C’est un dopage commun, « présent dans tous les sports et à tous les niveaux de performance », qu’a décrit Jean-Jacques Lozach (PS), mercredi 24 juillet, lors de sa présentation du rapport de la commission d’enquête. Et d’après le directeur de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), auditionné par la commission, les plus exposés ne sont pas nécessairement les professionnels : « Ce qui se passe chez les amateurs est très grave. Les produits utilisés sont les mêmes que chez les professionnels, mais ils le sont de manière anarchique et en quantité impressionnante : on a vu un père injecter à son fils deux à trois fois la dose d’EPO que reçoivent les professionnels. Lorsqu’on se déplace sur le terrain, lors de compétitions, on voit les parents remplir les bidons, casser des ampoules et utiliser de la poudre… »
Une inquiétude porte particulièrement sur les salles de musculation, qui échappent à toute réglementation sur le dopage, puisque ses membres ne sont pour la plupart pas licenciés. D’après le rapporteur, non seulement la pratique du dopage y est très répandue mais elles sont devenues des lieux de trafic, où viennent se fournir d’autres disciplines. Face à ce constat, les mesures envisagées se limitent pourtant à une opération de prévention et à l’institution d’une charte antidopage pour ces établissements.
L’essentiel des recommandations de la commission repose sur le renforcement du rôle de l’Agence française de lutte contre le dopage aux dépens des fédérations, notamment sur les volets de prévention, de contrôle et de sanction.
Les sénateurs plaident pour rendre l’AFLD systématiquement compétente sur les compétitions internationales qui ont lieu sur le territoire, « comme Roland Garros, où la fédération de tennis ne fait pas grand-chose », relève le rapporteur, au détour d’une phrase. Le « partenariat » de l'ALFD avec l’Union cycliste internationale (UCI) sur le Tour de France cette année avait résulté d’une âpre négociation. De nombreux témoins auditionnés ont pointé la complice passivité des fédérations sportives en matière de contrôle. « Il est très difficile d’assurer la promotion de son sport et, en même temps, de faire la police », relevait ainsi diplomatiquement le président de l’Agence américaine antidopage (Usada), Travis Tygart, lors de son passage devant les sénateurs.
En matière de contrôle, la commission recommande de privilégier les contrôles inopinés à ceux réalisés après les compétitions. À l'heure actuelle, 1 à 2 % des échantillons testés se révèle positif, pourtant les sénateurs reconnaissent que la prévalence du dopage dans le sport est considérablement plus importante. « Dans le milieu professionnel, les contrôles après les compétitions sont une perte de temps et d’argent, expliquait le médecin du sport Jean-Pierre de Mondenard lors de son audition. Le jeu, c’est de passer au travers… Ça fait du bien aux fédérations et aux organisateurs qui peuvent dire qu’aucun contrôle n’est positif – c’est formidable ! »
La commission plaide par ailleurs pour une prise en compte plus importante des preuves « non analytiques » (témoignages, enquête de police). Jusqu’à présent, l’AFLD n’a pris de décision de sanction que sur la base d’un contrôle positif, or, comme le rappelle Jean-Pierre de Mondenard, « un contrôle négatif n’est jamais la preuve de l’absence de dopage ». L’une des failles du système actuel français, selon Jean-Jacques Lozach, est « une incroyable incapacité des instances à coopérer entre elles : policière, sportive et judiciaire ». Le rapporteur réclame donc une meilleure communication, notamment entre l'AFLD et l'Oclaesp (Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique). Les sanctions pourraient devenir plus dissuasives avec davantage d’amendes, un plafond relevé à 100 000 euros pour un sportif et des possibilités de sanctions collectives. Les repentis verraient en revanche leur sanction allégée, s’ils fournissent des informations qui permettent de mieux connaître les produits et les réseaux.
Le rapporteur a vanté des mesures « réalistes, concrètes, pragmatiques et applicables à budget constant », pensées pour être intégrées à la future loi-cadre de modernisation du sport, qui devrait être présentée au Conseil des ministres avant la fin de l’année.
Mais rien n’est gagné. En tapant fort sur les fédérations, les sénateurs risquent de se heurter au « mouvement sportif », qui regroupe l'ensemble des fédérations sportives françaises et qui est bien représenté au sein du Conseil national du sport. C'est ce nouvel organe de concertation qui doit dessiner l’essentiel du projet de loi-cadre sur la modernisation du sport.
Le retrait du pouvoir de sanction des fédérations en matière de dopage au profit de l’AFLD sera probablement un des principaux points de friction. Pour le président du Comité olympique français (CNOSF), Denis Masseglia, « il ne faudrait pas faire payer au mouvement sportif les dysfonctionnements qui se sont produits à un niveau international. Dans 80 à 90 % des cas de contrôle positif, le traitement des dossiers ne présente aucune difficulté. Les commission fédérales sont composées de gens compétents et qui travaillent bénévolement. Que l’AFLD devienne l’instance d’appel et gère les situations de conflit fait sens mais je ne vois pas pourquoi on engorgerait l’agence avec cela ».
Les sénateurs ont retenu le constat du journaliste du Monde Stéphane Mandard, qui relevait lors de son audition la responsabilité des calendriers des compétitions, au rythme parfois délirant : « On veut des matchs de haute qualité tous les trois jours : pour éviter que les sportifs ne se dopent, il faudrait prévoir des rythmes et des calendriers. » Le rapport recommande que ces calendriers, établis par les fédérations, soient désormais soumis à validation par le ministère. « Il y a peut-être des choses qui ne fonctionnent pas mais on ne peut pas faire d’une analyse parcellaire une généralité, s’agace Denis Masseglia. On impose de plus en plus de contraintes aux fédérations. Le mouvement sportif fait preuve d’une certaine efficacité et a droit à un peu de respect. »
Pour l'ancienne ministre Marie George Buffet, l'enjeu est d'abord international, avec l'adoption prochaine du nouveau code de l'Agence mondiale antidopage : « La France doit prendre des mesures ambitieuses, quitte à être d'abord seule. En 1999, j'ai été soutenue par le CNOSF. Je pense que le mouvement sportif français, qui est aussi sous la tutelle des fédérations internationales, aimerait que les choses bouge et pourraient de nouveau suivre. Pour cela, il faut que les Etats tapent du poing sur la table. Je sais que la ministre est une femme de valeur mais depuis un an, je ne l'entends pas sur le dopage. »
Interrogée par le journal Libération, la ministre des sports, Valérie Fourneyron, a réaffirmé qu’il fallait « se sortir de cette situation de conflit d’intérêts où l’organisateur décide des contrôles. Les fédérations ne peuvent pas être juge et partie, promoteurs d’un sport et organisateurs des contrôles ». Mais, contacté, le ministère reste prudent et se montre réticent à ce qui ressemble à une « mise sous tutelle » des fédérations.
BOITE NOIRELes journalistes ont essuyé mercredi 24 juillet les remontrances d’un président de la commission, Jean-François Humbert (UMP), très remonté après les fuites dans la presse de la fameuse « liste » des coureurs dopés du Tour de France 1998. Le deuxième tome comprenant les annexes du rapport ne leur a donc été distribué qu’à la fin de la séance.
Pourtant, les 782 pages de ce second volume constituent bel et bien un document exceptionnel. Non pas tant pour les bordereaux des contrôles de 1998 que pour les retranscriptions des auditions souvent passionnantes réalisées par la commission. Sportifs, journalistes, hommes politiques, médecins, dirigeants, la commission d’enquête parlementaire avec ses 86 entretiens offre un document rare pour comprendre le dopage.
Article actualisé le 26 juillet : ajout des propos de Marie-George Buffet
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