François Hollande contre les conservatismes : c’est le nouveau refrain de l’Élysée pour relancer un quinquennat à bout de souffle. La réforme territoriale, dont les contours ont été annoncés lundi soir, doit en être le symbole. Sauf que le président de la République, dont la légitimité politique est très fragile, incarne une méthode de gouvernement caricaturale de la Ve République.
La nouvelle carte territoriale, présentée lundi soir sur le site de l’Élysée, prévoit la réduction de 22 à 14 régions. La Basse-Normandie et la Haute-Normandie vont fusionner, mais aussi Rhône-Alpes et l’Auvergne ou encore la Picardie et la Champagne-Ardenne, etc. Les conseils généraux doivent être supprimés en 2020 quand les intercommunalités (dont le seuil minimal d’habitants doit passer de 5 000 à 20 000 habitants) se seront développées. François Hollande a également confirmé que les prochaines élections départementales et régionales sont repoussées du printemps 2015 à l’automne 2015, après l’adoption du projet de loi qui doit être déposé en juillet.
Ces annonces, attendues depuis la conférence de presse présidentielle du 14 janvier 2014, ont sans surprise provoqué la fureur de nombreux élus locaux, de petits et grands barons, et de l’opposition. Les réformes territoriales sont pourtant promises depuis de longues années, tant l’enchevêtrement de compétences n’a plus vraiment de sens dans un mille-feuille institutionnel jugé inefficace et gourmand en frais de fonctionnement. François Hollande l’a bien compris et espère jouer de l’impopularité croissante d’une classe politique jugée conservatrice et jalouse de ses privilèges.
C’est tout le pari de l’Élysée. « La carte des régions date de plus de 60 ans. Cela fait 30 ans qu’on veut la modifier. Il y a eu le rapport Mauroy en 2000, le rapport Balladur de 2009 et le rapport Raffarin en 2013. Tous ont dit qu’il fallait réduire le nombre de régions. Personne ne l’a fait. Le président de la République est le premier à passer à l’acte », explique un proche. Avant d’insister : « Au moins lui, il fait la réforme. C’est bien lui le patron, il l’a montré. »
« C'est la plus grande réforme du quinquennat », s'enthousiasme le député PS, Bernard Roman. L'élu du Nord se plaisait à rappeler mardi dans les couloirs de l'Assemblée nationale que Pierre Mauroy, en 1982, souhaitait 16 régions seulement. Mais que sous la pression des barons du PS désirant devenir présidents de région, François Mitterrand avait porté leur nombre à 22.
Sur le papier, cette réforme rompt d'ailleurs par rapport aux deux premières années du quinquennat où, malgré des avancées, François Hollande a toujours cherché à ménager les élus locaux. S’il est passé outre leurs réticences sur le non-cumul des mandats, il a dû en repousser l’application à 2017. Les textes sur la transparence, annoncés en catastrophe après les aveux de Jérôme Cahuzac, ont eux aussi été atténués après la fronde lancée par Claude Bartolone, le président de l’Assemblée (lire notre article).
Quant aux lois déjà votées sur la décentralisation, elles ont fait l’objet de cafouillages innombrables – Marylise Lebranchu avait dû changer de directeur de cabinet ; ses textes avaient été découpés en plusieurs lois, sur ordre de l’Élysée où les associations d’élus défilaient pour défendre leur paroisse (lire notre article). Le chef de l’État a lui-même souvent changé d’avis, sur l’avenir des départements ou la suppression de la clause de compétence générale.
À l’époque, François Hollande faisait figure de « président des élus », lui qui s’est, tout au long de sa carrière, appuyé sur les élus locaux – lors de la primaire, il avait convaincu nombre de petits barons de le soutenir. Lui-même fut maire de Tulle et président du conseil général de Corrèze. L’an dernier, le député PS Pascal Cherki avait même lancé : « Lorsque l'on est président de la France, on n'est pas conseiller général, on prend la mesure de la situation et on change de braquet. » Sur la forme, la remarque avait choqué de nombreux socialistes. Mais sur le fond, ils étaient nombreux à la partager.
La nouvelle réforme territoriale, annoncée lundi soir, doit permettre de rompre avec cette image du chef de l’État. Sauf que la méthode de gouvernement de François Hollande est très loin d’incarner un renouvellement des pratiques politiques. Jusqu’à la dernière minute, le nombre de régions a varié. Il n’a été fixé que lors d’une ultime réunion de calage à l’Élysée, lundi soir, avec Manuel Valls, Bernard Cazeneuve et Marylise Lebranchu, donnant l’impression d’un président décidant sur un coin de table, seul en son Palais. La version de sa tribune envoyée à la presse quotidienne régionale mentionnait même : « Je propose donc de ramener leur nombre de 22 à XX. » Un signe que les arbitrages n'ont eu lieu qu'au dernier moment.
La Bretagne et les Pays de la Loire ne changent pas de périmètre, après les pressions diverses et contradictoires exercées par Jean-Marc Ayrault et Jean-Yves Le Drian. Le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie ne fusionnent pas, pour éviter d’ouvrir un boulevard au Front national.
« On se demande si le résultat du FN aux européennes “n’explique pas” certains redécoupages. Pour eux, une fusion entre le Nord et la Picardie, un temps envisagée, c’était donner une région au FN. Mais on ne luttera pas contre le FN en faisant des bidouillages électoraux », a réagi mardi Barbara Pompili, coprésidente du groupe écologiste à l’Assemblée et élue en Picardie. Même tonalité pour son camarade François de Rugy, élu en Loire-Atlantique : « Quand on a vu François Hollande, il a parlé d’un rapprochement Pays de la Loire/Centre. Et il a dit qu’il n’arriverait jamais à mettre d’accord les socialistes de Bretagne et de Pays de la Loire. » Cette réforme « se fait au prix d'une aggravation de l'autoritarisme inhérent à la Ve République et de la mise en place de pouvoirs de plus en plus technocratiques abrités de la souveraineté populaire », dénonce également le PCF dans un communiqué.
« La carte a été inventée sur un coin de table à l’Élysée, imaginée hier à 20h40. La méthode à la schlague est calamiteuse, absurde et incohérente. Tout cela est le fruit de négociations entre barons PS », s’est aussi énervé le député UDI Jean-Christophe Lagarde. Le patron des députés UMP, Christian Jacob, s’est aussi engouffré dans la brèche : « Un président de la République qui, nuitamment, entre 20 heures et 21 heures, modifie les régions en fonction de ses coups de fil, c’est invraisemblable. Les Pays de la Loire devaient fusionner avec Poitou-Charentes à 20 heures, avant d’être rebalancés de l’autre côté après, c’est n’importe quoi ! »
La réunion du groupe socialiste à l’Assemblée a elle aussi été animée, malgré l’envoi d’éléments de langage par Matignon la veille et d’un petit mot, signé Vincent Feltesse, le nouveau conseiller politique de François Hollande, aux députés. Plusieurs députés ont dit avoir eu le sentiment d’une réforme qui « tombe d’en haut ». « Le roi a décidé que ce serait 14 régions. Cette vision arbitraire et technocratique est insupportable », a dénoncé Pouria Amirshahi.
Comme d’autres, le député des Français de l’étranger critique aussi une vision trop budgétaire. De fait, l’essentiel de l’argumentation des ministres consiste à répéter que la réforme va permettre de faire des économies. Y compris en avançant des chiffres jugés fantaisistes – entre 12 et 25 milliards d’euros pour le secrétaire d’État André Vallini, et contestés jusque dans les rangs du PS. « Fusionner les régions ne rapportera rien à court terme. À moins de fermer des lycées et de détruire des voies ferrées ! On ne fera pas non plus un plan social, et c’est heureux, explique le député PS Olivier Dussopt, spécialiste de la décentralisation. Mais la réforme va amener plus d’efficacité et clarifier les compétences. » François Hollande devra commencer par en convaincre sa majorité.
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