Chez Event & Cie, le comptable qui a fabriqué les fausses factures à la pelle s'est laissé gagner par la flemme. Après avoir inscrit des montants variés, peaufinés au centime près pour plus de crédibilité, il a fini par copier-coller la somme de 299 000 euros tout rond sur toutes les feuilles.
Au total, ce sont 58 fausses factures que cette filiale événementielle de Bygmalion a adressées en 2012 à l'UMP, pour l'organisation de réunions thématiques supposément consacrées, entre janvier et juin, à la « Fiscalité anti-délocalisation » ou aux « Ultra-marins de l'Hexagone », à l'évidence bidons, pour un total de 14 956 036 euros. Mediapart publie ces documents pour la première fois dans leur intégralité, après que Libération en a révélé l'existence le 14 mai dernier.
Tous ces documents sont à consulter ci-dessous :
Ces fausses factures ont été archivées par Event & Cie sur une clef USB qui contient la comptabilité interne de l'entreprise et que nous avons récupérée, deux semaines après les enquêteurs de l'Office anti-corruption de Nanterre (lire ici notre enquête). D'après des témoignages internes à l'entreprise, confirmés par les aveux de Jérôme Lavrilleux (l'ancien directeur de campagne adjoint de Nicolas Sarkozy), l'UMP de Jean-François Copé a réglé ces 15 millions d'euros à la place du candidat Sarkozy, en toute illégalité et en pleine connaissance de cause.
En effet, celui-ci n'a déclaré que 4,3 millions d'euros de prestations d'Event & Cie dans son compte de campagne alors qu'il en avait pour 21,2 millions d'euros (d'après les chiffres de la société stockés sur la clef USB), afin de masquer l'explosion de ses dépenses au-delà du plafond légal. Presque 17 millions d'euros de frais de meetings ont ainsi été dissimulés aux autorités de contrôle. Pour qu'Event puisse tout de même les encaisser, ils ont été imputés à l'UMP, grâce aux 58 factures et « conventions » fictives.
Comme il a fallu trouver autant d'intitulés de réunions, tous les dadas de la droite y sont passés : « L'entreprenariat », la « Revalorisation du travail », « Finances publiques : équilibre budgétaire », « La Règle d'or », etc. Vite à court, Event & Cie a réquisitionné des sujets plus iconoclastes : « Entreprendre en Afrique et en Asie », « Réflexion autour du manifeste pour une cité verte » ou encore « Rencontres des entreprises du paysage ». Et même des thématiques de gauche, en désespoir de cause : « L'homoparentalité » ou « la sauvegarde du régime par répartition ». En réalité, en pleine campagne présidentielle, un parti ne réfléchit plus, il s'exécute – le programme de l'UMP était évidemment bouclé depuis la fin 2011.
L'ensemble de ces fausses conventions ne permettant pas d'atteindre les 17 millions d'euros nécessaires, un certain nombre de prestations bien réelles, légitimement réglées par le parti, ont par ailleurs été surfacturées par Event & Cie. Par exemple, la réunion du 14 avril 2012 sur « les printemps africains » avec Jean-François Copé, dont le prix réel était de 121 979 euros d'après la comptabilité interne d'Event, a finalement été facturée 557 948 euros (hors taxe) à l'UMP. De même, la soirée du second tour à la Mutualité, au prix réel de 474 608 euros, a été payée 599 343 euros par le parti (hors taxe).
Placé en garde à vue mardi 17 juin, Jérôme Lavrilleux a commencé à détailler ce vaste système aux enquêteurs de l'Office anti-corruption de Nanterre, saisis depuis le 5 mars d'une enquête préliminaire sur des soupçons de « faux », « abus de confiance » et « abus de bien social ». Les policiers explorent également l'hypothèse d'une affaire dans l'affaire : certains acteurs n'auraient-ils pas siphonné des fonds au passage ?
S'agissant du trucage du compte Sarkozy, l'ancien bras droit de Jean-François Copé a d'ores et déjà mouillé l'ex-directeur de campagne, Guillaume Lambert (voir les déclarations de son avocat à Mediapart ici), ainsi que l'ex-directeur général des services de l'UMP, Éric Cesari, qui démentent tous deux avoir eu connaissance de ces fraudes. Mais démêler toutes les responsabilités, celles de Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy potentiellement, prendra du temps.
En parallèle, plusieurs plaintes ont été déposées, la première par le député « filloniste » Pierre Lellouche, dont le nom s’est retrouvé sur une facture pour la pseudo « Conférence sur l'accès au crédit » du 30 mai 2012. Fin mai, il a saisi la justice pour « usurpation d'identité ».
Comme annoncé, Jean-François Copé a également déposé plainte contre X... et au nom de l'UMP, le 6 juin, neuf jours avant sa démission de la présidence du parti. Le triumvirat qui lui a succédé (Fillon, Juppé, Raffarin) se réserve toutefois le droit de déposer une plainte supplémentaire, de son cru, « pour envoyer un signal fort », précise-t-on dans leur entourage. « On est en train d’étudier cela avec nos avocats. »
De leur côté, les députés Pierre Morel-A-L’Huissier (Lozère) et Étienne Blanc (Ain), partisans de Jean-François Copé en 2012 et avocats de formation, sont aussi passés à l'acte le 18 juin dernier. « Nous avons (…) l’honneur de porter plainte contre X pour toutes qualifications qui pourraient se révéler utiles », ont-ils écrit au procureur de Paris.
« C’est une opération vérité que tout adhérent à l’UMP est en droit de faire, explique Pierre Morel-A-L’Huissier à Mediapart. J’espère que ma plainte accélérera la désignation d’un juge d’instruction. Je ne préjuge pas de qui est responsable. Qu’importe s’il s’agit d’un ancien secrétaire général ou d’un ancien président. »
Dans la foulée, les deux parlementaires ont adressé un courrier à tous leurs collègues du groupe UMP de l'Assemblée pour leur proposer de s'associer, coupon-réponse à l’appui. Pour l’heure, cinq autres députés les ont rejoints : Thierry Lazaro (Nord), Arlette Grosskost (Haut-Rhin), Jean-Pierre Gorges (Eure-et-Loir), Michel Heinrich (Vosges) et Christophe Priou (Loire-Atlantique). Alors qu'une ouverture d'information judiciaire est annoncée sous peu, la course est lancée pour devenir partie civile et accéder au dossier.
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