On le présente souvent comme l’homme de l’ombre de Nicolas Sarkozy. Il est surtout celui de ses manœuvres politiques. Éric Cesari, 55 ans, a été placé à l’UMP par l’ancien président de la République en 2007, d’abord comme directeur de cabinet, puis comme directeur général du parti. Un poste qu’il doit désormais quitter dès la semaine prochaine.
Il pourrait être remplacé – de façon bénévole – par un duo formé par Gilles Boyer – qui se présente comme le « bras gauche » d’Alain Juppé – et le préfet Patrick Stefanini, bras droit de François Fillon. L'Agence France-Presse avance un autre nom pour lui succéder : Philippe Gustin, ancien ambassadeur de France en Roumanie et ancien directeur de cabinet de Luc Chatel.
« L'UMP a besoin d'une véritable césure par rapport à la gestion précédente, a indiqué le maire de Bordeaux sur France Inter. Il est donc bien dans nos intentions de renouveler complètement l'équipe administrative et financière dès le prochain bureau politique. » Le « collège » composé des trois anciens premiers ministres qui dirige désormais l’UMP, aux côtés du nouveau secrétaire général Luc Chatel, doit présenter mardi 17 juin le nouvel organigramme du parti.
En qualité de directeur général de l'UMP, Cesari fut l’un des acteurs clés de la campagne présidentielle de 2012, même s’il ne figurait pas dans l'équipe officielle du candidat Sarkozy. « Il était de toutes les réunions », raconte à Mediapart un autre acteur de la campagne. Et c'est pour cette raison qu'il se retrouve à son tour embarqué dans l’affaire Bygmalion.
Depuis la démission de Jean-François Copé, il est au centre de toutes les discussions des cadres de l’UMP. Alors que le directeur de cabinet de l’ancien patron du parti, Jérôme Lavrilleux, s’est livré à un étrange exercice de confessions médiatiques, lui est resté particulièrement discret. Et pour cause : celui que l’on surnomme « l’œil de Moscou » de Nicolas Sarkozy était le lien entre le parti et l’ancien président de la République. Toucher Lavrilleux, c’était atteindre Copé. Toucher Cesari, c’est atteindre Sarkozy.
« Cesari va faire croire qu’il était juste là pour s’occuper des serpillières et des balais », a attaqué le directeur de cabinet de Copé dans Le Point, avant d’ajouter : « La ventilation des comptes, ça s’est déroulé dans le bureau d’Éric Cesari avec Guillaume Lambert (l’ancien directeur de campagne de Nicolas Sarkozy – ndlr) et quelques autres personnes. Je n’étais pas là. Une des personnes présentes m’a garanti qu’elle avait informé Nicolas Sarkozy. »
Lavrilleux n’en dit pas plus sur l’identité de cette mystérieuse personne. Tout ce que l’on sait aujourd’hui, c’est que l’homme qui a informé pendant des années l’ancien président de la République sur le fonctionnement interne de l’UMP était bien Éric Cesari. « Tout le monde savait qu’il gardait les clefs de la maison pour Sarkozy, confie un ancien salarié de la rue de Vaugirard. Il se rendait régulièrement à l’Élysée pour prendre les ordres, y compris durant la campagne présidentielle. Il n’aurait jamais pris une décision importante sans en informer Sarkozy au préalable. »
Entré en politique par le biais des réseaux Pasqua, le protégé de Nicolas Sarkozy semblait jusqu’alors intouchable. « C’est un homme de réseau qui sait très bien manœuvrer, explique un ancien cadre du parti. C’est pour cette raison qu’il a survécu aux épreuves et aux changements. » Patrick Devedjian (septembre 2007-décembre 2008), Xavier Bertrand (décembre 2008-novembre 2010), Jean-François Copé (novembre 2010-juin 2014)… Comme l’écrivent les journalistes Carole Barjon et Bruno Jeudy dans le livre Le Coup monté (Éd. Plon, 2013) : « Les secrétaires généraux passent, Cesari reste. »
« Devedjian avait beaucoup de mal à fonctionner avec lui, se souvient un collaborateur de l’actuel président du conseil général des Hauts-de-Seine. Il répétait qu’il ne pouvait rien lui confier, parce que ça remonterait aussi vite. » Aux dires d’un autre “ancien” de la rue de Vaugirard, Cesari avait également une « relation exécrable » avec Michel Bettan, l’ancien directeur de cabinet de Xavier Bertrand, passé depuis chez Havas Worldwide. « Bettan et Bertrand avaient pensé prendre le parti et y faire ce qu’ils voulaient, mais Cesari leur a rapidement fait comprendre que ça ne se passait pas comme ça. Sarkozy acceptait de confier le parti, mais le deal, à chaque fois, c’était de s’engager à ne pas toucher à Cesari. »
Plusieurs personnes interrogées par Mediapart décrivent le directeur général de l’UMP comme un « fainéant » qui « ne bosse pas beaucoup ». « À part la gestion du personnel, je ne sais pas exactement ce qu’il faisait », confie un ancien salarié du parti. « Il n’a jamais eu de premier rôle, ajoute un ex-responsable de la rue de Vaugirard. Il s’occupait surtout des tâches matérielles. » « Quand je l’interrogeais, il n’était jamais au courant de rien, se souvient un élu UMP des Hauts-de-Seine. On voyait bien que son vrai job, c’était d’aller voir Guéant et Sarkozy. »
« Mon rôle ici, c’est de laisser les portes ouvertes pour Sarkozy dans le cas où il déciderait de revenir en 2017 », a reconnu lui-même le principal intéressé aux auteurs du Coup monté. Qu’importe la direction de l’UMP, le directeur général du parti n’a toujours eu qu’un seul patron : Nicolas Sarkozy. Et la défaite du 6 mai 2012 n’a rien changé. Éric Cesari a continué à rendre des comptes rue de Miromesnil, comme il le faisait déjà à l’Élysée.
C’est d’ailleurs là-bas, dans les bureaux parisiens de l’ex-chef de l’État, que le directeur général de l’UMP s’est employé à rassurer son protecteur sur sa non-participation à ce qu’il qualifie de « système Copé » : « Je n'ai jamais été dans le système Copé, je n'ai eu aucun échange de mails avec Bygmalion, et je ne mettais pas les pieds aux fameuses conventions », lui a-t-il indiqué, selon Le Figaro.
La défense d'Éric Cesari est aujourd'hui mise à mal par les nouvelles informations de Libération qui a révélé que le nom et la signature du directeur général de l'UMP sont les seuls à apparaître sur les devis adressés au parti par la société Event & Cie, une filiale de Bygmalion, pour une cinquantaine de conventions fantômes, facturées près de 13 millions d’euros. Cesari plaide le trou de mémoire, car des « devis », indique t-il au quotidien, il en a signé « des paquets », pour « rendre service ».
Des services, l'homme en a effectivement rendu « des paquets ». Membre du cabinet de Charles Pasqua au ministère de l’intérieur à compter de 1993, il accompagne ce dernier deux ans plus tard au conseil général des Hauts-de-Seine. Un élu du département se souvient de « l’ambiance corse » qui régnait alors dans les couloirs du conseil général : « Quand ils n’avaient pas envie que l’on comprenne ce qu’ils disaient, ils parlaient corse entre eux. »
Quand Pasqua transmet le département à Sarkozy en avril 2004, il lui demande de garder dans son cabinet deux ou trois personnes. Parmi elles, figurent Éric Cesari, qui devient directeur de cabinet du nouveau président du conseil général, mais aussi Emmanuel Millan, alors chef de cabinet, nommé plus tard directeur-adjoint de l’UMP. En mai 2004, Cesari est décoré chevalier de l’ordre national du mérite.
L’homme fait également partie des proches de Nicolas Sarkozy que Patrick Devedjian a accusés, en novembre 2010, d’avoir orchestré « une campagne » destinée à lui faire perdre la présidence de la fédération des Hauts-de-Seine. « J’ai appris qu'Olivier Biancarelli, attaché parlementaire de l'Élysée, et Éric Cesari, directeur général de l'UMP, (avaient téléphoné) aux principaux responsables politiques des Hauts-de-Seine pour leur dire de voter pour Jean-Jacques Guillet (député des Hauts-de-Seine élu à sa place – ndlr) », avait confié au Monde l’actuel président du conseil général du 92, accusant l’ancien chef de l'État d'avoir manœuvré au motif qu'il aurait perturbé les ambitions politiques de Jean Sarkozy dans le fief familial. Quelques mois plus tôt, le 30 juin 2010, Cesari avait eu l’honneur des salons de l’Élysée où il avait été décoré chevalier de la Légion d'honneur.
Deux ans après cet épisode, le directeur général de l’UMP fait de nouveau parler de lui à l’occasion de la guerre Fillon/Copé pour la présidence de l’UMP. Les auteurs du Coup monté le présentent comme « le dernier maillon de l’échafaudage » qui a permis à Jean-François Copé de conserver la tête du parti en novembre 2012, tandis que Patrice Gélard, l’ancien président de la fameuse commission de contrôle des opérations électorales (Cocoe), le pointe comme principal responsable de ce « coup monté », avec Lavrilleux. Pour le sénateur de Seine-Maritime, les deux hommes étaient « dévoués à leur chef Copé auquel ils obéissent ».
« Lavrilleux et Cesari ont surtout été des alliés de circonstance, rapporte à Mediapart un ancien de la rue de Vaugirard. Cesari n’a jamais vraiment été copéiste. Lui, c’est Sarko avant tout. Il avait dû avoir des ordres de l’Élysée pour barrer la route à Fillon. » La route a d’ailleurs été « barrée » au sens propre le 26 novembre 2012, lorsque que le directeur général de l’UMP s’est interposé physiquement aux huissiers dépêchés par la justice, à la demande de l’ex-premier ministre, pour protéger des documents électoraux.
Éric Cesari est aujourd’hui élu à Courbevoie, dans les Hauts-de-Seine. Après avoir été adjoint à la sécurité dans l’équipe municipale de Rouen, il cherche, à compter de 2007 et de sa nomination à la direction générale de l’UMP, une place en banlieue parisienne. Et c’est tout naturellement qu’il échoue dans ce fief de la sarkozie. Dès son élection au conseil municipal de Courbevoie en 2008, il se voit déjà remplacer le maire Jacques Kossowski. « C’est un apparatchik qui passe le plus clair de son temps en Normandie où sa femme travaille encore… », souffle Jean-André Lasserre, conseiller général PS des Hauts-de-Seine.
Le « parachutage » de Cesari dans les Hauts-de-Seine n’est pas au goût de tout le monde. D’autant moins depuis l’affaire Bygmalion. D’autant moins aussi depuis que le directeur général de l’UMP a été nommé, mi-avril, président de la communauté d'agglomération Seine-Défense (Courbevoie-Puteaux). « Une fonction rémunérée 5 000 euros par mois pour diriger une coquille vide », fustige Christophe Grébert, conseiller municipal MoDem de Puteaux, qui dénonce également la nomination de 14 vice-présidents, rémunérés 1 400 euros par mois.
Parmi eux, on retrouve le fils de Joëlle Ceccaldi-Raynaud, la maire UMP de Puteaux, mais aussi le copéiste José Do Nascimento, responsable des fédérations à la direction de l'UMP, et Caroline Cornu, ancien membre du cabinet de Nicolas Sarkozy à l'Élysée, passée depuis 2012 à la direction de la communication d'EDF. « La droite, Nicolas Sarkozy et les échanges de bons procédés entre amis… Un classique des Hauts-de-Seine », s’amuse un élu UMP du département.
La tradition du 9-2 aurait-elle traversé le périphérique pour se perpétuer rue de Vaugirard ? C’est l’une des questions auxquelles devra répondre l’audit interne annoncé mercredi 10 juin par François Fillon et l’enquête judiciaire confiée par le parquet de Paris à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Une question restée sans réponse après le premier rapport commandé mi-mai par Jean-François Copé à... Éric Cesari.
BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone les 10 et 11 juin.
Compte tenu de la proximité d'Éric Cesari avec Nicolas Sarkozy et des futurs rebondissements de l'affaire Bygmalion, la plupart d'entre elles ont accepté de témoigner à la seule condition que leurs propos soient cités en “off”.
Également contacté par nos soins, Éric Cesari n'a pas retourné nos demandes d'entretien.
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