Comment résoudre une équation impossible ? En ménageant la chèvre et le chou. L’exécutif, qui avait promis des annonces avant la fin de la semaine dans le dossier miné des intermittents du spectacle, vient d’en faire la démonstration. La nouvelle convention d’assurance-chômage entrera en application au 1er juillet. Mais pour dénouer ce conflit qui s’enlise jour après jour – faisant craindre un remake de l’été 2003 qui avait entraîné l’annulation en chaîne de festivals dont le “in” d’Avignon –, sans aller au clash avec les partenaires sociaux à quelques semaines de la conclusion du pacte de responsabilité, Manuel Valls a décidé de reporter la mise en application du point le plus contesté de cet accord signé le 22 mars par le patronat, la CFDT, FO et la CFTC : le différé d’indemnisation qui fragiliserait les intermittents les plus précaires (NDLR: le délai de carence, calculé en fonction des heures travaillées et de la rémunération, qui repousse la date à partir de laquelle les intermittents percevront leurs allocations chômage).
Le gouvernement s’implique dangereusement – ce qui n’est pas pour déplaire au Medef qui en rêve –, dans le système de protection sociale, en finançant de manière transitoire le manque à gagner pour l’Unedic que représente cette disposition, soit un coût de 90 millions d’euros par année pleine. Et il acte que les intermittents sont une classe à part, une sorte de « réserve d’Indiens » un peu plus malades que les autres victimes du chômage et de l’emploi discontinu : leurs allocations chômage vont être palliées par une forme de... subvention culturelle ! Pour rappel, les travailleurs précaires qui cumulent petits boulots et allocations chômage ont plus que doublé en cinq ans (ils étaient moins de 500 000, ils sont plus de 1,3 million aujourd’hui).
Le premier ministre Manuel Valls a annoncé cette « mesure d’apaisement » jeudi soir lors d’une conférence de presse à Matignon en présence des ministres concernés, François Rebsamen (travail) et Aurélie Filippetti (culture), ainsi que du médiateur Jean-Patrick Gille qu’il a mandaté il y a quinze jours pour sortir de l’impasse. Ce dernier préconisait dans ses conclusions rendues quelques heures plus tôt (que vous pouvez lire ici) deux pistes : différer au 1er octobre la mise en application de l’ensemble des modifications apportées aux annexes 8 (techniciens) et 10 (artistes) qui régissent l’intermittence ou reporter de six mois la mesure la plus impopulaire portant sur le différé d’indemnisation.
Le chef du gouvernement a également annoncé la mise en place d'une mission pour redéfinir d'ici à la fin de l'année « un nouveau cadre stabilisé et sécurisé pour l’intermittence », « pour rompre avec ce cycle infernal de crises et de tensions », « inventer, innover, créer, les conditions d'une nouvelle donne pour l'intermittence ». Il cherche là à répondre aux intermittents qui ont le sentiment depuis onze ans de plancher dans le vide sur une remise à plat du système, avec l’appui d’un « comité de suivi » réunissant employeurs du secteur, experts et parlementaires de tous bords et de vraies contre-propositions pertinentes et réalistes dont l'Unedic n'a que faire.
Manuel Valls confie la mission à trois personnalités qui sauront mettre au moins autour de la table les différents acteurs du dossier à défaut de les mettre d’accord : le député socialiste d’Indre-et-Loire Jean-Patrick Gille qui connaît bien l’intermittence pour avoir conduit avec l’UMP Christian Kert une mission parlementaire sur les conditions d’emploi dans les métiers artistiques en 2013 et qui s’est sorti des affres de la médiation ; Hortense Archambault qui a codirigé le Festival d'Avignon et qui jouit d’une solide réputation dans le monde de la culture ; et Jean-Denis Combrexelle, conseiller d’État rodé au dialogue social, ancien directeur général du travail à la longévité rare (il a détricoté pendant treize ans des pans entiers du droit du travail sous la droite et sous Sapin avant d’être débarqué en mars dernier, mis à mal par son ultime réforme, celle de l’inspection du travail retoquée par le Sénat et finalement repoussée).
Autre grande annonce du premier ministre, présentée comme « un effort très significatif dans cette période de diminution de la dépense publique » : la sanctuarisation des crédits pour la création et le spectacle vivant qui seront maintenus, intégralement, en 2015, 2016 et 2017. C’est là une promesse de campagne de François Hollande qui n’aurait sans doute pas été tenue sans la mobilisation des intermittents ! Aurélie Filippetti, qui ne ressort pas grandie du conflit auprès des intermittents qui auraient aimé voir leur ministre dire haut et fort ce qu’elle pense tout bas de cet accord qu’elle juge « mauvais » en off auprès d’eux, et mettre dans la balance sa démission, ne l’a en tous les cas jamais obtenu en deux ans de ministère.
En contrepartie de ces annonces, Manuel Valls exige la levée des menaces qui pèsent sur les festivals de l'été. Pas sûr que cette tactique suffise à calmer les troupes d’artistes et de techniciens qui ont ponctué la semaine de grèves et de manifestations un peu partout en France. La CGT Spectacles qui a assigné en justice les signataires de l’assurance-chômage (audience le 1er juillet) et la Coordination des intermittents et précaires (CIP), à la pointe du mouvement, ne cachent pas leurs déceptions et dénoncent « un coup de com pour faire passer l'été et les festivals ».
Denis Gravouil, le secrétaire général de la CGT Spectacles, largement majoritaire chez les intermittents, continue de revendiquer le non-agrément de la convention Unedic par le ministre du travail la semaine prochaine et parle de « mesurettes ». Il estime que « le compte est loin d’y être » et annonce le dépôt d’un préavis de grève au 1er juillet si l’exécutif n'en dit pas plus dans les jours qui viennent notamment sur le retour à 507 heures sur douze mois (depuis la convention de 2003, 507 heures sur dix mois pour les techniciens et sur dix mois et demi pour les artistes).
« La solution peut parfois être pire que le mal. Derrière des mesures de calinothérapie, le gouvernement donne des gages au Medef en prenant la charge du différé dans le budget de l’État qui doit uniquement relever de l’Unedic, en mélangeant culture et droits sociaux. À terme, il s’agit là de tuer le régime de l’intermittence à petits feux. Il faut que le gouvernement corrige sa copie et se rattrape à l’oral », déclare-t-il à Mediapart filant la métaphore du bachelier qui a raté ses écrits.
Même réaction au sein de la Coordination des intérimaires et précaires. Le comédien Samuel Churin, l’un des porte-voix, qui était mercredi l’invité de notre live consacré au conflit des intermittents, ne décolère pas : « Le Medef en rêvait, Valls l’a fait. Après avoir vanté la solidarité interprofessionnelle, l’État met du fric là où c’est le rôle de l’assurance-chômage. C’est un coup de com pour faire passer les festivals. Derrière, on va se faire bousiller. Les intermittents l’ont compris. La lutte continue. » La grève va-t-elle menacer Avignon et tous les autres grands rendez-vous de l’été ? « Je suis très mauvais en politique fiction. Il y a trois semaines, je ne pensais que pas que le Printemps des comédiens à Montpellier serait en grève. »
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