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France-Pologne: deux ans d'alliances sur des dossiers européens

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« On a tourné la page du “plombier polonais”. » Stéphane Le Foll, le ministre de l’agriculture, se souvient sans plaisir de la campagne de 2005 sur le traité constitutionnel européen, où il avait défendu en vain le “oui”, aux côtés de François Hollande. À l’époque, la directive Bolkestein et la figure du « plombier polonais » avaient symbolisé la libéralisation à tout crin et le dumping social en Europe. Près de dix ans plus tard, la France de François Hollande et la Pologne de Bronisław Komorowski se sont nettement rapprochées, au point de passer régulièrement des accords au niveau européen.

Le président de la République se rend de nouveau à Varsovie, mercredi 4 juin, pour assister aux célébrations des « 25 ans de la Liberté polonaise ». En fin de journée, il est aussi prévu qu'il dévoile avec son homologue une statue de Marie Curie-Sklodowska.

« Aujourd’hui, entre les deux pays, c’est une vraie alliance politique qui pèse », savoure Le Foll. C’est même une des rares réussites de François Hollande sur la scène européenne. Il a échoué à « réorienter » profondément l’Union et le « pacte de croissance » négocié à son arrivée en juin 2012 est dans les limbes, alors que le traité budgétaire négocié par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy est bien entré en vigueur. Et si Hollande, comme il l’avait promis, a brisé le tête-à-tête exclusif avec l’Allemagne mis en place par son prédécesseur, il n’a jamais réussi à construire des alliances durables suffisantes pour remettre en cause l’emprise de Berlin sur les orientations de l’Europe. Mais ses ministres se réjouissent de leur “love story” avec Varsovie où ils se sont tous, ou presque, déjà rendus.

Elle commence avant même l’arrivée de Hollande à l’Élysée. Pendant sa campagne, le président polonais, pourtant libéral, avait accepté de recevoir le candidat socialiste indésirable dans la plupart des autres pays craintifs de se fâcher avec Sarkozy. Depuis son élection, il s’est déjà rendu trois fois à Varsovie et, six mois seulement après son arrivée à l’Élysée, en novembre 2012, il prononçait un discours devant la Diète. « J’ai dit que la France était un pays fondateur de l’Europe. Vous, vous êtes un pays libérateur de l’Europe. Vous avez donc à prendre toute votre place dès aujourd’hui dans la construction de la zone euro », avait notamment lancé François Hollande.

Le président polonais Bronisław Komorowski a quant à lui déjà été reçu avec tous les fastes de la République en mai 2013. « Le job a été fait dans les moindres détails », se souvient Thierry Repentin, ministre délégué aux affaires européennes de Jean-Marc Ayrault. Komorowski a même eu droit à un atterrissage en hélicoptère à l’hôtel des Invalides avant le traditionnel dîner d’État à l’Élysée, où les conseillers du président avaient astucieusement exposé plusieurs documents historiques chers aux Polonais et exhumés des Archives nationales, comme l’original du traité signé par Napoléon créant le duché de Varsovie. Komorowski a également participé aux commémorations officielles du 8-Mai 1945.

Quant à son premier ministre Donald Tusk, il passe presque aussi souvent à Paris qu’Angela Merkel. Rien que depuis le début de l’année, il a déjà été reçu deux fois officiellement à l’Élysée. Sans compter les entretiens téléphoniques qui ont fait l’objet d’un communiqué public – le 19 février et le 1er mars pour Tusk, le 3 mars pour Komorowski. « Avec Tusk, Hollande a une bonne relation personnelle », dit un diplomate français. « Ils se parlent très souvent », confirme un de ses collègues. À un niveau inférieur, le conseiller Europe à l’Élysée, Philippe Léglise-Costa, s’entend aussi très bien avec son homologue Piotr Serafin, également secrétaire d’État aux affaires européennes. Ce dernier avait parallèlement noué des « liens d’amitié » avec Thierry Repentin.

Ces relations personnelles, tissées au fil des mois, facilitent et renforcent les convergences objectives d’intérêts entre les deux pays. Très vite après son arrivée à l’Élysée, François Hollande a compris qu’il lui fallait renouer avec des pays souvent froissés par l’inconstance diplomatique de Nicolas Sarkozy et par sa relation quasi exclusive, en fin de mandat, avec Angela Merkel. À la table du Conseil européen, il découvre, dixit un de ses proches, une Europe paralysée par ses désaccords, « entre Nord et Sud, entre les pays de la zone euro et ceux qui n’en font pas partie ». « Après deux conseils, le président avait bien compris l’état des rapports de force et que tu ne pouvais rien faire si tout le monde se regarde en chiens de faïence », explique un diplomate à Paris.

Hollande met rapidement en scène sa volonté de travailler avec l’Italie et l’Espagne. Mais « la France ne doit pas être le porte-voix des pays du Sud, explique l’ancien ministre Thierry Repentin. Elle doit être le pays charnière entre le Nord et le Sud. Sinon elle est de facto affaiblie par rapport aux pays d’Europe du Nord ». Le rapprochement avec Varsovie est l’occasion idéale de « retrouver une voix à l’Est », dit-il encore. Et d’y contester (un peu) le leadership qu’y exerce l’Allemagne. Quant à la Pologne, « elle ne veut plus être l’arrière-cour de Berlin », rapporte Repentin. « Les Polonais nous ont dit : “Ne nous laissez pas dans une confrontation avec l’Allemagne. On a besoin d’être à trois” », confirme un diplomate en poste à Paris. Ce trio s’est depuis manifesté par la réactivation du « triangle de Weimar » (France, Allemagne, Pologne).

Dès 2012, la France et la Pologne se rendent également compte qu’elles ont un intérêt majeur en commun : les négociations en cours sur le budget européen menacent à la fois la politique agricole commune (PAC), à laquelle Paris tient, et les fonds de cohésion, dont Varsovie a besoin. « Il y a eu une alliance entre la France et la Pologne pour protéger les politiques communes », explique-t-on à l’Élysée. « Dès que les discussions se sont engagées, j’ai plaidé, y compris auprès du président de la République, pour lier les deux. Sinon la PAC ne pouvait pas passer… Cela a fonctionné », raconte le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll.

Il se souvient de sa première rencontre avec son homologue polonais à Chypre Stanislaw Kalemba, en septembre 2012 pour une réunion européenne informelle. « On avait tous les deux un petit problème. On s’est tapé dans la main comme des maquignons et on a passé un deal. À la réunion suivante, on s’est soutenu l’un l’autre », selon Le Foll. Le Polonais luttait contre l’interdiction voulue par Bruxelles des aides d’État directes aux agriculteurs ; le Français se battait pour débloquer le fonds européen de 40 millions d’euros pour la banane des Antilles. « À partir de la “banane verte”, on a trouvé une majorité sur tous les sujets », sourit Le Foll.

Surtout, l’exécutif français n’a eu de cesse de se féliciter du vote crucial de la Pologne en faveur d’un durcissement, même minime, de la directive sur le détachement de travailleurs. Fin 2013, c’est le retournement de Varsovie, a priori hostile à tout changement, qui a permis de l’emporter au conseil. Il a été obtenu après une visite de François Hollande à Varsovie, au retour d’une réunion internationale à Vilnius. « La France a plaidé à partir de l’état de l’Europe, touchée par des crispations nationales durables, et estimé que la meilleure façon de garantir la libre circulation des travailleurs était d’en renforcer les règles. C’est ce qui a convaincu les Polonais », explique-t-on à Paris.

Ce jour-là, Hollande et Tusk ont également parlé défense – le ministre concerné Jean-Yves Le Drian était aussi sur place, lui qui a rencontré près d’une dizaine de fois son homologue polonais depuis deux ans. Les Polonais ont participé, même a minima, aux opérations françaises au Mali (soutien à la formation et fourniture de matériel) et en Centrafrique. Et la France vient d’envoyer quatre chasseurs Rafale en Pologne pour appuyer les patrouilles de surveillance dans le ciel des pays baltes, inquiets de la politique russe en Ukraine.

Mais les efforts faits par les Polonais se paient aussi sur le terrain énergétique. Varsovie est très inquiète de sa dépendance énergétique vis-à-vis du géant russe – la situation ukrainienne n’a fait que renforcer ses craintes – et préfère conserver ses centrales à charbon très polluantes plutôt qu’augmenter ses importations de gaz russe. La Pologne a aussi rêvé exploiter les réserves de gaz de schiste qu’on lui prédisait gigantesques dans son sous-sol (un choix de plus en plus contesté par la population). « Ils cherchent une autonomie énergétique à tout prix », explique Le Foll.

Résultat : la France n’a pas milité auprès de l’Union pour que celle-ci fasse figurer l’interdiction de la fracturation hydraulique (pourtant bannie dans l’Hexagone) au niveau européen. Un geste qui fait plaisir à la Pologne, mais dans l’intérêt bien compris de la France qui n’a pas franchement envie que Bruxelles vienne mettre son nez dans le mix énergétique des États membres. Encore moins dans un pays qui défend coûte que coûte son énergie nucléaire, susceptible d’intéresser les Polonais. « Surtout, en échange, on pouvait garder les aides d'Etat sur le nucléaire! », rappelle un conseiller du quai d'Orsay. 

En dépit de son enthousiasme de départ, la France n’est pas apparue en pointe lors des premières discussions sur le paquet climat-énergie (lire notre article) qui doit garantir la réduction de 40 % des rejets de gaz à effet de serre d’ici 2030 et une part de 27 % dans la production d’énergie assurée par les renouvelables. « La France a veillé à garantir des objectifs européens qui ne remettent pas en cause les mix énergétiques des États », rapporte pudiquement l’ex-ministre des affaires européennes Thierry Repentin. En espérant que la Pologne, un des rares pays européens à avoir échappé à la récession depuis 2008 et où de très nombreuses entreprises françaises sont présentes, lui en soit reconnaissante.

Mais pour obtenir un accord européen, indispensable à la réussite de la conférence sur le climat prévue à Paris en 2015, la France sait déjà qu'elle devra faire d'importantes concessions à son nouvel ami polonais. « Tout ça va nous coûter très cher... », soupire un diplomate.

BOITE NOIREToutes les personnes citées ont été jointes par téléphone.

L'idée de cet article m'est venu cet hiver quand, lors de rencontres informelles avec des membres du gouvernement, alors dirigé par Jean-Marc Ayrault, plusieurs ministres ont évoqué spontanément leurs allers-retours à Varsovie et leur coopération avec la Pologne. Leur enthousiasme m'avait alors intriguée. J'ai ensuite attendu l'occasion de m'y pencher. La visite de François Hollande début juin en est une. 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014


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