Sur les bancs de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence où elle est rejugée pour détournement de fonds publics depuis le 2 juin 2012, Sylvie Andrieux, le visage fermé et sombre, a perdu de son assurance. Le 22 mai 2013, la députée (ex-PS), 52 ans, avait été condamnée à trois ans de prison, dont un ferme, plus 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité par le tribunal correctionnel de Marseille.
Vice-présidente déléguée à la politique de la ville du conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca) jusqu'en 2009, Sylvie Andrieux est accusée d’avoir profité de ce portefeuille régional pour distribuer 716 000 euros de subventions à des associations fictives situées sur sa circonscription des 13e et 14e arrondissements. Lors des dernières municipales, la mairie de secteur de ce fief socialiste a basculé entre les mains du Front national.
Mais, questionnée à la barre lors des deux premiers jours du procès, l’ancienne présidente du groupe PS à la région n’a pas foncièrement changé sa défense : elle n’a rien vu ni entendu, son collaborateur Roland Balalas ne l’a pas prévenue des fausses factures, elle n’a exercé ni pressions, ni menaces sur l’administration, d’ailleurs elle n’avait « aucun pouvoir ». Et les subventions de la politique de la ville étaient votées en masse en commission permanente, sans que les élus n'en connaissent le contenu. Bref, la collectivité a été « escroquée » à son insu par des voyous.
Selon ses déclarations, c’est le fonctionnement défaillant de la région, voire l’organisation du système politique français dans son ensemble, qui sont à l’origine de ces dérives. « Je m'occupe de remplir ma fonction de députée du mardi au jeudi, je n'étais quasiment jamais à la région, a déclaré Sylvie Andrieux selon Marsactu. Ça, c'est une vraie erreur, c'est pour ça que je suis maintenant pour le mandat unique. »
Une défense présentant les élus sous un jour si sombre qu’elle en a stupéfié la présidente de la Cour, Monique Zerbib. « Alors c'est une délégation de papier, c'est du vent ! Vous n'êtes qu'un messager, un simple facteur ! » a lâché cette dernière, selon Marsactu. Mais malgré les perches tendues par la magistrate, qui a comparé sa ligne de défense à un « laminoir » et à un « tank », Sylvie Andrieux n’a pas dévié.
« Pourquoi ce déni devant la force des réalités ? » s’est étonné vendredi 6 juin l’avocat général Jules Pinelli, qui a estimé sa culpabilité « parfaitement établie » et a demandé une peine identique à celle prononcée en première instance. « Jusqu’au dernier moment, j’ai espéré que vous viendriez dire que vous avez eu une faiblesse, comme tout le monde peut en avoir, a-t-il regretté dans son réquisitoire. Pourquoi ne pas avoir franchi le pas ? Vous ne l’avez pas fait car vous avez le culte de la force, de l’action, du combat. Et en matière de combat, il ne peut pas y avoir de faiblesse. Vous vous mentez à vous-même peut-être. »
Car comme les voyous auraient leur code de l’honneur, certains élus ont leur culte, celui du terrain, si bien décrit par les auteurs de Gouverner Marseille (La Découverte, 2005). « Aller sur le terrain, c’est montrer qu’on paye de sa personne, qu’on s’engage », écrivaient Michel Peraldi et Michel Samson. « La veille d’accoucher, elle était sur le terrain jusqu’à 22 heures », soulignait à propos de Sylvie Andrieux son adjoint Garo Hovsepian, comme si c’était son fait d’armes principal. Fille du sénateur Antoine Andrieux, adjoint de Gaston Defferre, la députée des Bouches-du-Rhône Sylvie Andrieux est une « battante », une de ces élues en campagne permanente qui se font une fierté de ne manquer aucune réunion de quartier, kermesse ou inauguration de terrains de boules.
C’est sur ce fameux terrain que se gagnent les combats électoraux, mais aussi que peut s’opérer un glissement progressif vers des actes répréhensibles pour assurer « la gagne », a estimé Me Gilles Gauer, avocat de la région Paca, partie civile au procès. « De l’aveuglement on passe au fait de ne plus vouloir voir, le jour où des personnes viennent vous voir pour vous dire : "Il y a des difficultés sur certains dossiers, ce que vous faites est dangereux" », a commenté Me Gauer. « Ce dossier est le dossier d’un système dont Mme Andrieux détenait les clefs, ces clefs vous les avez remises à des envahisseurs qui sont entrés dans le temple et l’ont pillé, a de son côté lancé l'avocat général. En contrepartie de ce pillage parfaitement organisé, il faut occuper le terrain, le labourer et en récupérer les bénéfices en termes électoraux. »
Pas à pas, méthodiquement, l’avocat de la région s’est attaché à démontrer la réalité du détournement de fonds publics par Sylvie Andrieux. Comment elle intervenait à toutes les étapes de l’attribution des subventions litigieuses, d’abord pour décider des demandes qui seraient enrôlées à chaque commission permanente et du montant accordé, puis au moment du vote, et enfin pour faire voter et précipiter certains paiements urgents en période électorale.
À cet effet, l’élue faisait régner un climat de « terreur », selon un témoignage, sur un service de la politique de la ville construit à sa main, avec une ligne budgétaire politique de la ville qu’elle monopolisait. En 2002 déjà, un chargé de mission s’était inquiété dans un courrier au directeur général des services du danger que représentait la multiplication des dossiers dits « signalés », principalement présentés par l’élue, et sur lesquels l’administration n’avait aucun contrôle. Sylvie Andrieux l’avait poussé à changer de service...
Me Gilles Gauer relève aussi que Sylvie Andrieux, qui avait accablé son assistant parlementaire Roland Balalas, a pourtant continué à le salarier après sa mise en examen. Et ce alors qu'il ne pouvait pourtant plus travailler, très diminué par un AVC en mars 2010. « Quelle est la contrepartie de cette rémunération ?, a demandé l'avocat. En tout cas, pas le travail. »
Pour dynamiter la défense de la députée, l’avocat général s’est lui aussi appuyé sur les témoignages à charge des « petites mains » du service, des contractuels et des chargées de mission, souvent recrutées par Sylvie Andrieux elle-même, « qui avaient tout à perdre et rien à gagner ». Il a balayé le « sacro-saint clivage entre administratif et politique », « l’absence de pouvoir d’une vice-présidente », l’« incompétence » des agents de contrôle, le rôle de « tireur de ficelles » et de « fomenteur de complots ».
En première instance, le procureur Jean-Luc Blachon avait parlé d’« un procès de voyous » devant les rétractations à la barre de plusieurs prévenus, qui avaient initialement mis en cause la députée durant l’enquête. L’un d’eux, Abderrezak Zeroual, qui comparaît alors qu'il est détenu en raison d'une récente condamnation à quatre ans de prison dans un dossier de trafic international de cannabis, est revenu le 4 juin devant la cour d’appel d'Aix à ses premières déclarations, réalisées en garde à vue. Selon ses propos rapportés par l’AFP, Same Benyoub, l’une des deux têtes de réseau des associations fictives, était bien « le relais de Mme Andrieux, son fer de lance dans la campagne de 2007 ». Il « assurait la sécurité des élections, le jour J » et organisait « les circuits de ramassage » en bus pour aller voter.
Condamné pour recel d'escroquerie à six mois ferme et à payer solidairement 228 000 euros de dommages et intérêts en première instance, Abderrezak Zeroual a expliqué mercredi avoir été menacé avant le procès en première instance par Same Benyoub, qui lui aurait proposé la somme de 50 000 euros pour changer de version. Same Benyoub est « venu à mon domicile avec des personnes que je ne connaissais pas » et « m'a fait comprendre qu'il serait de bon ton de ne pas charger la baronne », a rapporté l’AFP.
Une seconde scène d'intimidation sur l'autoroute est relatée par son avocat Me Lionel Febbraro, qui a déposé plainte le 3 juin 2013, sans suite à sa connaissance. Same Benyoub, qui n'avait pas fait appel de sa condamnation à trois ans d'emprisonnement dont deux avec sursis, n'était pas présent et n'a donc pas pu répondre. « On est dans la conspiration permanente, c’est un cours de contre-espionnage dans les quartiers nord, balaie Me Grégoire Ladouari, un des avocats de Sylvie Andrieux. C’est facile le jour du procès de dire qu’on a été menacé pour expliquer ses faiblesses. »
Plus encore que la « malhonnêteté », c’est donc « la violence » qui règne sur cette affaire qui a déplu à l’avocat général, « cet impact moral et physique, là on est dans une autre sphère ». Jules Pinelli a rappelé la scène racontée par un agent de la région : Balalas dans son bureau, livide après que Boumediene Benamar, l'autre tête de réseau des associations fictives, lui a lancé : « Tu veux faire le mariolle, je vais m'occuper de ton cas, tu vas morfler. » Ou encore un autre prévenu qui « à court d’arguments a inventé la mort de sa mère pour qu’on le laisse un peu tranquille » et « contraint de s’habiller de noir pendant plusieurs jours ». Boumediene Benamar est d’ailleurs le seul pour lequel l’avocat général a demandé une aggravation de peine, avec quatre ans de prison, dont un avec sursis, au lieu de 30 mois ferme.
La tâche sera donc compliquée pour Me Grégoire Ladouari et Me Gaëtan Di Marino, avocats de Sylvie Andrieux, qui plaideront mardi matin. Ils ne manqueront sans doute pas de s'interroger sur la responsabilité du patron de la région, le socialiste Michel Vauzelle, partie civile dans ce procès, mais qui a laissé se perpétuer le système qui a mené à ces dérives.
BOITE NOIREPour des raisons d'agenda, je n'ai pu assister qu'à l'audience de ce vendredi.
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