De mauvaises surprises se cachent dans la réforme de la loi pénale qui a été adoptée à l’Assemblée dans la nuit de jeudi à vendredi (lire notre article ici). Chose rare, les deux principaux syndicats de magistrats (USM et SM) s’accordent à dénoncer ensemble quelques reculs des libertés, visant certainement à rassurer et à plaire aux élus locaux, mais qu’ils jugent inacceptables en l'état.
Des dispositions très techniques de la réforme pénale permettent, en effet, de transférer vers les préfets et les élus locaux des compétences qui relevaient jusqu’ici de la justice (soit du procureur de la République, du juge de l’application des peines ou du service de probation et d’insertion). Ainsi, selon les articles 15 et 17 du projet de loi Taubira (on peut le lire ici), les conseils locaux de prévention de la délinquance (créés en 2002) et les états-majors de sécurité (créés en 2009), seraient désormais parties prenantes de l’application des peines, et destinataires de données personnelles et confidentielles sur les citoyens sortant de prison.
Les conseils de prévention de la délinquance (départementaux, intercommunaux ou communaux, qui regroupent maire, préfet, conseil général, éducation nationale, bailleurs sociaux, associations, etc.) auraient ainsi leur mot à dire non seulement sur les orientations générales, mais aussi sur l'élaboration d'un « plan stratégique » de l'application des peines.
L’état-major de sécurité (co-présidé par le préfet et le procureur dans chaque département, et où siègent notamment police, impôts et éducation nationale) pourrait ainsi demander et obtenir le « bulletin numéro 1 » du casier judiciaire des personnes libérées, ainsi que les extraits de jugement ou d’arrêts et autres copies des rapports d’expertises concernant les personnes remises en liberté. Ces documents restent aujourd’hui entre les mains de la justice.
L’état-major de sécurité pourrait, également, désigner certaines personnes libérées aux services de police ou de gendarmerie pour qu’ils les surveillent, en regard du risque potentiel que représenterait leur situation judiciaire passée. Autrement dit, élus et administrations pourraient être tentés de stigmatiser des personnes libérées, ayant été jugées parfois pour des faits anciens, cela au vu de pièces confidentielles parfois difficiles à interpréter, comme les rapports d’expertises psychologiques ou psychiatriques, par exemple.
« Les élus locaux, les bailleurs sociaux, les écoles et les cantines scolaires pourraient subitement découvrir des choses remontant à dix ans, au détriment du droit à l’oubli, et prendre peur, contrairement à la volonté affichée de favoriser la réinsertion », s’inquiète-t-on au Syndicat de la magistrature (SM, gauche). « Que se passera-t-il, si des gens perdent leur logement ou des aides, seulement parce qu’un élu ou une administration l’aura décidé en regardant leur dossier judiciaire ? »
Dans le même ordre d’idées, députés et sénateurs pourraient désormais être informés par ces deux conseils, et participer à leurs réunions. Encore des « gages de fermeté » donnés aux élus pour faire passer la réforme pénale, fulmine le SM.
À l’Union syndicale des magistrats (USM, modérée et majoritaire), on juge également que « le transfert des compétences vers le Conseil départemental de prévention de la délinquance et l’État-major de sécurité privent le procureur de façon scandaleuse de la maîtrise de la politique pénale sur son ressort », et « expose dangereusement les condamnés à la révélation à l’opinion publique de leur situation personnelle ».
Par ailleurs, « les officiers de police judiciaire se verront reconnaître le droit de recourir à la géolocalisation ou à des écoutes téléphoniques lorsqu’une personne sortie de détention sera soupçonnée de ne pas respecter une interdiction d’entrer en relation avec certaines personnes », s’inquiète l’USM, pour qui il s’agit d’une « atteinte tout à fait excessive à la vie privée, et se révèle en contradiction avec les dispositions protectrices récemment adoptées ».
« Aujourd’hui, quelqu’un qui sort de prison pour une affaire de violences conjugales ou un viol, par exemple, est déjà pris en charge discrètement par la justice et la police », explique un juge de l’application des peines, qui s’inquiète de la future diffusion d’informations confidentielles par cercles concentriques, et des dégâts potentiels.
Ces dispositions, qui généralisent la surveillance et le contrôle de tous les sortants de prison, s’éloignent singulièrement de l’idée de départ, qui était de « penser autrement la peine ». Le paradoxe est que cette tentation de transformer les élus locaux en « shérifs » est ancienne, et que la droite n’y avait, jusqu’ici, cédé qu’en partie seulement.
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