Cela paraît étrange, mais ce n’est pas si étonnant dans la République désordonnée de François Hollande : un ministre vient d’être nommé, mais il ne sait pas encore très bien ce qu’il va faire. Dans les couloirs de l’Assemblée nationale, ce mardi 3 juin, Thierry Mandon papillonne, rayonnant mais un peu désorienté. Une pluie de SMS de félicitations tombe sur son portable. Une heure avant, vers 16 h 30, François Hollande l’a appelé. « Tu es nommé secrétaire d’État. » Voilà le porte-parole du groupe socialiste à l’Assemblée nationale propulsé, à sa grande surprise, au gouvernement, chargé de la « réforme de l’État et de la simplification ». Il sera directement rattaché au premier ministre Manuel Valls, élu de l’Essonne comme lui, alors que les deux hommes ne n’apprécient guère.
À 17 h 37, un communiqué surprise de l’Élysée est tombé. La secrétaire d'État au commerce Valérie Fourneyron, démissionnaire pour raisons de santé, est remplacée « sur proposition du premier ministre » par une députée PS, Carole Delga, qui appartient au noyau dur des hollandais de l’Assemblée. « C’est même une des dernières ! » s’amuse un cadre socialiste. « Le président de la République a également nommé M. Thierry Mandon secrétaire d’État auprès du premier ministre, chargé de la réforme de l’État et de la simplification. » Au passage, le gouvernement n'est plus paritaire : il compte désormais 17 hommes et 15 femmes.
Devant les caméras, Mandon, dont le nom avait déjà couru au moment de la formation du gouvernement Valls, improvise. Bien obligé : il n'a pas encore parlé au premier ministre et ne connaît pas sa fiche de poste. « Il s’agira de s’occuper à la fois de la réforme de l’État et de renforcer la simplification », bredouille-t-il, récitant l’intitulé de son poste. La simplification des normes, si chère au président (on se rappelle du fameux “choc de simplification”), il connaît : Mandon a corédigé avec le patron d'Unibail un rapport sur la simplification des démarches et de l'environnement réglementaire et fiscal des entreprises, qui a débouché sur 50 propositions concrètes. Tout à fait dans la ligne actuelle très pro-entreprise du gouvernement.
Mais la réforme de l’État ? « On ne sait pas trop ce que vous allez faire », lui lancent les journalistes. « Moi non plus », répond-il. « Comment allez-vous travailler avec Manuel Valls ?» « En bonne intelligence », répond-il avec malice.
Le nouveau secrétaire d’État avance bien quelques pistes. « Pour mener la réforme de l’État, il faut s’appuyer sur les agents des services publics du terrain, dit-il. Il y a une opération reconquête des fonctionnaires à mener ; ils sont les soutiens de la République. Or en ce moment, ils ne sont pas insensibles à certains démagogues. » Une allusion au résultat calamiteux des municipales et des européennes, marquées par l'abstention des électeurs de gauche et la progression du Front national. Depuis des mois, Mandon alerte sur la déstructuration de l’électorat socialiste, s'inquiète d'un PS lâché par sa base d'ouvriers, d'employés et de petits fonctionnaires. Sauf qu'en théorie, c'est Marylise Lebranchu, la ministre chargée de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique qui devrait gérer les relations sociales avec les fonctionnaires.
Vingt-quatre heures après l’annonce d’une réforme territoriale d’ampleur mais déjà contestée, voilà que François Hollande décidé de façon paradoxale de créer un mille-feuille ministériel pour diminuer le « pudding » administratif – l'expression fétiche de Thierry Mandon.
Marylise Lebranchu, ministre chargée depuis 2012 de la décentralisation, de la réforme de l’État et de la fonction publique, est désavouée. Dans le nouveau gouvernement Valls, cette proche de Martine Aubry s’était vu accoler comme secrétaire d’État chargé de la décentralisation André Vallini, un hollandais pur jus, incarnation du baron socialiste. Voilà désormais qu’elle perd la main sur la réforme de l’État, la fameuse “Modernisation de l’action publique” (MAP), héritière de la si contestée Réforme générale des politiques publiques (RGPP) menée par Nicolas Sarkozy. Mercredi, un décret au Journal officiel modifie l'intitulé de son portefeuille: elle n'est plus que ministre de la décentralisation et de la fonction publique.
« Marylise Lebranchu reste le stratège de l’ensemble de ses questions. Avec André Vallini, nous ne sommes que les fourmis », assurait mardi Thierry Mandon, sitôt sa nomination officialisée. « Marylise Lebranchu va être la ministre de la réforme territoriale ; c'est beaucoup de travail, c'est un chantier titanesque. Or la réforme de l'État est aussi un chantier prioritaire. Il fallait donc un portefeuille dédié », justifie l’Élysée. Ou l’on assure que si Lebranchu n'a pas Mandon sous son autorité, c'est parce que la réforme de l’État et la simplification sont des dossiers transversaux.
Juste après la confirmation d'une vaste réforme territoriale (la suppression de la moitié des régions, des départements et la fusion des intercommunalités), le gouvernement tente d'accréditer l'idée selon laquelle il mène de front des réformes qu'aucun gouvernement n'a jamais osé mettre en œuvre (lire ici). Un vrai pari politique, mais dont la réussite est hasardeuse, vu l'impopularité du chef de l'État, clé de voûte du système institutionnel de la Ve République. « Valls reprend la modernisation de l’État en main », décrypte un cadre du PS. Depuis quelques temps, le premier ministre souhaitait reprendre sous sa coupe la réforme de l’État, dont l'administration était installée à Matignon mais qui était pilotée politiquement par Lebranchu. Ces derniers jours, la nomination d’un Haut-commissaire à la réforme de l’État était même envisagée – le nom de Jean-François Carenco, préfet de la région Rhône-Alpes et ancien directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo au ministère de l'écologie a couru.
Marylise Lebranchu apparaît donc comme la première victime collatérale de ce grand mécano. La ministre n’a jamais été en état de grâce auprès d’Hollande, même si elle a dû gérer depuis 2012 ses contradictions et ses revirements sur la décentralisation. Lebranchu, qui n’a été prévenue qu’au dernier moment, a bel et bien vécu la nomination de Mandon comme un désaveu. « Ce soir, elle est débranchée », commentait mardi un député moqueur.
Quant à Valérie Fourneyron, elle quitte le gouvernement pour des raisons de santé. La secrétaire d'État au commerce a rencontré François Hollande dans l'après-midi. Elle avait remis sa démission dès la semaine dernière au chef de l’État et au premier ministre. Hospitalisée début avril, elle avait repris ses fonctions après trois semaines de convalescence. Le 15 mai, elle a été à nouveau admise à l’hôpital, cette fois dans le plus grand secret. La semaine dernière, Valérie Fourneyron a jugé ne plus être en mesure d’assurer sa tâche.
Mardi soir, son entourage démentait l’article du Canard enchaîné à paraître mercredi 4 juin, indiquant qu’elle aurait envoyé à François Hollande plusieurs lettres de démission, restées sans réponse.
BOITE NOIREAjout: mercredi 4 juin, un décret au JO a confirmé que Marylise Lebranchu n'a plus la main sur la réforme de l'Etat.
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