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Hippodrome de Compiègne : deux ex-ministres contredisent Eric Woerth

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Deux anciens ministres de l’agriculture, Hervé Gaymard et Bruno Le Maire, ont été récemment entendus comme témoins par la Cour de justice de la République (CJR), et ont contredit Éric Woerth au sujet de la vente controversée de l’hippodrome de Compiègne (Oise), selon des documents inédits dont Mediapart a pu prendre connaissance. Ex-ministre du budget de Nicolas Sarkozy, actuel député et maire (UMP) de Chantilly (Oise), Éric Woerth est placé sous le statut de témoin assisté dans ce dossier depuis le 4 mai 2011. Il est soupçonné d’avoir bradé l’hippodrome du Putois et 57 hectares de terrains forestiers appartenant à l’État, et inaliénables, situés en lisière de la forêt domaniale du château de Compiègne. Cela, pour faire plaisir à son voisin Philippe Marini, l’influent sénateur et maire (UMP) de cette ville. Éric Woerth risque une possible mise en examen pour « prise illégale d’intérêts » dans cette affaire.

Ministre de l’agriculture de 2002 à 2004 (il est par ailleurs président du conseil d’administration de l’Office national des forêts depuis 2010, et député UMP), Hervé Gaymard a été interrogé le 7 avril dernier par la commission d’instruction de la CJR.

Hervé GaymardHervé Gaymard © Reuters

Alors ministre de tutelle, Hervé Gaymard avait refusé catégoriquement, dans un courrier du 13 août 2003, de céder l’hippodrome et les terrains forestiers inaliénables que voulait déjà acquérir la Société des courses de Compiègne (SCC), le locataire des lieux, qui obtiendra finalement gain de cause grâce à Éric Woerth en 2010, sept ans plus tard. « Compte tenu de la législation concernant les forêts domaniales, je vous informe qu'une cession par vente n'est pas possible. En revanche, un échange serait envisageable si la Société des courses de Compiègne offrait un terrain forestier de la même importance et d'une valeur suffisante », avait écrit le ministre de l’agriculture à la SCC.

« Le contenu de cette lettre répond à une demande qui ne m'a pas été adressée personnellement, et qui concernait un dossier dont je n'avais, jusqu'alors, pas connaissance », répond d’abord Hervé Gaymard aux magistrats de la commission d’instruction de la CJR. « J'ai donc demandé à celui de mes collaborateurs qui traitait le dossier, M. Daniel Caron, inspecteur général de l'agriculture, en fonction à mon cabinet, les explications nécessaires. Il m'a indiqué que la vente n'était pas possible sans autorisation légale de déclasser le domaine concerné. Par ailleurs, l'échange qui est évoqué dans la même lettre est bien soumis à la condition d'une offre d'un terrain de même importance et d'une valeur équivalente, ce qui en l'état, n'était pas le cas. Vous me demandez si je me suis interrogé sur l'éventualité d'un cas de dérogation à l'exigence d'une autorisation légale. Je vous répondrai que l'hypothèse d'une dérogation n'a pas été évoquée par mes services qui m'ont présenté la doctrine du ministère comme étant inflexible, s'agissant du domaine forestier de l'État ; je partageais d'ailleurs cette conception. »

Questionné par la CJR sur le statut inaliénable de l’hippodrome et des terrains forestiers dans lesquels il est imbriqué, Hervé Gaymard se montre très clair. « En droit, la question m'a été exposée de manière assez simple. Le domaine de l'hippodrome de Compiègne faisait partie de la forêt domaniale de Compiègne. C'est sur ce fondement que j'ai opposé un refus. Il n'était pas question à ce stade de savoir si, en fait, le domaine de l'hippodrome constituait véritablement une forêt en raison de son boisement. »

Interrogé sur la déposition d’Éric Woerth, qui estimait le 24 octobre 2013, devant les mêmes juges, que Hervé Gaymard avait agi en 2003 « en porte-parole de son administration », et que le ministre du budget est, depuis 2009, le seul représentant de l’État propriétaire (France Domaine étant chargé de céder des biens non stratégiques), l’actuel président du conseil d'administration de l’ONF se montre plus que réservé. « Il ne m'appartient pas de commenter les déclarations de M. Woerth. En ce qui me concerne, j'estime qu'en 2003, je n'ai fait qu'appliquer la loi dans le contexte de la gouvernance de l'époque », répond Hervé Gaymard. « Après 2009, les règles de cette gouvernance ont changé et le ministre du budget en a tiré les conséquences qui lui paraissaient s'imposer. Je n'ai pas à approuver ou à désapprouver sa manière de voir. »

L’ancien ministre de l’agriculture ne se prononce pas sur le prix de la cession fixé hâtivement par France Domaine, 2,5 millions d’euros, alors que les installations et l’hippodrome valent au bas mot 8,3 millions selon les experts désignés par la CJR et dont Mediapart a révélé les conclusions. En revanche, Hervé Gaymard ne se prive pas de critiquer la manière dont l’affaire a été menée par son collègue du budget, c’est-à-dire un passage en force, sans tenir compte des avis du ministère de l’agriculture et de l’ONF.

« Je pense qu'il aurait été effectivement normal de consulter le ministère de l'agriculture lequel aurait été en mesure, en raison de la connaissance qu'il pouvait avoir du bien concerné, de faire valoir ses arguments », répond-il aux juges de la CJR. Enfin, sur un dernier point, Hervé Gaymard tacle carrément Éric Woerth, qui expliquait la position du ministère de l’agriculture sur la vente de l’hippodrome par son opposition farouche, à la même époque, au projet (abandonné depuis) de transférer le siège de l’ONF de Paris vers cette même ville de Compiègne.

« La question de la vente de l'hippodrome est, à mon avis, indépendante du transfert du siège de l'ONF. Sur le fond, j'ai toujours estimé que les transferts des sièges des établissements publics étaient généralement coûteux et inefficaces. La mise en cause des responsables du ministère de l'agriculture, à cet égard, me paraît relever du procès d'intention », lâche Hervé Gaymard.

Enfin, Éric Woerth ayant évoqué en termes choisis un parti pris de l’ONF dans cette affaire – « je pense que tout ce qui pouvait apparaître comme bénéfique pour la ville de Compiègne était considéré à l'époque par l'ONF comme contraire à ses intérêts, du fait du litige concernant sa délocalisation à Compiègne » –, Hervé Gaymard met les choses au point.

« Je ne commenterai pas ces déclarations, telles que vous venez de me les rappeler, de M. Woerth. Je souhaite simplement faire trois remarques », déclare Hervé Gaymard. « La première est que l'on ne peut pas reprocher à des fonctionnaires de l'État de veiller à ce que les textes en vigueur soient appliqués. La deuxième est que, dans le dossier particulier de l'hippodrome de Compiègne, il n'a pas existé une "obsession anti-compiégnoise". La réaction du personnel de l'ONF, qui rejoignait d'ailleurs la mienne, aurait été la même quel que soit le lieu de délocalisation projeté. Troisièmement, si l'État doit changer sa politique domaniale, il doit le faire de façon claire, sous l'autorité du premier ministre, si les ministres sont en désaccord. Je pense, sur ce dernier point, que la source des difficultés réside principalement dans le décalage entre la réforme de la politique de gouvernance des biens de l'État d'une part, et le maintien des dispositions propres au code forestier qui reste, à mon avis, pleinement justifié, d'autre part. » Fermez le ban.

Bruno Le Maire, qui a été ministre de l’agriculture de 2009 à 2012, et est actuellement député (UMP), a pour sa part été interrogé comme témoin le 17 janvier dernier par la commission d’instruction de la CJR. Entretenant des relations « tout à fait cordiales » avec son collègue Éric Woerth, Bruno Le Maire entend parler incidemment du projet de cession de l’hippodrome et des terrains forestiers de Compiègne en juin 2009. À la fin de cette même année 2009, le ministre de l’agriculture apprend que la vente s’est décidée sans lui, alors qu’il est mobilisé à temps complet par la crise du lait.

« Dans ce contexte-là, je suis informé par mon directeur de cabinet, Pascal Viné, dans le courant du mois de novembre 2009, que la vente de l'hippodrome se fait », commence Bruno Le Maire. « À l'époque, je n'ai jamais entendu parler de l'hippodrome de Compiègne et cela me semblait un sujet, au regard des autres, accessoire et technique. Le point important, à mes yeux, est que le ministère de l'agriculture est mis devant le fait accompli. En novembre 2009, je donne deux instructions à mon directeur de cabinet: la première instruction est de traiter ce dossier au niveau des cabinets, la deuxième est de défendre les intérêts des forêts domaniales dont j'ai la responsabilité. Ces deux angles ont guidé mon action d'une manière constante dans cette affaire », déclare Bruno Le Maire.

Bruno Le MaireBruno Le Maire © Reuters

Selon lui, le passage en force du ministre Woerth est manifeste. « Je savais, au vu de la description que mes collaborateurs m'en avait faite, qu'il y avait un débat très complexe sur le statut juridique de l'hippodrome de Compiègne, mais je ne suis jamais entré dans ce débat. L'élément essentiel sur lequel mon attention avait été appelée, était que nous avions été mis devant le fait accompli. En effet, si le processus de la vente lui-même relevait de la compétence du service des Domaines, je ne pouvais que réagir à la manière dont il m'avait été présenté et ma responsabilité de ministre chargé de la défense des forêts me conduisait à cette réaction. Vous me demandez quelle aurait été la voie normale du processus de vente. Je vous réponds que le processus de vente normal aurait été qu'un accord intervienne entre le ministère du budget, d'une part, et le ministre de l'agriculture, d'autre part. C'est précisément pour cette raison que j'ai donné pour instruction à mon directeur de cabinet, M. Viné, de rechercher une solution entre les deux cabinets. »

Les juges demandent à Bruno Le Maire s’il avait eu connaissance du refus de vendre exprimé par son prédécesseur Hervé Gaymard, déjà sollicité par la SCC en 2003. « Je n'avais pas connaissance du courrier en tant que tel à M. Gaymard, mais lorsque mon directeur de cabinet m'a parlé de cette affaire, en novembre 2009, il m'a indiqué que ce n'était pas la première fois que le problème de la cession se posait et que nous avions, à cet égard, une politique constante de refus », répond-il.

L’hypothèse d’un échange de terrains forestiers n’a pas retenu l’attention de Bruno Le Maire. « Je ne suis pas entré dans le détail de la manière dont une procédure, tel un échange, pouvait être envisagée. Le statut juridique du domaine de l'hippodrome de Compiègne n'était pas non plus ma préoccupation principale et je concevais qu'une discussion puisse s'engager sur ce sujet. En revanche, je répète que je ne pouvais admettre qu'une décision m'ait été présentée comme prise au sujet de biens dont j'avais la responsabilité. Vous me demandez si la décision m'a été présentée comme ayant été prise au niveau du cabinet du ministre du budget ou à celui du service des Domaines. Je n'ai pas un souvenir précis sur ce point. Pour moi, la décision avait été prise sans l'accord de mon ministère et c'est ce qui importait. »

Au vu du dossier, le parcours de la demande faite par la Société des courses de Compiègne est très politique. Le président de la SCC, Antoine Gilibert, est membre de l’UMP et surtout un ami proche de Philippe Marini, lui-même membre de la SCC. Lors des perquisitions, des documents ont été découverts indiquant que la SCC voulait créer un restaurant panoramique dans l’hippodrome, et valoriser le site pour accroître ses recettes. La lettre du 15 mai 2009 dans laquelle la SCC dit son souhait d’acquérir l’hippodrome est remise par son président d’honneur, Armand de Coulanges, à son ami Christian Patria, un cacique local de l’UMP, député puis suppléant d’Éric Woerth, et également membre de la SCC. Le ministre Woerth, lui, transmet cette lettre directement à son conseiller chargé de la politique immobilière de l’État, Cédric de Lestranges, pour enclencher le processus de vente. Le ministère de l’agriculture et l’ONF n’en sont pas encore avisés.

Bruno Le Maire se montre assez critique sur cette façon de faire. « Je ne peux émettre d'avis particulier sur la manière dont cette demande a été présentée sinon qu'il aurait été opportun, à mon sens, de la part du demandeur, d'en adresser une copie au ministère de l'agriculture qui en a la tutelle. Vous me demandez si j'estime que le cabinet du ministre du budget aurait dû informer immédiatement mon ministère de cette demande. Je pense qu'une telle réaction aurait permis d'éviter les difficultés qui sont ensuite apparues compte tenu de la position constante émise sur ce sujet par mon ministère. Toutefois, je conçois que la question ait pu, à ce stade, apparaître comme une question technique qui n'impliquait pas automatiquement l'information immédiate du ministère de l'agriculture », déclare l'ex-ministre.

Pour finir, Éric Woerth s’est passé de l’avis de Bruno Le Maire, qui a réagi en sollicitant un arbitrage de Matignon lequel s’est fait à ses dépens. Le ministre de l'agriculture recevra tout de même en copie la lettre d’Éric Woerth à Antoine Gilibert, le 29 octobre 2009, dans laquelle le ministre du budget indique au président de la SCC qu’il a obtenu l’accord de l’État.

« Cette lettre respecte la procédure administrative normale dès lors qu'elle m'est adressée en copie », indique Bruno Le Maire aux juges qui l’interrogent. « Ce courrier m'a effectivement été montré par mon directeur de cabinet début novembre 2009 lorsque nous avons eu notre premier entretien concernant l'hippodrome de Compiègne. À la suite, je lui ai donné les instructions dont je vous ai précédemment parlé. J'aurais pu considérer que, cette lettre étant signée de mon collègue chargé du budget, il n'y avait pas lieu de réagir. J'ai néanmoins estimé, après en avoir parlé avec mon directeur de cabinet, qu'une réaction de ma part était nécessaire pour défendre la position de mon ministère. Je précise que la question essentielle à ce stade était que la procédure administrative normale soit respectée pour que la position de mon ministère soit entendue. »

Pour Éric Woerth, qui a agi en toute hâte, au motif affiché de réduire la dette en cédant des biens, cela même alors que la vente de l'hippodrome a rapporté peu d’argent à l’État, l'affaire de Compiègne était visiblement de la plus grande importance. Le ministre du budget avait demandé à ses collaborateurs de le tenir informé du dossier. Un détail éclaire le climat qui entourait ce dossier : dans un mail au ton pressant, adressé le 26 novembre 2009 à un conseiller de Bruno Le Maire, le directeur de cabinet d’Éric Woerth, Sébastien Proto, faisait état de l’éventualité, en cas d’échec de la vente, d’une « forte réaction » du sénateur et maire de Compiègne, Philippe Marini.

Eric WoerthEric Woerth © Reuters

La Société des courses avait-elle reçu discrètement des assurances de devenir enfin propriétaire des terrains forestiers de Compiègne, par des circuits politiques ? Curieusement, dès le mois de mars 2009, l’ONF reçoit pour instruction de ne plus facturer la SCC, son locataire, alors que la future cession n’est pas encore décidée, et qu'elle ne deviendra effective qu'avec l'arrêté pris par Éric Woerth le 16 mars 2010. En effet, selon des documents découverts par les policiers de la brigade financière, dès le 20 mars 2009, une curieuse mention « Ne plus facturer. Cession » apparaît sur la redevance que l’ONF envoyait habituellement à la SCC. Une bizarrerie de plus dans un dossier qui n’en manque pas.

Par ailleurs, une fois devenue propriétaire de l’hippodrome et des terrains forestiers, la Société des courses a aussitôt tenté d’évincer l’association du golf de Compiègne, son sous-locataire, cela pour récupérer ses installations. Celle-ci a répliqué, et l’affaire est actuellement entre les mains de la justice.

Eric WoerthEric Woerth

Dans le volet non ministériel de l'affaire de la vente des terrains forestiers et de l'hippodrome, les juges d’instruction parisiens René Grouman et Roger Le Loire sont chargés depuis 2011 d’une information judiciaire pour abus d’autorité et recel, complicité et recel de prise illégale d’intérêts, trafic d’influence et recel, favoritisme et recel. En novembre 2012, les deux juges d’instruction ont placé sous le statut de témoin assisté Antoine Gilibert, le président de la SCC, et Armand de Coulange, son prédécesseur, mais ils n’ont procédé à aucune mise en examen à ce jour.

Malgré les procédures judiciaires, la vente controversée de l’hippodrome n’a pas été remise en question par l’État après l’élection de François Hollande. Le ministre du budget Jérôme Cahuzac a, au contraire, commandé une courte étude juridique à l’une de ses connaissances, le professeur, Rapport Terneyre – un rapport payé 15 000 euros hors taxes, selon des informations obtenues par Mediapart –, pour conclure que la vente n’était pas forcément illégale, et ne rien faire. Ses successeurs à Bercy, Bernard Cazeneuve puis Michel Sapin, n’ont pas bougé. C’est un syndicat forestier, le Snupfen, rejoint par des députés écologiques, qui a sollicité l’annulation de la vente de l’hippodrome devant le tribunal administratif de Paris. Débouté de sa demande, le Snupfen a fait appel, et l'affaire suit son cours.

Témoin assisté dans l’affaire de Compiègne, Éric Woerth a d’autres soucis avec la justice. Il doit en effet comparaître prochainement en tant que prévenu dans deux procès à hauts risques qui concernent l’affaire Bettencourt. Il sera d’abord jugé pour « recel » dans le volet principal de l’affaire Bettencourt, avec une dizaine d'autres prévenus, à partir du 26 janvier et pendant 5 semaines devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. Il comparaîtra ensuite, lors d’un second procès, pour « trafic d’influence », en mars, toujours à Bordeaux, cette fois-ci au sujet de la Légion d’honneur accordée à Patrice de Maistre pour le remercier d'avoir embauché son épouse, Florence Woerth, auprès de Liliane Bettencourt.

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