De nouveaux visages, mais des profils similaires. L’Élysée a confirmé mardi le départ de plusieurs conseillers du cabinet de François Hollande, dont l’emblématique Emmanuel Macron, secrétaire général adjoint depuis mai 2012 et ancien de la banque Rothschild. Il sera remplacé par une autre représentante d’une grande banque, Laurence Boone, jusque-là chef économiste pour l’Europe à la Bank of America et membre du conseil d’administration du groupe de François Pinault.
Moins connue que son prédécesseur, elle lui succédera le 15 juillet en tant que conseillère économique et financière, « en charge de la macroéconomie française et internationale », selon l’Élysée, mais pas comme secrétaire générale adjointe. Depuis l'arrivée comme secrétaire général de l'ami du président, Jean-Pierre Jouyet, il pilote en direct ces dossiers qu'il connaît par cœeur. C’est d’ailleurs une des raisons du départ d’Emmanuel Macron qui va enseigner dans des universités étrangères, après avoir incarné le virage libéral du président de la République.
Laurence Boone fait elle aussi partie des cercles proches du pouvoir, naviguant entre milieux bancaires, think-tanks “mainstream”, CAC 40 et presse libérale. Économiste de formation – elle est docteure de la London Business school –, elle a commencé sa carrière chez Merrill Lynch comme analyste en 1995, avant de se consacrer à la recherche, notamment à l’OCDE de 1998 à 2004. Elle est ensuite retournée dans la banque, en devenant chef économiste France chez Barclays, avant de rejoindre Bank of America Merrill Lynch (les deux géants américains ont fusionné après la crise financière) en 2011.
Depuis 2010, Laurence Boone figure également parmi les 11 membres du conseil d’administration de PPR (Pinault-Printemps-La Redoute), rebaptisé Kering l’an dernier. Et son mandat venait d’être renouvelé pour quatre ans en mai dernier. Elle est également membre du comité des rémunérations d’un groupe qui vient de se débarrasser de ses activités de distribution (voir notre reportage à La Redoute) pour se consacrer au juteux marché du luxe (lire notre article). François Pinault fait partie du cercle des patrons les plus écoutés par François Hollande.
Avant d’être nommée à l’Élysée, Boone se gardait d’évoquer ses liens avec PPR quand elle intervenait sous d’autres casquettes. Membre du Cercle des économistes, elle a officié aux Rencontres d’Aix où elle a reçu une des dirigeantes de PPR. C’était en 2012 (voir la vidéo) : « On va discuter avec des personnes assez prestigieuses puisque comme vous savez, nous avons Patricia Barbizet qui dirige Artemis, la holding de PPR. Et chez Artemis on a fait pas mal de choses comme le rôle du manager dans l’entreprise, la transmission du savoir, la formation, du management de la carrière. »
Dans ce petit monde où tout le monde se connaît, le Cercle des économistes est par ailleurs présidé par Jean-Hervé Lorenzi, écouté à l’Élysée, et dont sont également membres Philippe Aghion, qui a œuvré pendant la campagne de François Hollande, ou Jean Pisani-Ferry, nommé l’an dernier commissaire général à la stratégie et à la prospective. Un économiste que Laurence Boone a également côtoyé au think-tank bruxellois Bruegel – la nouvelle conseillère de Hollande et le commissaire général ont coécrit de nombreux articles (voir ici ou là sur les finances publiques).
Boone était également une intervenante régulière de BFM Business et tenait une chronique sur le journal en ligne libéral L’Opinion, fondé par Nicolas Beytout. Elle y a parfois critiqué la politique menée par le pouvoir mais sans entrer dans les détails. « Les choix de politique économique sont quasiment inexistants. La déclaration de politique générale de Manuel Valls l’annonçait : c’est un programme qui ne vise ni à soutenir la demande à court terme, ni à élever le potentiel de croissance de long terme », écrivait-elle au lendemain des élections européennes. Avant d’ajouter : « Les réductions de dépenses sont un énième coup de rabot synonyme de non choix : coup de rabot sur les dépenses, gel des points d’indice des fonctionnaires et gel des prestations. Jusqu’à quand ? » « Le pacte de compétitivité s’est résumé à une petite baisse des coûts du travail, bien trop faible pour combler en tendance l’écart des coûts du travail avec l’Allemagne ou les pays du sud. Le pacte de responsabilité annoncé en janvier se traduira par une autre baisse, mais encore plus faible », disait-elle aussi en avril dernier.
Avant même l’élection de François Hollande, Laurence Boone prédisait des lendemains difficiles à ses électeurs. « À court terme l’ajustement budgétaire que le prochain gouvernement aura à mettre en œuvre va affaiblir la croissance – ce pour quoi nous ne sommes pas nécessairement préparés. Et les débats n’ont aucunement porté sur la stratégie de moyen terme. Dormons encore un peu car le réveil sera dur, très dur », écrivait-elle dans Telos. Cinq ans avant, en 2007, elle avait établi, pour les clients de Barclays Capital, un « indice du libéralisme des candidats » à la présidentielle, notés de -4 à +4 (le +4 étant le plus libéral).
Sociale-libérale assumée, Laurence Boone veut une « réforme des contrats de travail », une « réforme des politiques de l’emploi » et un changement radical des politiques sociales. « Cela passe aussi par l’abandon d’un de nos plus grands dogmes : les transferts sociaux doivent cibler les démunis et non être repartis sur l’ensemble de la population », écrivait-elle en avril 2014. Elle dénonce « les travers de notre système social, son inefficacité ». « Les investisseurs attendent aussi une réforme du marché du travail qui viserait à accroître l’employabilité plutôt qu’à protéger à l’extrême ceux qui ont déjà un emploi ; du leadership en Europe plutôt que “basher” la Banque centrale européenne. En bref, un mot d’ordre : moderniser », disait Boone le 14 avril 2014.
Autant dire que si Emmanuel Macron était devenu la bête noire d’une partie de la majorité, effrayée de la politique menée par l’Élysée, sa successeure va très vite décevoir ceux qui espèrent encore une réorientation de la ligne de l’exécutif. « C'est une bonne conjoncturiste et une économiste, ce que Macron n'était pas et c'est important, estime Karine Berger, économiste de formation et députée PS. Elle a toujours eu des convictions, des amitiés de centre-gauche. Elle est proche des Gracques, mais elle n'a pas de discours politisé. Après, elle vient du milieu bancaire donc elle est forcément sensibilisée au monde de la finance. »
L’Élysée a également confirmé le départ de six autres conseillers. Patrick Vieu, en charge de l’environnement, est remplacé par un ancien conseiller de Jean-Marc Ayrault Xavier Piechaczyk. Fabrice Hermel, chef du service de presse, quitte son poste au profit de Virginie Christnacht, ancienne de Vinci et qui a occupé le même poste à la mairie de Paris (où elle a travaillé avec Gaspard Gantzer, nouveau chef de la communication depuis la démission forcée d’Aquilino Morelle). David Kessler, conseiller culture, va partir dans le privé en septembre – il est remplacé par la directrice adjointe du Centre national du cinéma (CNC) Audrey Azoulay. Thierry Rey (Sports), ancien judoka et ex-gendre de Jacques Chirac, sera remplacé le 16 juin par la journaliste de Canal+ Nathalie Iannetta. À la cellule diplomatique de l'Élysée, Matthieu Peyraud est remplacé par l'ancien conseiller de Ségolène Royal Cyril Piquemal, et Christian Lechervy, conseiller Asie et affaires stratégiques, rejoint le quai d’Orsay.
Ces mouvements ne dessinent aucun changement politique mais ressemblent davantage à des mouvements naturels après deux ans de cabinet. « C’est le rythme biologique de notre démocratie. De nombreux grands chantiers ont été mis sur les rails. Et la charge au quotidien est extrêmement lourde », explique l’un des partants. Seule conséquence réelle : une plus grande féminisation d’un cabinet jusque-là très masculin.
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