Hollande désespère l’électorat qui l’a élu le 6 mai 2012. Mais les autres gauches n’en profitent guère. Les résultats des européennes ont fait figure de choc et de révélateur pour ceux qui croyaient encore que l’effondrement du PS allait mécaniquement profiter aux écologistes ou à la gauche radicale. Depuis le 25 mai, une série d’initiatives ont été annoncées ou sont en préparation.
Parmi elles, le club des « socialistes affligés » (voir leur blog), lancé par l’ex-eurodéputé socialiste Liêm Hoang-Ngoc et le chercheur Philippe Marlière (voir son blog), a réuni samedi à Paris les principales forces à la gauche du PS. La semaine prochaine, ce sera au tour d’un des courants de l’aile gauche du PS, Un monde d’avance, de faire de même. Au Front de gauche, les appels à un « front commun anti-austérité » se multiplient – la prochaine réunion de la direction aura lieu le 16 juin, après un conseil national du PCF.
La secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts Emmanuelle Cosse a écrit à toutes les formations politiques qui avaient soutenu Hollande en 2012 (Modem et Cap 21 compris) pour leur proposer d’organiser ensemble des débats sur trois questions – l’emploi, la transition écologique et la démocratie – afin d’apporter des propositions communes au gouvernement. « Nous traversons une grave crise économique et morale », écrit Cosse. Le PCF a déjà répondu positivement.
Au PS, les initiateurs de « l’appel des 100 » députés opposés au pacte de responsabilité promettent de combattre le collectif budgétaire à venir à l’Assemblée. Les tribunes se multiplient dans les médias (voir aussi les deux débats organisés par Mediapart, avec Jean-Christophe Cambadélis, Emmanuelle Cosse et Jean-Luc Mélenchon, et au soir des européennes).
C’est un des paradoxes depuis l’élection de François Hollande : le président de la République a déporté sa politique vers le centre, voire vers la droite, libérant chaque jour un espace plus grand au reste de la gauche. Sur le papier du moins. Car dans les faits, et dans les urnes, les autres gauches patinent, avec un faible score aux européennes et un mouvement social atone, laissant le champ libre au Front national.
Samedi, dans la petite salle parisienne choisie par les « socialistes affligés », vite remplie, les mêmes mots sont revenus : « urgence » et « sidération ». Une partie du PS, les écologistes et le Front de gauche sont saisis du même constat. Celui de leur impuissance et celui d’un climat politique créé par François Hollande qui semble anesthésier toute tentative d’alternative. « Affligé, atterré, consterné, on ne sait plus quel terme utiliser. Surtout quand chaque jour apporte une nouvelle mauvaise surprise », dit d’emblée Sylvain Mathieu, responsable du PS dans la Nièvre et récent candidat de la gauche du parti face à Jean-Christophe Cambadélis. Il témoigne de la « désorientation » de l’électorat de gauche face à un président de la République qui mène « a priori un virage libéral » mais avec qui « ce n’est jamais clair ».
« Quand Nicolas Sarkozy était au pouvoir, j’étais en colère, j’avais tout le temps envie de manifester. Là, je suis passée à un état de sidération. Ce désintérêt pour la politique, que l’on sent chez les gens, est alimenté par le fait que la gauche au pouvoir fait plus ou moins la même chose que la droite », dit Caroline de Haas, qui a démissionné du PS et présenté des listes féministes aux européennes. « Quand un gouvernement élu par la gauche mène une politique de droite, cela discrédite toute la gauche. D’autant plus une gauche émiettée qui se combat. Aujourd’hui, le parti numéro 1 à gauche, c’est l’abstention », confirme Philippe Marlière, spécialiste de la troisième voie de Tony Blair.
« Que faire ? » a demandé le chercheur, référence amusée au célèbre ouvrage de Lénine, aux responsables des forces de gauche présents – Pascal Durand, Eva Joly et Julien Bayou pour EELV ; Éric Coquerel (PG), Pierre Laurent (PCF), Clémentine Autain (Ensemble) pour le Front de gauche ; et Gérard Filoche pour le PS. Avec Liêm Hoang-Ngoc, Marlière plaide pour une nouvelle alliance rose-rouge-verte, incluant la base socialiste. Mais sur quelle ligne politique ? Avec quelle organisation ? En s’adressant à qui, et comment ?
Chacun y est allé de son idée, mais les réponses restent bien floues. Les écologistes plaident pour un « projet novateur », comme Eva Joly qui veut « sortir de la logique des appareils ». « Ce n’est pas suffisant de dire qu’on appartient à la gauche pour construire une alternative », a redit l’ancienne magistrate, favorable à une primaire de l’autre gauche en 2017. La preuve : quand Pierre Laurent (PCF) a dénoncé le possible dépeçage d’Alstom au profit de General Electric ou de Siemens, Pascal Durand, récemment élu eurodéputé EELV, a défendu une solution européenne et souligné son désaccord sur une nationalisation. « Aujourd’hui, le mot gauche est soit associé au gouvernement, soit à peu près rien : les valeurs de la gauche, l’égalité, sonnent dans le vide », a résumé Clémentine Autain.
« Pour reconstruire, il n’y a pas de création ex nihilo pour remettre la situation en mouvement à partir de rien », a prévenu Éric Coquerel pour le PG (Jean-Luc Mélenchon, annoncé, n’est pas venu). Un avis partagé par Gérard Filoche, qui pense à son congrès et à la bataille acharnée qu’il mène depuis tant d’années dans l’appareil socialiste. « Le gouvernement Valls est minoritaire, même à gauche, même au PS. Il repose sur une moitié d’une motion (du congrès de Toulouse, ndlr) », a-t-il dit, avant d’appeler à « mettre Valls en minorité » à l’Assemblée. Mais quand le premier pense à un Front de gauche élargi comme pivot de la « recomposition » tant attendue de la gauche, le second songe évidemment au PS… Et Julien Bayou d’EELV estime que son parti est « au carrefour des gauches ».
Les “autres gauches” devront trancher entre au moins deux scénarios, explique le socialiste Liêm Hoang-Ngoc, un temps proche de Benoît Hamon. D’abord « un scénario Pivert », du nom de Marceau Pivert, tenant du courant révolutionnaire de la SFIO qu’il a finalement quittée après avoir échoué à conquérir la majorité, mais qui fonctionnerait 75 ans après. « Si le PS organise un congrès avant les régionales, il pourrait donner une majorité demandant un changement de cap. Et si François Hollande sort de son mutisme, il nommerait un gouvernement s’appuyant sur une majorité rose-rouge-verte. C’est la voie la plus rapide pour changer les choses », dit Hoang-Ngoc, sans y croire tout à fait.
L’autre scénario est celui d’un Syriza français, fruit d’une recomposition forcée de la gauche sur les « ruines » laissées par la politique de François Hollande. Mais à quel horizon ? « 2017 », répond l’ancien député européen. Trois ans, c’est interminable.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La blague de pétition pour demander l’accord de l’asile à Snowden en France