Personne ne manquait à l’appel. De Serge Dassault à Jean-Claude Mailly (FO), de Frédéric Saint-Geours, responsable de l’UIMM, aux patrons de PME, le ban et l’arrière-ban du patronat et des syndicats, des corps constitués économiques et sociaux de la République se pressaient, ce 10 juillet, dans la grande salle de conférences de Bercy pour écouter Arnaud Montebourg.
Depuis plusieurs jours, l’entourage du ministre de l’économie et du redressement productif avait distillé les petites phrases. Cela allait être un grand discours programmatique sur le redressement économique de la France, promettait-on. Celui où Arnaud Montebourg ferait entendre sa tonalité politique, trois mois après avoir choisi de rester dans le gouvernement de Manuel Valls. Rien donc n’avait été laissé au hasard, même la date. Juste après la « grande conférence sociale », juste après le vote à l’Assemblée nationale approuvant le pacte de responsabilité. Des moments qui risquent de peser très lourd dans la mémoire de la gauche, mais pas pour Arnaud Montebourg, apparemment.
Alors que la gauche, jusqu’au sein des rangs du parti socialiste, se désespère du revirement du gouvernement, et dénonce une alternance libérale qui ne dit pas son nom, le ministre de l’économie fait sa relecture politique des derniers événements. À l’entendre, toutes les concessions faites au patronat ces derniers mois, les 20 milliards du crédit impôt compétitivité emploi (CICE), les 40 milliards d’allégements supplémentaires consentis aux entreprises dans le cadre du pacte de responsabilité, l’abandon du compte pénibilité sous la pression du Medef, le départ d’une partie des fédérations syndicales refusant de continuer à cautionner plus avant le simulacre de la concertation sociale, ne signifient pas l’épuisement du modèle social-démocrate, la défaite de la gauche face à un libéralisme plus intransigeant que jamais, la perpétuation d’une lutte des classes au profit des plus riches. Tous ces concepts de gauche ne semblent pas être de mise dans l’analyse d’Arnaud Montebourg.
Toutes les dernières décisions du gouvernement relèvent, selon lui, d’une autre lecture : révolutionnaire. Le CICE, le pacte de responsabilité et tout le reste, c’est l’union des Français face à la patrie en danger, c’est la France révolutionnaire montant à Valmy pour tenir tête dans la guerre économique. L’audace est requise : « Cette union de tous les Français autour du made in France, cette bataille culturelle pour le patriotisme économique conduit la France peu à peu vers une transformation progressive de son modèle économique. Un moment tentés par le modèle anglo-saxon libéral et financier, nous voici en train de revenir à un modèle entrepreneurial solidaire, productif et innovant. Nous nous serrons les coudes pour renforcer et soutenir nos producteurs. Nous nous battons pour modérer nos coûts de production, nous nous organisons pour réinventer nos productions. » La salle écoutait bouche bée, vaguement interloquée.
Les talents oratoires d’Arnaud Montebourg ne suffisaient pas à masquer le malaise. Le fiasco de la grande conférence sociale planait dans l’assistance. Comment évoquer la grande union nationale autour des entreprises, quand les syndicats sont acculés à la politique de la chaise vide, quand le patronat ne cesse de montrer son visage le plus rabougri, réclamant toujours plus d’allégements, toujours plus d’aide, toujours plus de renonciation sociale sans s’engager sur la moindre contrepartie ?
Le ministre de l’économie ne pouvait éviter l’écueil. « En retour, la Nation et toutes ses composantes sont en droit d’attendre que cet effort crée des devoirs (...). Voilà pourquoi je lance un appel aux patrons petits et grands : c’est la première fois que les entreprises sont au centre de la préoccupation publique et politique, les Français vous soutiennent en faisant le sacrifice historique de 40 milliards de baisse d’impôts. C’est le moment de faire de cette politique un compromis historique populaire : donnez aux Français, en contrepartie, à voir votre sens patriotique en créant de l’activité en France, en embauchant autant que vous le pouvez et en investissant dans votre appareil productif », insista-t-il. Il y avait dans les mots quelque chose d’implorant, la légère vibration d’un responsable qui sait qu’il est en train de liquider sa base politique, de brûler ses vaisseaux, sans savoir s’il sera payé de retour. L’histoire de ce gouvernement.
Refusant l’impuissance de l’État, Arnaud Montebourg veut voir dans le décret du 14 mai une illustration que l’action politique est toujours possible en matière économique. Ce décret, pris dans l’urgence de l’affaire Alstom, permet à l’État de s’opposer à la prise de contrôle d’entreprises travaillant dans un certain nombre de secteurs stratégiques (eau, énergie, transport, télécommunications) par des groupes étrangers. Il vient d’être validé par la commission européenne, s’est félicité le ministre de l’économie. C’est à peu près la seule fois où Arnaud Montebourg a eu un mot aimable pour Bruxelles.
Pour le reste, il a très vite retrouvé un exercice bien rodé désormais : la critique féroce des politiques d’austérité imposées à toute l’Europe par la commission européenne, et de l’euro fort décrété par la Banque centrale européenne. Arnaud Montebourg cita sans se lasser les chiffres plus catastrophiques les uns que les autres de la croissance, du chômage, de l’investissement dans toute l’Europe. « Félicitations à l’Europe ! Nous sommes dans le tableau d’honneur de l’explosion du chômage », lança-t-il. Les économistes de toutes obédiences, de Joseph Stiglitz à l’OCDE en passant par l’économiste en charge du modèle multinational à la commission européenne furent invoqués à l’appui de la démonstration des erreurs européennes. « Nul ne devrait laisser l’économie à des comptables moralistes, surtout lorsqu’ils ont des idées rigides », lança-t-il. Avant de reprendre les accusations de Matteo Renzi, qualifiant le pacte de stabilité de pacte de stupidité. La règle des 3 % est d’urgence à oublier, selon lui, en ces temps de déflation.
Le président du conseil italien a manifestement frappé les esprits chez les socialistes français. Sa façon de prendre le pouvoir, ses critiques contre la politique européenne, ses tentatives pour se négocier des marges de manœuvre, son programme social-libéral font école. Alors qu’il vient de prendre début juillet la présidence de l’Union européenne, le gouvernement français s’est rangé derrière lui à Bruxelles. Arnaud Montebourg n’échappe pas à l’attraction italienne et met ses pas dans ceux de Matteo Renzi.
La commission européenne a fait une première concession lors du dernier sommet en acceptant le principe d’une certaine flexibilité dans le retour aux critères de Maastricht. Mais pour Arnaud Montebourg, cette première inflexion doit se concrétiser dans les faits. Allant plus loin, il demande un nouveau partage entre les économies et la croissance. « Un tiers des économies réalisées serait affecté à la réduction du déficit public, garantissant notre sérieux budgétaire et la poursuite de l’assainissement des comptes publics ; un tiers serait affecté à la baisse des prélèvements obligatoires, ce sont là les engagements purs et simples du pacte de responsabilité et notre révolution compétitive ; un derniers tiers serait affecté à la baisse de la pression fiscale sur les ménages afin d’améliorer leur pouvoir d’achat », propose-t-il.
Ce nouveau pacte est sa façon de se démarquer – légèrement – de Manuel Valls. Le premier ministre a déjà promis un allégement fiscal de 5 milliards d’euros pour les ménages à partir de 2015. Le ministre de l’économie réclame 18 milliards pour les classes moyennes, « les grandes victimes de la crise ».
Mais ce n’est qu’un des points du grand programme d’Arnaud Montebourg. Le ministre de l’économie se donne pour mission d’être un « grand transformateur » de l’économie. Il évoque tous les précédents, revendique toutes les expériences. De Colbert à Mendès France, en passant par Roosevelt et Marshall, personne ne fut oublié. Comme eux, son intention est de lutter contre « la rente et le monopole ».
En prenant le pouvoir, Matteo Renzi avait dressé un plan d’action gouvernementale, les grandes réformes – allant de la loi électorale aux lois sur le travail – qu’il entendait réaliser dans les premiers cent jours de gouvernement. Arnaud Montebourg a lui aussi sa « feuille de route », plus modeste : il entend présenter une grande loi « de croissance et de pouvoir d’achat » à la rentrée.
Une des mesures phares devrait être la remise en cause d’un certain nombre de professions réglementées (huissiers, avocats, pharmaciens, opticiens, notaires, etc). Cette réforme a toutes les chances de plaire à la commission européenne : dans tous les plans de sauvegarde, une des premières préconisations de la Troïka a été l’abolition de toutes ces professions protégées, considérées comme un obstacle à la concurrence. Le ministre de l’économie chiffre la suppression de ces monopoles à 6 milliards d’euros, qui « seront restitués en pouvoir d’achat aux Français ».
Dans son plan, le ministre de l’économie prévoit aussi un programme de grands travaux, destinés à relancer la croissance. Roosevelt avait lancé dans les années 30 son grand programme d’aménagement, la Tennessee Valley. Arnaud Montebourg veut lui aussi des barrages, des aménagements de ports, de la fibre optique partout.
Mais où trouver l’argent dans ces temps de restriction budgétaire ? L’État, dit-il, est prêt à mettre au service de ce grand projet ses rares ressources disponibles. Le ministre de l’économie veut aussi solliciter les fonds européens. Mais il compte surtout sur le privé. Tous ces projets doivent être réalisés sous le sceau de la grande alliance entre le public et le privé, le partenariat. Puisqu'on vous dit qu'il s'agit d’union nationale.
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