Il était nécessaire de mettre un terme au fait du prince, l’Assemblée nationale vient de le faire. Et maintenant ? Les députés ont voté dans la nuit de mercredi à jeudi le projet de loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public, dont la disposition phare est de rendre au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) le pouvoir de désigner les patrons de chaînes et radios publiques.
Le 25 juin 2008, six mois après avoir sidéré le monde politico-médiatique en clamant sa volonté de supprimer la publicité des écrans de France Télévisions, Nicolas Sarkozy avait annoncé qu’il nommerait désormais lui-même les responsables de France Télé, Radio France et de l’Audiovisuel extérieur de la France (aujourd’hui rebaptisé France Médias Monde, qui rassemble France 24 et RFI). « Je suis partisan d'un système simple et démocratique, (...) à savoir une nomination par l'exécutif », avait clamé le Président. Il s’était bien gardé de prévenir quiconque, et surtout pas Jean-François Copé, alors à la tête d’une commission chargée de réfléchir à l’avenir de l’audiovisuel public, qui lui avait rendu quelques minutes plus tôt un rapport laborieusement rédigé, et aussitôt mis à la poubelle.
D’un mouvement de menton, Sarkozy instituait un scandale républicain, symbole de son interventionnisme tous azimuts. Son vœu fut exaucé par la loi du 5 mars 2009. Sous prétexte de mettre fin à l'hypocrisie du pouvoir se réfugiant derrière le CSA pour nommer des hommes à sa main, la réforme de Sarkozy jetait irrémédiablement la suspicion sur l'indépendance de l'audiovisuel public.
Mettre un terme à cette situation était un engagement de campagne fort de François Hollande, un succès assuré lors de ses meetings, et une mesure qui ne coûtait rien. L’Assemblée vient de lancer le processus. Le Sénat devrait suivre à la rentrée, et l’idée est de publier le texte avant la fin de l’année. En tout cas avant mai 2014, échéance à laquelle s’achève le mandat de Jean-Luc Hees à la tête de Radio France.
« Maintien d'une dépendance hypocrite »
Le projet de loi prévoit que les présidents de France Télévisions, Radio France et France Médias Monde soient nommés pour cinq ans par le CSA. Le PS, les écologistes et les radicaux de gauche ont voté pour, ainsi que pour le texte abrogeant le dispositif précédent. Le projet de loi prévoit aussi de modifier le nombre de membres du CSA, qui passeront de neuf à sept, et de réformer leur mode de nomination.
Jusqu’à présent, le président de la République nommait trois membres du CSA. Il n’en nommera plus qu’un, le président. Les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat continueront de nommer chacun trois membres, mais devront soumettre leur choix aux commissions des Affaires culturelles de leur chambre, et obtenir une majorité des trois cinquièmes. La garantie que les nominations feront l’objet d’un certain consensus entre droite et gauche. « L’opposition parlementaire sera partie prenante du choix, on change le paradigme de la Ve République, où la majorité dispose de tous les pouvoirs », s’enthousiasme Marcel Rogemont, le député socialiste rapporteur du texte.
La ministre de la culture Aurélie Filippetti s’est félicitée mercredi soir du vote d’« une grande loi d’indépendance de l’audiovisuel public », saluant « une grande avancée » avec ce « mécanisme inédit », faisant « confiance à la capacité des parlementaires à transcender la politique politicienne ». Une fois adoptée, la nouvelle loi s’appliquera par étapes, à chaque fin de mandat des membres du CSA. En janvier 2015, ce sont Françoise Laborde, Christine Kelly et Emmanuel Gabla, qui seront remplacés. L’instance aura été entièrement renouvelée en janvier 2019.
À l’Assemblée, le Front de gauche s’est abstenu, reconnaissant « un premier acte symbolique important », mais appelant de ses vœux « une autre ambition » concernant la nomination des responsables des télés et radios publiques. « La participation des syndicats, des auditeurs et des téléspectateurs aurait mérité d’être étudiée et débattue. C’est une occasion manquée », a regretté Marie-George Buffet.
L’UDI a voté contre, trouvant également les avancées trop limitées, et critiquant surtout un amendement PS adopté, donnant au CSA le pouvoir de mettre fin au mandat en cours des présidents des trois sociétés de l'audiovisuel public. « Faux procès », ont rétorqué gouvernement et majorité. Aurélie Filippetti s’est en effet engagée à plusieurs reprises à ne pas « couper de têtes ».
L’UMP s’est elle aussi opposée au texte, en développant deux arguments quelque peu contradictoires. D’un côté, elle dénonce la volonté de « seulement détricoter ce qui avait été bien fait par la précédente majorité ». Et de l’autre, elle critique « le maintien d’une dépendance hypocrite entre le pouvoir politique et les nominations dans l’audiovisuel public ». Franck Riester et Christian Kert, parlementaires très au fait des questions audiovisuelles, ont longuement rappelé que le « nouveau mode de nomination fait persister le lien entre le politique et l'audiovisuel public », mais « perd en transparence ».
Ils assurent aussi qu’il est dommageable de faire sauter « des garde-fous comme le droit de veto du Parlement ». Jusqu’à présent, les parlementaires étaient en effet censés pouvoir s’opposer aux nominations effectuées par le président de la République, à la majorité des deux tiers. Une possibilité en réalité toute symbolique, car guère envisageable concrètement...
En revanche, les députés de l’opposition voient plus juste lorsqu’ils rappellent que revenir au mode de nomination précédent ne rompt pas le lien entre médias publics et pouvoir. François Hollande lui-même a montré le mauvais exemple, en nommant en janvier à la tête du CSA Olivier Schrameck, ex-directeur de cabinet de Lionel Jospin à Matignon de 1997 à 2002. Soit la situation exacte qui fut tant reprochée à son prédécesseur, Michel Boyon, nommé en janvier 2007, après avoir été directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin de 2003 à 2005 ! Notons au passage que le choix du président ne sera pas soumis à l’approbation du Parlement, séparation des pouvoirs oblige.
L’UMP a plaidé pour la création d’une « Haute Autorité de l’audiovisuel », composée de 50 membres et dont « la composition serait représentative des territoires et de la société française – avec des représentants des salariés, de la vie associative, des associations de consommateurs ». Une idée présentée comme une usine à gaz impraticable par Marcel Rogemont : « Qui nommerait qui ? Comment choisirait-on ses membres ? C’est infaisable. » Sans doute. Mais il faut reconnaître que la nouvelle réforme instaurée par le PS est loin de régler tous les problèmes. Au nom de quoi les trois premiers personnages de l’État nomment-ils les membres du CSA ? Comment s’assurer que le choix des responsables de l’audiovisuel public sera transparent et motivé par les bonnes raisons ? En vérité, c’est impossible.
Et puis, avant de supprimer la règle tant honnie, le pouvoir s’était empressé de l’utiliser. En juillet 2012, Alain de Pouzilhac, PDG de l’audiovisuel extérieur, a démissionné. En conflit perpétuel avec ses salariés, certes. Mais aussi sérieusement bousculé par ses deux ministères de tutelle, la Culture et les Affaires étrangères, qui avaient à maintes reprises fait savoir tout le mal qu’ils pensaient de lui. Le choix de sa remplaçante, Marie-Christine Saragosse, a été salué en interne. Mais pour la nommer, François Hollande a eu recours au même instrument que Sarkozy…
Durant les débats à l’Assemblée, l’opposition a utilisé un autre argument qu’on ne peut pas évacuer en quelques secondes. Même si la dépendance politique n’était plus de mise, resterait toujours la dépendance économique. Et elle pèse lourd. C’est l’État qui décide du budget de fonctionnement de la télé et de la radio publique, et ce lien-là pèse peut-être plus que toutes les complicités politiques. Rémy Pflimlin est bien placé pour le savoir.
Le président de France Télévisions, nommé par Sarkozy, avait veillé à faire plaisir au chef de l’État, en confiant une émission à Cyril Viguier et un poste haut placé à Pierre Sled, deux proches de Sarkozy. Pflimlin est promis à l’éviction à la fin de son mandat en août 2015, mais d’ici là, il est chargé de faire le sale boulot, en faisant avaler à ses troupes la pilule d’un budget sacrément rogné.
Contrairement à ce qu’ils laissaient entendre dans l’opposition, les socialistes n’ont en effet pas épargné France Télévisions en ces temps de disette budgétaire. En un an, le groupe a vu les fonds qui lui sont attribués fondre de 85 millions d’euros. Soit un peu moins de 3 % de son budget total. Pas énorme, mais très symbolique, d’autant que France Télé anticipe aussi une décrue de 93 millions d’euros de recettes publicitaires pour 2013. Il revient donc à Pflimlin de supprimer des émissions (Des mots de minuit, Taratata, Chabada…), de monter un plan de départs volontaires, sans doute de 650 personnes. Et de supporter les critiques à répétition d’Aurélie Filippetti, visiblement pas décidée à lui faire de cadeaux. Ni à couper le cordon.
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