Ils ne désarment pas. Quelques jours à peine avant la présentation ce mercredi 11 juin en conseil des ministres des textes budgétaires qui mettront en musique le "pacte de responsabilité" de François Hollande et le plan massif de réduction des déficits publics de 50 milliards sur trois ans, l'Appel des 100 fait à nouveau parler de lui. Ce collectif, qui réunit depuis la raclée des municipales de mars et la nomination de Manuel Valls à Matignon les parlementaires socialistes réclamant une inflexion de la politique de l'exécutif, a publié lundi 9 juin une « plateforme pour plus d'emplois et de justice sociale » (cliquer ici pour afficher le texte ou là pour en télécharger le PDF).
Le document, élaboré par la petite centaine de parlementaires qui ont pris pour habitude de se retrouver le mardi matin à l'Assemblée nationale (des proches ou soutiens de Martine Aubry, d'Arnaud Montebourg, des députés de l'aile gauche, etc.), propose de « réorienter » « à déficit inchangé » la politique économique du gouvernement en direction de la demande, quand François Hollande plaide pour un « socialisme de l'offre » et met en avant depuis six mois un discours très pro-entreprises. Les "frondeurs", comme la presse les appelle volontiers (une expression qu'ils rejettent, jugeant légitime de tels débats entre un gouvernement et sa majorité), exigent par ailleurs une vigoureuse réorientation européenne.
Du 23 juin à début juillet, l'Assemblée nationale devra voter successivement le projet de loi de finances rectificative et le budget révisé de la Sécurité sociale, deux textes qui déclinent les mesures annoncées par François Hollande et Manuel Valls : "pacte de responsabilité" visant à baisser les cotisations sociales pesant sur les entreprises, vaste plan d'économies de 50 milliards, des mesures fiscales à destination des ménages pour éviter que des centaines de milliers de Français ne rentrent à nouveau dans l'impôt sur le revenu, etc. Pour le gouvernement, ces deux votes s'annoncent risqués. S'il ne contient pas encore de menaces explicites, ce texte vient lui rappeler que, malgré des pressions et un insistant chantage à la dissolution, 41 députés socialistes de toutes tendances se sont abstenus le 29 avril d'approuver les 50 milliards d'économies qu'il compte réaliser d'ici 2017. Le groupe socialiste à l'Assemblée nationale compte 279 députés.
« La politique économique de la France doit rechercher l'efficacité, elle ne saurait aggraver les inégalités. » Ainsi commence cette tribune de quatre pages, qui se poursuit par un constat : la croissance française est en panne, et le chômage ne va cesser d'augmenter « pendant 18 mois encore », malgré les « politiques en cours ou prévues dans les trois ans à venir ». Une façon polie de signifier que, selon eux, le pacte de compétitivité sur lequel mise François Hollande est voué à l'échec, en tout cas s'il subsiste dans sa configuration actuelle.
Trois raisons expliquent d'après les « 100 » cette stagnation « prévisible ». D'abord, la politique européenne, « l'euro trop cher et la trajectoire de réduction des déficits trop brutale ». À nouveau, ils rappellent à François Hollande sa promesse restée lettre morte de « réorientation européenne », et le pressent de ne pas soutenir un candidat à la Commission européenne qui ne prendrait pas « des engagements en ce sens ». Deuxième raison : le choix du gouvernement d'une politique de l'offre et non de la demande, résumé en deux chiffres : « 41 milliards de baisses d'impôt pour les entreprises » contre « 5 milliards pour les ménages ». Troisième explication : le "pacte de responsabilité", « sans sélectivité ni conditionnalité », n'est pas ciblé. « La France a besoin d'un véritable pacte de compétitivité concentrant les aides publiques sur les entreprises manufacturières qui investissent dans la recherche (…) et aide les entrepreneurs qui ont des projets plutôt que ceux qui ont des humeurs », allusion aux algarades du contesté président du Medef, Pierre Gattaz.
Concrètement, la plateforme propose donc de ne concentrer les baisses de cotisations sociales que sur les entreprises « qui en ont besoin » parce qu'elles sont exposées à la concurrence internationale, industrielles ou innovantes. Soit une économie de 18,5 milliards d'euros.
Cette somme serait « réorient(ée) » vers « le pouvoir d'achat, l'investissement public et l'emploi ». Première piste : tripler les mesures en faveur des ménages (de 5 à 16,5 milliards d'euros) pour « rallumer la consommation ». Les « 100 » citent d'ailleurs volontiers Matteo Renzi, le président du Conseil italien qui, sitôt arrivé aux commandes du pays, a lancé en mars un vaste plan de relance de 90 milliards d'euros. Ils s'opposent au gel des allocations familiales et logements, réclament le non-gel des retraites complémentaires en dessous de 1 200 euros et proposent surtout la création de taux réduits de CSG pour les classes moyennes et populaires. Cette CSG progressive, qui redistribuerait d'abord du pouvoir d'achat aux plus modestes, serait le possible prélude d'une fusion de la CSG et de l'impôt sur le revenu, une promesse de François Hollande abandonnée depuis.
Autres propositions : 150 000 emplois aidés, 150 000 contrats en alternance mais aussi 5 milliards d'investissements publics locaux, alors que les collectivités locales vont voir leurs dotations diminuer de 11 milliards sur trois ans, ce qui risque, selon eux de marquer « un coup d'arrêt aux investissements publics et un effondrement de l'activité du BTP ».
« Nous avons conscience que ces inflexions excèdent par leur volume ce qui relève habituellement de la discussion budgétaire dans notre pays sous la Ve République », admettent les élus. Mais d'après eux, François Hollande n'a pas d'autre choix pour « ressouder notre majorité » et « entraîner une majorité de Français ».
Le projet de loi de finances rectificative sera présenté aux députés ce mercredi, et discuté à partir du 23 juin à l'Assemblée. Entre le gouvernement et sa majorité, le bras de fer reprend. Les épisodes à venir s'annoncent encore plus tendus que les précédents.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La blague de pétition pour demander l’accord de l’asile à Snowden en France