1 puis 3 puis 5 puis 10 milliards de dollars ! Les compteurs s’affolent. En quelques semaines, le montant des pénalités encourues par BNP Paribas face à la justice américaine a pris des allures de bombe à retardement. Le département américain de la justice semble augmenter ses exigences chaque jour, à en croire les révélations quasi quotidiennes du Wall Street journal.
En face, BNP Paribas garde un mutisme total. Ce n’est qu’au moment de la publication de ses comptes annuels, en mars 2014, que la banque a révélé avoir provisionné la somme de 1,1 milliard d’euros pour faire face à un litige aux États-Unis. Elle n’en avait à peine soufflé mot avant. Depuis, c’est le black-out.
En interne, cependant, la direction est dans l’affolement. Seules quatre à cinq personnes de la direction générale paraissent avoir une vision complète du dossier et des risques encourus. Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de la banque, s’est rendu discrètement aux États-Unis, il y a quelques semaines, pour discuter avec le département américain de la justice. Mais rien n’a filtré de cette rencontre. Lors de l’assemblée générale, la direction de BNP Paribas a appelé ses actionnaires à l’union sacrée. Aucune question embarrassante ne lui a été posée sur ce dossier de plus en plus explosif. Les actionnaires ont dû se contenter des explications succinctes données par la direction de BNP Paribas. Celle-ci s’est retranchée derrière les obligations de secret et les négociations avec la justice américaine pour en dire le moins possible. Toute déclaration ou toute annonce de ses intentions pourrait lui être préjudiciable, a-t-elle déclaré en substance.
Tentative d’éclaircissements sur un dossier où tout se joue en coulisses.
- De quoi est accusé BNP Paribas par la justice américaine ?
Selon les déclarations très limitées de la banque, la justice américaine reproche à BNP Paribas d’avoir, entre 2002 et 2009, violé l’embargo décrété par les États-Unis sur un certain nombre de pays. Elle aurait continué à mener des opérations avec l’Iran, Cuba et le Soudan notamment. Même si les opérations ont été réalisées en dehors du territoire américain, la justice américaine se considère comme légitime à sanctionner les agissements de la banque, car ces opérations ont été réalisées en dollars. Le gouvernement américain revendique un contrôle sur sa monnaie. Toutes les opérations en dollars passent par des chambres de compensation situées sur le territoire américain. Un moment ou un autre, les opérations « illégales » selon la loi américaine, se matérialisent aux États-Unis.
La procédure américaine est menée sous la triple responsabilité du procureur de Manhattan, Preet Bharara, du procureur général de New York, Cyrus Vance, et du chef de la division criminelle du département de la justice à Washington, David O’Neil, dans le cadre de l’Office of foreigner asset control (OFAC) qui veille au respect notamment des embargos américains. Benjamin Lawsky, superintendant des services financiers du département de la justice de New York est aussi associé à l’enquête.
La version officielle donnée tant par la banque que par la justice américaine s’arrête là.
Selon nos informations, si la violation de l’embargo concernant le Soudan et le Cuba est citée, c’est d’abord la violation de l’embargo sur l’Iran qui intéresse la justice américaine. Plus précisément, la violation de l’embargo sur la vente du pétrole iranien.
Les poursuites visent directement une filiale suisse de la banque, BNP Paribas Suisse, selon nos informations, ce que semble confirmer le quotidien suisse Le Temps. Celle-ci est un héritage de Paribas. Installée depuis des décennies à Genève, Paribas Suisse s’était notamment illustrée en 1982, au moment de la nationalisation de la banque. C’est par ce canal que la direction d’alors de Paribas avait fait transiter d’importants actifs, afin d’échapper à une nationalisation totale, comme l'avaient également fait de grandes fortunes, alarmées par l’arrivée de la gauche au pouvoir.
Mais Paribas Suisse ne se consacrait pas seulement à la gestion des grandes fortunes et à leur évasion. Profitant de la situation de Genève, plaque tournante mondiale du négoce du pétrole et des matières premières, elle s’est spécialisée dans toutes les opérations de négoce et leurs financements. Dans les années 1980, elle soutient activement Marc Rich, homme d’affaires belge, expert en trading sur les matières premières. Celui-ci s’est déjà fait une spécialité de contourner tous les embargos, notamment sur l’Iran, vendant sur le marché international les cargaisons qu’il est parvenu à faire sortir des territoires interdits. Ces opérations, largement préfinancées par Paribas Suisse, donnent lieu à des rémunérations vertigineuses. En quelques années, Marc Rich devient milliardaire. Il sera poursuivi en 1983 par la justice américaine pour violation d’embargo, se réfugiera dans le canton suisse de Zoug afin d’échapper aux poursuites américaines, avant d’être gracié par Bill Clinton lui-même. Sa société donnera naissance au groupe Glencore, géant mondial dans les matières premières, à la fin des années 1990.
Paribas Suisse a continué de développer avec d’autres groupes ses activités si rémunératrices de financement du négoce en pétrole. Elle est notamment très proche de la société Trafigura, fondée par le français Claude Dauphin. De nombreux anciens salariés de Paribas Suisse l’ont rejoint. Cette société très secrète est experte, elle aussi, dans le négoce de pétrole, et toutes les pratiques qui y sont liées. Un métier à risques, comme dit une enquête du Temps.
Lors du rachat de Paribas par la BNP, en 1999, la banque, dirigée alors par Michel Pébereau, trouve cette filiale suisse dans le portefeuille de Paribas. Elle se garde bien de toucher à cette banque aux activités si profitables. Michel Pébereau rejoint très vite le conseil d’administration de BNP Paribas Suisse. En 2012, il y siégeait encore aux côtés de Jean Clamon, directeur général du groupe bancaire, responsable de la conformité, Jean d’Estais, responsable d’investment solutions (sic) du groupe, de Dominique Rémy, responsable de la banque belge Fortis depuis son rachat en 2008 par BNP Paribas. La banque suisse était alors dirigée par Georges Chodron de Courcel, directeur général délégué du groupe BNP Paribas. La présence des principaux responsables du groupe bancaire au conseil d’administration de cette filiale suisse en dit l’importance.
Dès le milieu des années 2000, les responsables de la banque savent qu’ils sont dans une situation à risque. « Quand je suis arrivé en 2009, les choses étaient déjà connues et archi identifiées. En 2007, il y avait eu une enquête interne en matière de violation d'embargo. On avait établi qu'il n'y avait aucune violation ni des règles suisses, ni onusiennes, ni européennes. Il s'agissait d'embargo américano-américain. On avait fait le tour des problèmes et les Américains ont eu dès 2008 cette enquête interne entre les mains. Ils n'ont alors eu aucune réaction. Ils n'ont pas donné signe de vie jusqu'en 2010. Puis il a fallu encore trois ans pour en arriver là où nous sommes ! Sous la pression de Carl Levin, le DoJ (department of justice – ndlr) a été malmené et obligé de durcir sa position », raconte un ancien salarié de BNP Paribas Suisse.
En décembre 2013, BNP Paribas a finalement pris des mesures radicales à l’égard de sa filiale suisse. Soixante à soixante-dix salariés ont été licenciés. Le groupe a décidé de réduire drastiquement son activité dans le négoce de matières premières.
- Pourquoi la justice américaine intervient-elle maintenant ?
C’est un usage très établi aux États-Unis. La justice américaine se considère comme fondée d’intervenir contre toute entreprise travaillant sur son territoire et contournant les lois américaines. En 1991, la banque italienne Banco del Lavoro – rachetée depuis par BNP Paribas – a ainsi été condamnée pour violation de l’embargo sur l’Irak, et son dirigeant emprisonné. Dans cette affaire, les opérations avaient été réalisées à partir de sa filiale d’Atlanta.
À partir de 2009, les autorités américaines ont durci leur position. La crise financière de 2008 était passée par là. Au plus fort de la tourmente, après l’effondrement de Lehman Brothers, c’est la Réserve fédérale qui avait dû se porter au secours du système bancaire international. Alors que le système interbancaire était complètement gelé, elle avait notamment distribué des milliards de dollars aux banques européennes pour leur porter secours. Cela avait permis d’éviter l’effondrement du système bancaire européen et mondial.
À partir du moment où la Réserve fédérale se portait garante des banques européennes et approvisionnait le système mondial en dollars, les législateurs américains ont considéré que les autorités américaines étaient fondées à exercer un droit de regard sur toutes les banques. Une circulaire a été, selon nos informations, envoyée à toutes les banques travaillant sur le sol américain pour les avertir de leurs obligations de se conformer en tout point à la législation américaine, y compris à l’étranger.
Le contournement des embargos décrétés par le gouvernement américain par des entreprises étrangères, même en dehors des États-Unis, redevint au centre des intérêts de la justice américaine. Mais ce fut d’abord sur la pointe des pieds. En 2009, BNP Paribas, qui s’est plié aux enquêtes des autorités américaines menées chez elle, pense n’avoir aucun problème. Elle signale juste l’existence d’un litige avec la justice américaine, au détour de son rapport annuel. En 2012, le rapport annuel de BNP Paribas Suisse reste tout aussi discret sur les poursuites aux États-Unis. Elles sont signalées comme un risque parmi tant d’autres. Ce n’est qu’en mars dernier que BNP Paribas a annoncé que la situation devenait sérieuse. Elle provisionnait alors 1,1 milliard d’euros pour face aux amendes qu’elle pouvait encourir aux États-Unis.
- Y-a-t-il un emballement de la justice américaine ?
À voir l’envolée en quelques semaines des pénalités annoncées, certains observateurs ont le sentiment que la justice se livre à une surenchère médiatique à destination des contribuables américains. La colère de l’opinion publique américaine contre Wall Street et le monde bancaire n’est pas retombée depuis la crise. La justice américaine est particulièrement visée, accusée d’avoir fait preuve d’un laxisme coupable à l’égard des banquiers et d’avoir organisé leur impunité. Après le « too big to fail », les Américains reprochent à la justice d’avoir mis en place le « too big to jail ». « Aucun banquier n’est allé en prison », se sont indignés de nombreux observateurs.
Face à ces critiques fondées et de plus en plus acerbes, le monde judiciaire tente de se disculper. Les responsables du département de la justice et des autorités de régulation multiplient des déclarations pour indiquer que le temps de l’impunité est terminé pour les banquiers. Ces derniers mois, les banques américaines ont payé des amendes records – 13,5 milliards de dollars pour JP Morgan, par exemple – dans le cadre de multiples procédures, touchant aussi bien les subprimes que les manipulations en tout genre des marchés – change, libor, or, etc.
Début mai, le ton est monté d’un cran. Eric Holder, procureur général des États-Unis, a annoncé publiquement qu’il n’y avait aucun groupe « trop grand pour éviter la prison » et que la justice travaillait la main dans la main avec les autorités de régulation financière pour poursuivre tous les cas répréhensibles. « Cette coopération sera essentielle dans les semaines et les mois à venir, alors que le département de la justice poursuit plusieurs enquêtes. Je ne donne aucun objectif particulier, mais je dis que je supervise personnellement les enquêtes en cours, et j’entends qu’elles aboutissent », indiquait-il. À l’appui de ses dires, il citait deux noms : Crédit Suisse et BNP Paribas. Le 19 mai, la banque suisse a accepté de plaider coupable et de payer une amende record de 2,6 milliards de dollars pour fraude et évasion fiscale .
- Les poursuites de la justice américaine sont-elles fondées ?
Sortant de sa réserve proverbiale, le gouverneur de la banque de France, Christian Noyer, a volé au secours de BNP Paribas ces derniers jours. « Nos services ont vérifié que toutes les transactions incriminées étaient conformes aux règles, lois, réglementations, aux niveaux européen et français », a-t-il déclaré. La Banque de France, a-t-il insisté, n’a constaté « aucune contravention à ces règles, ni d’ailleurs aux règles édictées par les Nations unies ».
C’est un des problèmes essentiels de droit soulevé par les poursuites de la justice américaine. Dans quelle mesure est-elle fondée à imposer la loi américaine, sous le seul prétexte que les opérations ont été réalisées en dollar, seule monnaie de réserve internationale ? Est-ce à dire que toutes les transactions en dollar dans le monde sont susceptibles d’être poursuivies ? Que deviennent dès lors la souveraineté nationale des autres pays, le droit international ? Est-ce à dire qu’il n’y a plus qu’une seule loi, la loi américaine, dès que l’on touche au commerce international, parce qu’il se fait en dollar ?
Ces questions et d’autres encore soulèvent de nombreuses interrogations dans le monde du droit. « Autant les sanctions contre une banque pour évasion fiscale, corruption, blanchiment sont légitimes. Autant les poursuites pour contournement d’embargo, si les opérations ne sont pas réalisées à partir du territoire américain mais seulement parce qu’elles sont en dollar, paraissent plus discutables. Par le biais du dollar, les Américains imposent une vision extensive de leur politique internationale, alors que celle-ci ne fait pas consensus », insiste Stéphane Bonifassi, avocat chez Lebray & associés, spécialiste du droit international.
« Sur les problémes fiscaux, je peux comprendre que les Américains fassent pression et aillent jusqu'au bout. Mais avec des embargos de type cubain, cela devient quelque chose d'absurde. L'Europe doit se manifester, surtout si cela concerne des faits qui remontent à 2002, une époque où la perception était totalement différente. Face aux Américains, il n'existe aucune institution permettant de trancher, et vous êtes obligés de vous soumettre à la procédure. Nous sommes dans le domaine de l'excessif et aujourd'hui tout est ouvert, même l'interdiction pour BNP Paribas de faire des transactions en dollars », relève un ancien banquier suisse.
Rare politique à s’emparer du sujet pour l’instant, le député UMP Pierre Lellouche, a réagi, vendredi 30 mai, de façon très critique à l’annonce d’une possible amende de 10 milliards de dollars pour BNP Paribas. Il a jugé « particulièrement choquante et exorbitante l’amende que menace d’imposer le gouvernement américain sur la banque française BNP Paribas, au motif que celle-ci aurait contourné les embargos prévus par la loi américaine, à l’égard de certains pays comme l’Iran, le Soudan ou Cuba ». « De telles sanctions, comme de tels embargos, poursuit-il, ne peuvent se justifier que s’ils font l’objet d’accords multilatéraux entre États souverains, conclus sur le principe de la réciprocité. En s’arrogeant un droit d’extraterritorialité de ses propres lois nationales sur des sociétés étrangères, au motif que celles-ci violeraient la loi américaine, les États-Unis fragilisent le droit international. » Selon Pierre Lellouche, « il ne serait pas admissible que le gouvernement français reste sans réaction devant de telles mesures, au moment même où l’Union européenne est engagée dans la négociation d’un accord de commerce de libre échange avec les États-Unis, lequel ne saurait être fondé que sur le principe de réciprocité », insiste-t-il.
Beaucoup, en France comme à l’étranger, s’étonnent du silence du gouvernement français sur le dossier, et sur ce point précis du respect du droit international. Est-ce parce que le gouvernement français a opté pour des négociations discrètes en coulisses auprès des autorités américaines, comme certains le suggèrent ? « Les Français ont tiré les leçons de l’affaire Executive Life (la France avait été condamnée en 2004 à payer 1 milliard de dollars pour contournement de la législation américaine sur les assurances commis par le Crédit Lyonnais – Ndlr). Les autorités ont compris les avantages de la discrétion, dans de tels dossiers », veut croire un banquier. D’autres sont plus critiques, se demandant si le gouvernement, si faible dans tant de domaines, a encore la capacité ou la volonté d’intervenir. Certains veulent voir en tout cas dans ce dossier BNP Paribas un avant-goût de ce que pourrait être le traité commercial transatlantique. « Le dossier BNP Paribas va peser sur les discussions entre l’Europe et les États-Unis », affirme un observateur.
- BNP Paribas a-t-il eu le bon comportement face à la justice américaine ?
Si les poursuites de la justice américaine contre BNP Paribas paraissent à beaucoup exorbitantes au regard du droit international, de nombreuses questions se posent, malgré tout, sur l’attitude de la banque dans cette affaire. Pendant des années, elle a semblé minimiser le problème. « Paribas, puis BNP Paribas, ont empoché des bénéfices colossaux, pendant plus de trente ans. Les responsables n’ont vu que cela. Ils savaient qu’ils avaient un problème. Mais ils ont préféré faire comme s’il n’en était rien. Quand on est banquier, que l’on travaille aux États-Unis, il est impossible d’ignorer la législation américaine et les risques que cela comporte. Même si leurs opérations ont été réalisées à partir de la Suisse, ils ne pouvaient pas ignorer que cela risquait de leur revenir en boomerang », explique un banquier, connaisseur du dossier.
« Executive Life aurait dû être une alerte pour les entreprises françaises. Elles n’ont pas compris qu’il y avait des règles aux États-Unis et qu’il fallait les respecter. À la différence de la France où on s’arrange toujours avec les lois. Le système américain est redoutable dans ce cas », relève, de son côté, Stéphane Bonifassi.
Outre le fait d’avoir caché la situation, les observateurs s’interrogent sur la bonne volonté de BNP Paribas de coopérer avec la justice américaine. Selon le Wall Street journal, toujours lui, la banque n’aurait pas pleinement aidé la justice américaine et lui aurait caché certains faits. L’envolée des pénalités éventuelles, les nouvelles exigences posées en quelques semaines par les procureurs américains traduisent, selon les connaisseurs du système américain, la fureur de la justice américaine face aux dirigeants de BNP Paribas, peut-être trop arrogants, en tout cas, ne jouant pas le jeu.
« Toute la justice pénale américaine repose sur la prime à celui qui collabore. Ce n’est ni dans la culture ni les habitudes d’une banque française. Pour BNP Paribas, quel intérêt d’aller voir un juge pour reconnaître ses fautes ? Elle ne l’a jamais fait en France. La justice transactionnelle, qui est la base du système américain, lui est totalement inconnue », insiste Stéphane Bonifassi.
Le comportement de la direction de BNP Paribas, cependant, pose question à certains observateurs. Pour eux, la banque a toutes les compétences, tous les moyens, les armées de juristes et d’experts du droit à sa disposition, pour adopter les bonnes mesures face à la justice américaine. D’où vient alors le blocage ? « La direction de la banque ne s’est-elle pas retranchée dans une position arrogante, afin de protéger certains responsables, de ne pas toucher son système de pouvoir ? » se demande un banquier, grand connaisseur de BNP Paribas. À voir la composition du conseil d’administration de BNP Paribas Suisse, l’interrogation peut être soulevée. « En tout cas », poursuit-il, « la question de qui savait quoi et quand va inévitablement se poser. Les actionnaires comme les autorités de régulation, que ce soit l’autorité de contrôle prudentiel ou l’autorité des marchés financiers, vont demander des comptes », poursuit-il.
- Que risque vraiment BNP Paribas ?
À ce stade, rien n’est encore fixé. Les informations données par la presse ne sont que des demandes. Et les négociations se poursuivent. BNP Paribas, cependant, paraît en passe d’être condamnée à une amende record. La direction de la banque aurait évoqué le chiffre de 8 milliards de dollars. Le montant de l’amende semble dépendre du fait que la banque accepte de plaider coupable, comme le demande la justice américaine. Pour l’instant, la direction de BNP Paribas n’a pas indiqué ses intentions.
Outre le montant, cette condamnation pourrait lui porter un grand tort dans ses activités financières. Les fonds de pension notamment n’ont pas le droit de confier leur argent à des entreprises condamnées. Or BNP Paribas finance beaucoup ses activités internationales en dollars par le biais de Sicav monétaires aux États-Unis.
La banque pourrait aussi se voir interdire de mener des opérations de compensation en dollar pendant quelque temps. Les avis divergent sur la portée de cette sanction. Selon certains, la difficulté pourrait être très facilement contournée : BNP Paribas peut confier ses opérations à d’autres intermédiaires qui les réaliseraient pour elle. Le coût de ces opérations est minime, autour de 0,01 %. Pour d’autres, cette sanction pourrait détourner une partie de sa clientèle, qui préférerait s’adresser à des établissements pouvant les réaliser directement. Ils ajoutent que toute la procédure fait porter un risque de réputation pour la banque.
Enfin, le département américain de la justice réclamerait la sanction d’un certain nombre de responsables, impliqués dans les opérations de contournement de l’embargo. La sanction, le licenciement voir l’interdiction de l’exercice du métier bancaire, concernerait-elle les responsables directs de opérations condamnées par la justice américaine ? Ou irait-elle au-delà ? Mystère.
- Deux poids, deux mesures ?
« Eric Holder, frusté par les allégations selon lesquelles il refuserait de poursuivre les banques, est en train de faire de son mieux pour détruire une banque particulière : une banque française, à ne pas confondre avec une banque américaine naturellement. Après tout, cela renforce la position du département de la justice. Quoi qu’il en soit, en Europe, où d’abord Crédit Suisse et maintenant BNP est en train d’être crucifié, l’ordre judiciaire américain n’a jamais été aussi fort », ironise le blog financier Zéro Hedge
La remarque va droit au cœur des banquiers européens. Ceux-ci commencent à se demander s’ils ne sont pas devenus la cible privilégiée de la justice américaine. Les grands noms américains de Wall Street, responsables directement de la crise financière de 2008, insistent-ils, ont jusqu’à présent été relativement épargnés. Goldman Sachs s’en est tiré avec 500 millions d’euros d’amende. Citi ou Bank of America ont aussi limité la casse. Il n’y a que JP Morgan, qui a dû payer 13 milliards de dollars en 2013. Et encore, aucune d’entre elles n’a dû plaider coupable, relèvent-ils.
Les banques européennes, en revanche, sont toutes en train de passer à la caisse. HSBC a dû payer plus d’un milliard de dollars, UBS 700 millions, Crédit Suisse 2,6 milliards d’euros. Elles ont été condamnées pour fraude et évasion fiscale. Mais comment justifier une amende de 10 milliards pour contournement d’un embargo décrété par le gouvernement américain ? D’autant qu’en la matière, le gouvernement américain a une vision très particulière du sujet. PSA l’a appris à ses dépens. Dans le cadre de l’embargo contre l'Iran, il est fait interdiction de construire et de vendre des voitures dans le pays. Les activités de PSA en Iran, où le groupe a une filiale, se sont écroulées. En revanche, le commerce des pièces détachées automobiles est resté autorisé avec l’Iran. Chance : GM y vend beaucoup de pièces détachées.
« Tout cela est d’une parfaite hypocrisie. Les groupes américains sont aux portes de la frontière iranienne pour y travailler. Un certain nombre d’entre eux passent par des intermédiaires pour y faire du commerce. Et ils attendent tous la levée de l’embargo sur l’Iran pour s’y précipiter », relève un connaisseur du dossier.
- Quelles conséquences à plus long terme ?
Tant que la condamnation de BNP Paribas et le montant de l’amende n’ont pas été fixés, il est difficile d’évaluer les conséquences de ces poursuites. Elles risquent cependant d’être lourdes. Déjà, la réputation de BNP Paribas est sérieusement mise à mal. Les dirigeants de la banque, qui avaient, avec une arrogance certaine, l’habitude de présenter leur banque comme un établissement exemplaire, à l’abri de toutes les turpitudes du monde financier, sont fragilisés. À un moment ou à un autre, il pourrait leur être demandé des comptes. La banque risque d’être déstabilisée.
Un autre point soulève des interrogations : dans quelle mesure les autorités américaines, en s’intéressant aux activités de négoce de matières premières et en condamnant des activités essentiellement réalisées en Suisse ne sont-elles pas en train de s’attaquer à la position de Genève comme base internationale du commerce du pétrole ? Pour l’instant, ces questions relèvent de la simple conjecture. Rien n’indique que les États-Unis, après s’être attaqués à la Suisse comme centre d’évasion fiscale, veuillent aussi remettre en cause ses positions dans le commerce des matières premières. Mais si d’autres poursuites, du même genre, sont engagées, le doute ne sera plus permis.
À plus long terme, si la justice américaine met en œuvre une vision extensive de ses compétences, et considère que toute utilisation du dollar relève des lois américaines, cela pourrait avoir des conséquences bien plus lourdes que ne l’anticipent les États-Unis. Le statut du dollar comme seule monnaie de réserve internationale est contesté. Déjà plusieurs pays pétroliers parlent de libeller leurs échanges en euros. L’Iran a déjà commencé à le faire. La Chine et la Russie ont signé un accord, il y a quinze jours, pour négocier leurs échanges dans leur monnaie, en se passant de la monnaie américaine. Elles appellent tous les pays émergents – Brésil, Afrique du Sud, Asie – à venir les rejoindre, afin d’échapper à la tyrannie du dollar et de protéger leur économie des mouvements excessifs des capitaux.
Si le dollar, déjà perçu comme une monnaie dépréciée, devient aussi une monnaie dangereuse, ouvrant la porte à toutes les poursuites, en dehors du droit international, le mouvement de fuite pourrait s’accélérer. Les banques européennes pourraient s’y rallier. Pour les États-Unis, les poursuites contre BNP Paribas deviendraient alors plus contre-productives qu’ils ne le pensent. Cela pourrait même s’appeler se tirer une balle dans le pied.
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