Le mouvement d’extrême droite Génération identitaire a lancé depuis mars 2014 des « tournées anti-racaille » dans divers métros, à Lille, Lyon, Paris et Nantes. À chaque fois, des dizaines de militants, vêtus de vestes jaunes et non armés selon le mouvement, écument le métro pendant une heure ou deux pour, selon eux, le « sécuriser » en réaction à plusieurs faits divers. Le groupe dit également avoir organisé à Lyon le 12 avril 2014 un stage d’autodéfense pour des jeunes identitaires venant de toute la France.
Génération Identitaire Flandre-Artois-Hainaut était de retour hier soir dans les transports en commun lillois @GI_FAH pic.twitter.com/z0CQ8behsz— Verhassel Aurélien (@A_Verhassel) 26 Mars 2014
« Face aux bandes haineuses, les jeunes Français et Françaises sont trop souvent isolés, apeurés, a justifié Aurélien Verhassel, de Génération identitaire Flandre-Artois-Hainaut, sur le site Vice. Parce qu’on ne les a pas préparés, parce qu’on ne leur a pas enseigné la solidarité, parce qu’on ne leur a pas appris à faire face. Nous voulons rompre cet isolement, montrer aux jeunes qu’ils peuvent et doivent se défendre, et faire comprendre à la racaille que la récréation est terminée. »
C'est oublier que les forces de l'ordre sont très présentes dans le métro, notamment parisien où la sécurité est assurée à la fois par la brigade des réseaux ferrés de la préfecture de police et le Groupe de protection et de sécurisation des réseaux de la RATP. « On n'a pas besoin d'une bande de guignols pour sécuriser le réseau de transports publics. Jouer avec les peurs, les fantasmes, c'est le métier de l'extrême droite. L'insécurité, c'est eux, avant tout », a réagi au micro d'Europe 1 l'écologiste Éric Quiquet, devenu depuis le patron du syndicat mixte intermodal régional des transports de Lille.
Il s’agit surtout d’une opération de communication réussie, comme sait si bien les monter cette branche jeunesse du mouvement d'extrême droite Bloc identitaire, apparue en 2012. Génération identitaire s’était d’ailleurs fait connaître dès sa naissance par un coup médiatique : le 20 octobre 2012, une soixantaine de militants avaient occupé le toit d’une mosquée à Poitiers, au nez et à la barbe des services de renseignement français, pour protester contre « l'islamisation de la France ».
Interrogé sur France Inter le 26 mai dernier, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve s’est montré très ferme. « En démocratie, le maintien de l’ordre, le rétablissement de l’ordre appartient à ceux qui ont des prérogatives de puissance publique – ce que Max Weber appelait le monopole de la puissance physique légitime, a-t-il rappelé. Ces groupes d’extrême droite ne sont pas là pour rétablir l’ordre dans le métro, car on n’a nul besoin d’eux pour le faire – nous avons procédé dans les transports en commun à l’arrestation de 66 000 personnes l’an dernier, qui avaient commis des troubles à l’ordre public (…). Ils sont là pour provoquer, ils sont là pour “antagoniser”, ils sont là pour diviser. »
Avant de trancher : « Ils n’ont pas à faire ce type de patrouilles et à chaque fois que ces provocations auront lieu, toutes les mesures de droit seront prises de manière à ce que ces actes soient réprimés. »
Mais que peuvent faire les pouvoirs publics contre ce type de provocation ? Pour l’instant, la réponse est prudente. La Ligue des droits de l’Homme lilloise, qui avait demandé à la préfecture du Nord « d’interdire et de sanctionner » ces tournées, s’est vu opposer une fin de non-recevoir. « Le préfet ne peut pas s'opposer à une telle initiative », mais « sera néanmoins très vigilant au respect des dispositions législatives qui encadrent le concours éventuel de tout citoyen à l'interpellation d'auteurs d'infraction », a répondu la préfecture du Nord au Parisien. « Tant qu’il n’y a pas de trouble à l’ordre public, il est difficile d’interdire ce genre d’action », a de son côté indiqué la préfecture de police de Paris au même quotidien.
La loi permet à n’importe quel citoyen d’interpeller une personne en « cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d'une peine d'emprisonnement ». Il doit alors la conduire à l’officier de police judiciaire le plus proche. Mais elle interdit également « toutes les associations ou groupements de fait (…) qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ».
Le 10 janvier 1936, la IIIe République, traumatisée par les émeutes du 6 février 1934 qui menèrent des groupes d’anciens combattants et des ligues d’extrême droite devant la Chambre des députés, s’est en effet dotée d’un texte pour neutraliser ces milices. Sous certaines conditions et après une procédure contradictoire, celles-ci peuvent être dissoutes par décret par le président de la République. C’est ce qui s’est passé pour le Service d’action civique (SAC), dissous en 1982 par François Mitterrand, ou, plus récemment, pour l’Œuvre française, dissoute par François Hollande le 25 juillet 2013.
Génération identitaire et ses « tournées anti-racaille » peuvent-elles tomber sous le coup de cette même mesure administrative ? Pas dans l’immédiat, répond le cabinet du ministère de l’intérieur. « La dissolution administrative par décret du président de la République est une procédure exceptionnelle, qui répond à des conditions strictes, qui ne sont pas réunies à ce jour », nous indique-t-on.
« Comme cette mesure liberticide remet en cause la liberté d’association, le contrôle du Conseil d’État est assez étroit, décrypte un conseiller d’État. On peut comprendre que le ministère de l’intérieur préfère assurer ses arrières. »
En juillet 2013, le président de la République s’était appuyé sur trois motifs expressément prévus par la loi pour dissoudre l’Œuvre française : la forme et l’organisation militaires du mouvement, le culte qu’elle vouait à la collaboration et au régime de Vichy, ainsi que son idéologie incitant à la haine et à la discrimination envers les étrangers, les juifs et les musulmans. Le Conseil d’État avait confirmé ces motifs le 25 octobre 2013, en rejetant le recours des responsables de ce mouvement d'extrême droite.
Lors de leurs opérations dans le métro, les militants de l’Œuvre française se sont bien gardés de toute définition tonitruante de ce qu’ils appellent « la racaille ». Et malgré des stages d'autodéfense, leur organisation ne peut pas non plus vraiment être qualifiée de militaire. « Début 2013, quand ils avaient mené des maraudes au profit exclusif des Français de souche, nous avions saisi le Parquet, car il y avait un délit de discrimination caractérisé avec en plus des propos de provocation à la discrimination et à la haine raciale, explique Isabelle Denise, responsable du service juridique de la Ligue des droits de l'Homme (LDH). Là, avec les tournées “anti-racaille”, il s’agit d’opérations ponctuelles, certes très médiatisées, mais sans dispositif qui s’installe dans la durée et sans discours ouvertement discriminant. » Jusqu'au prochain dérapage, Génération identitaire peut donc dormir sur ses deux oreilles.
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