’Assemblée.

Ces dernières semaines, le groupe PS de l’Assemblée, mené par le rapporteur du texte Carlos Da Silva (un proche de Manuel Valls, son suppléant à l’Assemblée) a multiplié tête-à-tête et auditions avec les élus. Mardi 15 juillet, c’est donc une nouvelle carte qui sort de la réunion du groupe socialiste, à laquelle n’assiste qu’un tiers des 290 députés PS. 

Votée par 75 voix contre 21, elle ne compte plus que 13 régions. L’Aquitaine, esseulée dans le projet élyséen, se retrouve mariée au Limousin et à Poitou-Charentes (qui, dans un premier temps, auraient dû se fiancer avec le Centre) au grand dam, dit-on, de Ségolène Royal – même si un proche jure qu’« elle ne s’est mêlée de rien ».

La Picardie est rattachée au Nord-Pas-de-Calais, contre l’avis de la quasi-totalité des députés du Nord, mais aussi de la maire de Lille Martine Aubry.

Champagne-Ardenne, étrangement mariée à la Picardie dans le projet de François Hollande, se voit rattachée à l’Alsace. La Bretagne reste toujours seule : intime du chef de l’État, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian a eu gain de cause, contre l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault qui plaidait pour la fusion Bretagne-Pays-de-Loire. D'ici vendredi, des députés de tous bords vont proposer une série d’amendements proposant toutes sortes de variantes régionales. Il n’est donc pas exclu que cette carte évolue encore.

En deux mois, trois cartes des régions de France : cliquer ici pour afficher l’infographie de Libération.

À l’Assemblée, les socialistes ne s’en cachent pas : la nouvelle carte de France, fruit du seul dialogue des élus entre eux, ne repose pas sur de grands débats théoriques. « C’est du doigt mouillé », admet l’un d’eux. « La carte qui déclenche le moins de réactions négatives », dit un autre. Il n'est même plus question de le justifier par d'éventuelles économies, tout le monde reconnaissant désormais que la réforme n'en fera pas, et risque même de générer des surcoûts dans un premier temps, contrairement aux estimations fantaisistes avancées par le secrétaire d’État André Vallini, qui avait parlé de « 12 à 25 milliards d'économies ».

« Il y a tout de même un critère : réduire le nombre de régions pour être plus compétitif, assure Luc Carvounas, sénateur PS proche de Manuel Valls. Bruxelles ne comprend pas bien que la France ait des régions aussi petites. C’est une réforme structurelle qui doit nous permettre de mieux appliquer nos politiques publiques. »

En réalité, le souci du gouvernement est surtout d'incarner la réforme, le mouvement, ce fameux « changement » promis en 2012 et qui n'a pas eu lieu. Mercredi soir à l’Assemblée, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a raillé ceux qui souhaitent « des études complémentaires, des concertations, des symposiums, des états généraux, des Grenelle multiple pour dire qu’il est encore temps d’attendre et de ne pas décider ».

Les responsables de la majorité citent à l’envi ces rapports (Mauroy en 2000, Balladur en 2009, Raffarin en 2013) préconisant une suppression de la moitié des régions et qui n’ont jamais débouché.

« Depuis 30 ans, on dispose de plusieurs rapports et cela n’a rien changé, plaide Sébastien Denaja, responsable du texte pour le groupe PS. C’est le moment de décider, même si toute carte sera nécessairement imparfaite. » « La volonté du Président d’accélérer se comprend par sa volonté de réforme, mais elle a généré quelques problèmes de méthode », nuance Olivier Dussopt, rapporteur du texte sur les compétences des régions qui va suivre à l'automne, un proche de Martine Aubry. « Espérons que ce sera cohérent à la fin, plaide François de Rugy, coprésident du groupe écologiste de l'Assemblée nationale, favorable à un redécoupage. En France, ce genre de réorganisation s'est toujours faite par le haut, même si l'on aimerait que cela se fasse à partir des territoires ou de référendums locaux. La carte des départements a été faite en trois mois en 1789, et elle n’a jamais été remise en cause depuis. »

Sur de nombreux bancs, la méthode présidentielle est très contestée. À droite comme à gauche, beaucoup assurent qu'il aurait fallu d'abord discuter des nouvelles compétences des régions avant de parler de leurs frontières. Cela aurait évité, disent-ils, de jeter une carte dans le débat public en prenant le risque de laisser chaque élu de la Nation se transformer en petit avocat de son territoire.

« Hollande fait de l’autorité sans avoir l’autorité, c’est toujours pareil », peste un député de la majorité. « C'est du n’importe-quoi territorial, sans ligne directrice, s'agace l'UMP Valérie Pécresse. Une manœuvre de diversion pour que "dessinez-moi les régions" soit le grand jeu de l’été, et que les élus ne parlent plus des vrais problèmes, comme l'emploi ou le logement. » « Dans une démocratie normale, on aurait assigné des objectifs et des critères à cette réforme, déplore l'UDI François Rochebloine. Nous aurions parlé de compétences, d'efficience et de proximité. Une nouvelle fois, la méthode est insupportable ! » « Cette réforme méprise les élus locaux, elle fait des parlementaires des simples bricoleurs des limites régionales et trompe les citoyens sur les véritables enjeux, qui sont de confisquer les pouvoirs locaux. Elle décrédibilise toutes les valeurs de la gauche », tonne André Chassaigne (Front de gauche).

Au sein du PS, les projets actuels de redécoupage suscitent d'ailleurs la furie de certains grands élus socialistes. Dans le Nord, Martine Aubry et des élus PS ont fustigé l'« aberration économique et sociale » que représenterait la fusion du Nord-Pas-de-Calais et de la Picardie, décidée, selon eux, « sans discussion et brutalement ». « Les conséquences de cette fusion seraient extrêmement préoccupantes pour les habitants de nos collectivités, compte tenu qu'il s'agit de deux régions parmi les moins riches de la métropole », assurent-ils.

De concert avec l'UMP, des socialistes alsaciens déplorent le rattachement de la Champagne-Ardenne à l'Alsace-Lorraine. Les socialistes du Centre (désormais esseulé) réclament eux aussi une solution, par exemple un rattachement avec Pays de la Loire, région solitaire elle aussi faute de rattachement avec la Bretagne. Le député socialiste béarnais David Habib annonce qu'il refusera de voter la fusion Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes, « une humiliation » pour le « Sud atlantique »

Martine Aubry, hostile à la carte proposée par le groupe socialisteMartine Aubry, hostile à la carte proposée par le groupe socialiste © Reuters

Déjà, certains présidents de conseil général menacent de demander à changer de région, en profitant du droit d'option inclus dans la loi qui permettra ces changements à partir de 2016  – une condition posée par les écologistes pour voter la réforme. Dans le Jura, Christophe Perny aimerait quitter la Franche-Comté pour rejoindre la future région Rhône-Auvergne. Dans l'Aude, André Viola menace de délaisser Languedoc-Roussillon pour Midi-Pyrénées. Craignant une résurgence des revendications type Bonnets rouges, le gouvernement sanctuarise la Bretagne actuelle. Mais les élus bretons n'excluent pas un futur mariage avec le seul département de Loire-Atlantique. « On n'est pas la Crimée », leur répond en privé le président des Pays de la Loire, Jacques Auxiette. « Et si Nantes part des Pays de la Loire, il n'y aura plus qu'à reconstituer le pays chouan… », s'amuse un élu proche de Jean-Marc Ayrault.

Pour l'heure, la cacophonie est à peu près totale. Elle devrait durer. La deuxième lecture du texte n'interviendra qu'à l'automne, une fois les élections sénatoriales du 28 septembre passées. À ce moment-là, la Haute Assemblée sera sans doute repassée à droite. La droite sénatoriale propose de plancher sur une nouvelle carte si elle est alors majoritaire. Le Sénat pourrait vite se transformer en bastion de la résistance contre la réforme anti-Hollande. À l'Assemblée, le débat reviendra au moment des feuilles d'impôts et du vote du budget 2015, qui prévoit 20 des 50 milliards d'économies (d'ici 2017) : le moment politique sera risqué.

Une fois la nouvelle carte validée, et les élections fixées à décembre 2015, le gouvernement devra ensuite s'atteler au deuxième texte « portant nouvelle organisation territoriale de la République ». Le deuxième volet de la réforme, le véritable texte de fond. Sans supprimer les départements (il faudrait pour cela une réforme constitutionnelle, ce dont le gouvernement s'est aperçu un peu tard), il leur enlève la gestion des collèges, des routes et des ports, supprime leur clause de compétence générale, tout en leur laissant le soin de subventionner les communes – base du clientélisme local à l'échelle départementale.

Il donne aux régions des pouvoirs accrus, notamment en matière économique, de développement durable et et de transports. Il fait passer la taille minimale des intercommunalités de 5 000 à 20 000 habitants, ce qui provoquera de nombreuses fusions.

Mais il ne dit rien de l'avenir des départements après 2020, date théorique de leur suppression. Ni de la façon dont seront exercées leurs compétences en matière d'action sociale. Déjà, des présidents de conseils généraux s'organisent pour ne pas disparaître, au nom de la « proximité et de la solidarité ». Le député de Dordogne Germinal Peiro vient de créer avec 70 députés socialistes un groupe de travail pour la défense des conseils généraux en milieu rural. Leur inquiétude, partagée par le Front de gauche : que la réforme territoriale ne s'accompagne d'une grande cure d'austérité dans les services publics, alors que l’État va priver les collectivités locales de 11 milliards d'euros de dotations sur trois ans.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : L’accélération 3D des cartes ATI radeon 7xxx avec le driver libre arrive dans Debian


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