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Matthias Fekl, député PS : « La probation pour tous les délits, c'est cohérent ! »

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L'Assemblée nationale examine à partir de ce mardi 3 juin la réforme pénale. Le texte, que défendra la ministre de la justice Christiane Taubira, aura mis des mois à venir devant le Parlement. Il a d'abord suscité une vive opposition entre Christiane Taubira et Manuel Valls, qui le jugeait trop laxiste. Puis il a été repoussé à deux reprises.

La loi sur la « prévention de la récidive et l'individualisation des peines » contient certaines promesses de campagne de François Hollande, comme la suppression des peines-plancher en cas de récidive instaurées par Nicolas Sarkozy. Mais le texte se refuse à évoquer frontalement le problème de la surpopulation carcérale. Et ce week-end, l'exécutif a désavoué Christiane Taubira qui entendait étendre le champ de la probation, une peine alternative à la prison que crée la loi. Malgré ces reculs, la droite, très mobilisée, devrait faire entendre sa voix. Le débat promet d'être houleux.

Membre de la commission des lois, spécialiste des questions de justice et de réforme de l'État, le jeune député socialiste du Lot-et-Garonne Matthias Fekl juge que le texte contient des « avancées » mais convient « qu'il pourrait aller plus loin sur bien des points ». Il vise notamment la non-suppression par la gauche de la rétention de sûreté, une loi votée en 2008 sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy qui permet d'isoler dans un centre fermé un condamné ayant déjà purgé sa peine. « La gauche l'a toujours jugée inacceptable », rappelle-t-il. « Nous devons être cohérent entre ce qu'on dit dans l'opposition et ce que nous disons au pouvoir. ».

Le collectif “Liberté, égalité, justice” qui regroupe des associations et syndicats professionnels de la justice (Ligue des droits de l'homme, Syndicat de la magistrature, Observatoire des prisons, etc.) estime que la réforme ne va pas assez loin « dans le sens de l'individualisation de la peine et de la réinsertion ». Lui donnez-vous raison ?

Matthias FeklMatthias Fekl © DR

Les associations sont dans leur rôle lorsqu'elles signalent ce qu'elles vivent sur le terrain. De même que les praticiens de la justice qui ont été mis à rude épreuve entre 2002 et 2012, quand la droite était au pouvoir. On peut évidemment aller plus loin sur bien des points, mais ce texte contient des avancées très importantes.

C'est une réforme de fond, pas sous le coup de l'émotion et des faits divers. De 2002 à 2012, sous la droite, il y a eu 27 lois pénales, dont un tiers était en lien direct avec un crime ou un délit qui avait retenu l'attention médiatique. Cette agitation permanente n'avait pour but que d'utiliser le droit à des fins de pure communication, sans réfléchir à l'efficacité des réformes menées. La droite va nous refaire le procès du laxisme, en s'en prenant à Christiane Taubira qui est sa cible privilégiée. Mais c'est caricatural, d'une pauvreté affligeante. Le seul critère qui doit guider le Parlement, c'est l'efficacité de la justice républicaine : les 27 lois pénales de la droite n'ont pas empêché la récidive d'augmenter ! On ne doit pas légiférer avec un pistolet sur la tempe armé par l'extrême droite et une certaine droite qui court après ses idées. Même si certains s'emploient à tendre les débats à l'extrême, le rôle d'un Parlement républicain, c'est d'aborder la discussion avec beaucoup de sang-froid.

Quand il est arrivé au pouvoir, ce gouvernement entendait réduire la population carcérale, individualiser les peines au maximum… Les spécialistes de la justice assurent par exemple qu'on pourrait désengorger les prisons, qui n'ont jamais été aussi remplies ! Ce n'est donc plus possible de faire une grande réforme pénale de gauche ? 

Dans la loi, il y a quand même des progrès ! Instaurer la contrainte pénale (un dispositif, aussi appelé « probation », qui permet une peine personnalisée en évitant l'emprisonnement - ndlr), éviter les sorties sèches de prison sans que la réinsertion n'ait été préparée, ce sont de bonnes avancées. Il y a même des moyens supplémentaires prévus. Cela dit, nous devons effectivement être cohérent entre ce qu'on dit dans l'opposition et ce que nous disons au pouvoir.

Justement : la semaine dernière, lors de l'examen de la loi en commission des lois, la garde des Sceaux avait accepté la proposition des députés PS d'élargir la contrainte pénale à tous les délits, et pas juste à ceux punis au maximum de 5 ans de prison. Et ce week-end, le gouvernement, inquiet de donner des arguments à la droite, l'a désavouée. Finalement, la ministre devra vous faire voter un amendement avec lequel elle n'est pas d'accord…

L'exécutif est légitime pour faire des arbitrages en son sein. Mais un Parlement adulte dans une démocratie moderne est en droit d'avoir des débats sans que cela ne soit considéré comme des affrontements avec l'exécutif. La proposition des parlementaires d'étendre la probation à tous les délits est cohérente. Aujourd'hui, tous les délits peuvent bénéficier du sursis avec mise à l'épreuve. Or la contrainte pénale, c'est un dispositif beaucoup plus exigeant, plus responsabilisant et aussi plus dur pour les condamnés que le sursis ! Nous aurons ce débat avec le gouvernement. Les seules questions qui vaillent, ce sont : comment faire en sorte que la prison, tout en sanctionnant, prépare aussi à la réinsertion ? Comment faire en sorte qu'elle ne soit plus une école du crime comme c'est le cas aujourd'hui, à cause de moyens manquants et d'un afflux de gens qui seraient mille fois mieux punis s'ils n'y allaient pas ?

Cette loi supprime les peines-plancher, symbole du sarkozysme. Mais d'autres réformes de l'ancien chef de l'État, alors très contestées par la gauche, ne sont pas abrogées, en dépit des annonces du gouvernement : les tribunaux correctionnels pour les mineurs, la rétention de sûreté, etc.

Les tribunaux correctionnels pour mineurs, c'était de l'affichage. Ils n'ont pas réglé les problèmes. Je suis pour les faire rentrer à nouveau dans le droit commun. Quant à la rétention de sûreté, instaurée en 2008 par Nicolas Sarkozy, je vais déposer un amendement proposant de la supprimer. La gauche l'a toujours jugée inacceptable. L'ancien garde des Sceaux socialiste Robert Badinter l'a dénoncée avec beaucoup de force, l'ex-ministre de l'intérieur Pierre Joxe l'a jugée honteuse. Des républicains de droite l'ont condamnée, comme Pierre Mazeaud, qui avait parlé d'une « mauvaise loi », d'une « mauvaise mesure », d'un « mauvais principe ».

Les rétentions de sûreté sont une tache dans notre droit pénal républicain. Elles ne servent à rien. Elles ont été jugées « hasardeuses » et « incertaines » par le contrôleur général des lieux de privation de liberté. L'idée que des gens puissent être retenus après avoir purgé leurs peines introduit une rupture avec le droit pénal tel qu'il existe depuis la Révolution française. C'est transposer au droit pénal français les principes du film Minority Report (où des gens sont arrêtés avant de commettre des crimes - ndlr). Avec cette mesure, il devient théoriquement possible de rendre les enfermements infinis. Le droit républicain commun dispose déjà des outils nécessaires pour lutter contre les gens qui constituent des menaces pour la société ; la réclusion criminelle à perpétuité, des peines complémentaires de suivi qui permettent d'imposer des mesures d'interdiction, de contrôle et des obligations de soin jusqu'à 30 ans après la libération. Il faut remettre le droit pénal dans une tradition républicaine intransigeante mais aussi respectueuse des principes issus de 1789.

Sauf que le gouvernement ne le souhaite pas !

J'ai déposé un amendement, cosigné par des collègues socialistes, et je le défendrai en séance. Je ne connais pas à ce stade l'avis du gouvernement. Je sais juste que lorsque nous étions dans l'opposition, nous jugions que c'était inacceptable. La gauche ne réussit que quand elle porte un projet de transformation de la société. Dans le domaine de la justice comme dans d'autres, c'est cette conviction qui doit nous guider.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014


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