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Les sénateurs enterrent le scandale Ecomouv

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Rarement les différends auront été autant étalés au grand jour au sein d’une commission d’enquête parlementaire. Mercredi matin, la sénatrice Marie-Hélène des Esgaulx (UMP), présidente de la commission sur Ecomouv, grillait la politesse au PS et convoquait la presse dans la précipitation pour donner ses conclusions sur l’enquête sénatoriale. Pour elle, le choix d'un partenariat public-privé était « la seule solution rationnelle », compte tenu de la complexité technique du dispositif, rappelant qu'il figure « dans le top 10 des plus grands PPP ».

Une heure plus tard, Virginie Klès (PS), rapporteuse de la commission, tenait une autre conférence, prévue depuis plusieurs jours, pour rendre les conclusions du rapport. « Le contrat de partenariat ne souffre pas d'irrégularité juridique qui pourrait le remettre en cause », déclarait-elle. Mais elle insistait aussi sur le fait que la suspension de l’écotaxe décidée par le gouvernement fin octobre 2013 avait peut-être été un soulagement pour Ecomouv. Le consortium, selon elle, n’était pas prêt à entrer en service au 1er janvier 2014, comme il s’y était engagé. 

Capture d'écran d'une retransmission au Sénat.Capture d'écran d'une retransmission au Sénat.

Cette guérilla interne s’explique mal au vu des conclusions adoptées à l’unanimité par la commission. Elles sont des plus consensuelles, à l’image de ce qu’escomptaient l’administration et nombre des membres du gouvernement pour sortir de ce dossier épineux. Pour la commission d’enquête, il n'y a pas de scandale d’État derrière le contrat Ecomouv. Celui-ci n’est juridiquement entaché d’aucune irrégularité. Mais la société Ecomouv chargée de mettre en œuvre l’écotaxe est responsable de manquements et d’absence de transparence à l’égard des autorités publiques et n’était pas prête à temps. Le gouvernement bénéficie donc de marges de manœuvre pour négocier avec le consortium privé, sans remettre en cause le contrat.

Ces conclusions sont le reflet du rapport. C’est un rapport lisse, comme vidé de sa substance, un rapport d’enterrement. Il ne reste rien ou presque des six mois d’enquête, des témoignages parfois inattendus, des remarques glissées comme au hasard mais lourdes de sous-entendus, des silences embarrassés ou des trous de mémoire opportuns. Aucun nom, aucune citation ou presque ne figure dans ce texte. Tout se passe comme si ce partenariat public-privé avait été décidé par l’opération du Saint-Esprit, sans que jamais personne n’ait pris la moindre initiative, la moindre responsabilité.

L’absence de curiosité manifestée par les sénateurs durant toutes les auditions se retrouve dans le texte. Loin de faire la lumière sur ce contrat hors norme, la commission d’enquête a plutôt entretenu l’opacité et brouillé les cartes. À la fin de la lecture, les questions posées au début de l’enquête restent toujours pendantes. Qui a décidé de recourir au PPP ? Qui a pris la responsabilité de confier au privé la collecte de l’impôt ? Qui a agréé le contrat exorbitant, dans tous les sens du terme, accordé au consortium Ecomouv ? Pourquoi le gouvernement s’est-il précipité pour signer un décret d’application, inapplicable au demeurant, de l’écotaxe le 6 mai 2012, jour du second tour de la présidentielle ? Pourquoi a-t-on fermé les yeux sur les dérapages financiers du projet et sur les retards du prestataire privé ? À toutes ces questions, il n’est apporté aucun élément de réponse, ni même un constat de carence.  

Respectant à la lettre l’argument du « secret commercial » invoqué par Ecomouv pour ne pas rendre public le contrat de PPP, les sénateurs ont même réussi l’exploit de ne pas parler des chiffres qui fâchent. Ce n’est qu’au détour d’un paragraphe sur le coût total de ce partenariat public-privé qu’il est rappelé qu’il va coûter 3,246 milliards d’euros à la collectivité, pour 11,5 années d’exploitation. Pas une seule fois, il n’est fait mention du taux de prélèvement de 20 % exigé par le consortium pour la récolte de l’écotaxe. La norme d’une rentabilité de 15 % des fonds propres est considérée comme normale. Les indemnités prohibitives – le chiffre de 900 millions d’euros est lui aussi publié au détour d’une phrase – paraissent aller de soi.

L’exemple le plus éloquent de leurs choix se trouve parmi les rares témoignages repris dans le rapport, comme celui de François Bergère, directeur de la mission d’appui des PPP (MAPPP). Lors de son audition, ce haut fonctionnaire, peu suspect d’être hostile à la formule du partenariat public-privé, avait fait d’étranges confidences (voir notre article Les anciens ministres prennent la fuite). Il avait confessé, dans un style très technocratique, ses réserves face au contrat d’Ecomouv. Il y pointait notamment un taux de rentabilité très supérieur à la normale, d’autant que le prestataire privé n’avait pas de risques, ainsi que des clauses très défavorables à l’intérêt de l’État. Ces clauses, malgré la mise en garde de la MAPPP, n’avaient pas été corrigées, compte tenu de la rapidité d’examen et de signature du contrat (moins de quarante-huit heures alors que la Cour des comptes, saisie en novembre, ne semble toujours pas avoir achevé son examen du contrat).

De tels propos auraient pu au moins soulever quelques réserves ou quelques interrogations dans le rapport. Pas du tout. Que retient-il de cette audition ? Une autre déclaration de François Bergère, en début d’audience, semblant avaliser les calculs de rendement du contrat : « Cela renvoie à des niveaux de fonds propres et des rémunérations de fonds propres qui sont représentatifs des risques pris par le partenaire privé, plus élevés. Pour apprécier si c’est trop élevé ou pas, il faut se reporter à la compétition qui a eu lieu. (…) Le dialogue compétitif a effectivement fonctionné de manière concurrentielle. Le taux de 15 % est élevé mais il est à mettre en regard de la structure financière retenue. Il faudrait pouvoir comparer avec les autres candidats. Enfin, ce critère du coût global est important mais il doit être relativisé, puisque c’est un projet qui rapporte plus qu’il ne coûte. »

« La soutenabilité budgétaire des partenariats public-privé est au cœur du rapport (de la Cour des comptes) de 2011, notamment à cause de la forte montée en puissance des crédits consacrés à la gestion déléguée à des entreprises privées (…). La croissance exponentielle des crédits consacrés aux loyers des PPP fait peser un risque sur le budget à moyen terme », avait rappelé Vincent Léna, magistrat à la Cour des comptes, lors de son audition. Aucun rappel à cette mise en garde ne figure dans le texte du rapport. L’utilisation de l’argent public paraît en fait secondaire dans ce dossier, si l'on comprend bien les sénateurs. Ils ne voient que le milliard promis chaque année pour refaire les routes, l’écotaxe n’étant devenue, comme ils le reconnaissent, qu’une taxe routière. « Dans le cas d’Ecomouv, on a un PPP qui rapporte de l’argent au lieu d’en coûter. Le fait que le contrat de partenariat soit rémunérateur a fait perdre de vue des objectifs d'économie », avance comme excuse Marie-Hélène des Esgaulx.

© Reuters

Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut se reporter aux discussions houleuses de la commission examinant le rapport. Les désaccords étant tels, qu’il a été décidé de publier le compte-rendu en même temps que le rapport.

« J’ai eu la surprise de constater que le projet de rapport ne correspondait ni à la tonalité générale de nos travaux, ni à ce qui avait été annoncé au dernier bureau (…). Je n’ai pas trouvé la diversité des avis que nous avions entendus (…). J’ai trouvé en revanche beaucoup de sous-entendus, d’accusations et d’affirmations péremptoires ; ce rapport est nettement à charge contre les partenariats public-privé, l’administration française, la classe politique, les entreprises… en particulier italiennes ! », avait alors déclaré en préambule de cette réunion Marie-Hélène des Esgaulx, fervente adepte des PPP. Elle a été membre du club des PPP, lobby très actif œuvrant pour la défense de ce dispositif novateur au sein du parlement et de l’administration.

Virginie Klès a reconnu qu’elle avait parfois eu des formules maladroites et un ton peut-être agressif dans certains passages. Elle avait dû rédiger son rapport dans la précipitation, compte tenu des délais. Elle proposait elle-même des amendements et était prête à en accepter d’autres. Mais cette amende honorable ne suffit pas. Pendant treize heures, les sénateurs ont siégé pour réécrire le texte, effacer toutes les aspérités, faire disparaître tout ce qui pouvait poser problème.  

Tout y est passé. Le rapport soulignait que le choix du PPP s’était fait quasiment sans aucune discussion, sans que l’État n'étudie vraiment sérieusement d’autres solutions. Souligner que ce choix du PPP avait été une décision politique posa d'emblée problème.  « Affirmer que le choix du PPP est politique revient à dire qu'il était illégal », a insisté Charles Guené (UMP). On ne savait pas que le terme politique était devenu un gros mot au Sénat.

Le rapport ajoutait que la question d’y adjoindre le prélèvement d’une taxe, outre le fait d’avoir complexifié le projet, pouvait poser des problèmes de constitutionnalité, comme l’avaient relevé deux professeurs de droit lors de leur audition. « Comment affirmer qu’aucune étude sérieuse n’a réellement été menée ? Soit une étude a été menée, soit elle n’existe pas... Simplifions et écrivons : MM. François Lichère et Frédéric Marty estiment que le fait de retenir un tel périmètre d’externalisation aurait mérité une question de constitutionnalité », intervint le sénateur (UDI) Vincent Capo-Canellas. Mais pas question que la commission sénatoriale reprenne à son compte cette demande d’éclaircissement sur ce point de droit, pourtant essentiel.

Lors de son audition, Roland Peylet, président de la commission consultative pour trancher les appels d’offres sur l’écotaxe – une commission inédite qui, comme il l'a rappelé, « permettait de ne pas soumettre à l’avis du conseil d’État le choix de la nature du contrat », avait relevé que la Direction générale des fraudes et de la consommation (DGCCRF) n’avait pas assisté aux réunions de ladite commission. La rapporteure s’était enquise des raisons de cette absence auprès de la direction en question. Celle-ci lui avait répondu par deux lettres indiquant qu’une de ses représentantes avait assisté à deux réunions. Celle-ci avait fait deux remarques. « La première remarque était que l’une des sociétés conseil du ministère chargé des transports avait été également, dans le passé, le conseil d’Autostrade per Italia (principal actionnaire d’Ecomouv), ce qui soulevait une interrogation en termes de risque de conflit d’intérêts. La seconde remarque était que le cahier des charges techniques avait été modifié lors du dialogue compétitif, sans qu’il soit certain que tous les candidats en aient été informés au même moment », écrivait la responsable de la DGCCRF en réponse aux interrogations de la rapporteure.

Ces deux arguments avaient été soulevés par Sanef, candidat malheureux face à Ecomouv, devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Celui-ci les avait retenus dans sa décision de casser l’appel d’offres, avant que le conseil d’État n’intervienne en urgence pour casser le jugement du tribunal administratif. Une décision qui avait soulevé aussi quelques réflexions, lors des auditions, un haut fonctionnaire soulignant que le conseil d’État sur la question au moins du conflit d’intérêts avait peut-être eu une appréciation très compréhensive.

Pourquoi la DRGRRF prend-elle la peine de confirmer à deux reprises par écrit qu’elle était bien là en dépit des procès-verbaux qui la mentionnent comme absente ? Pourquoi n’est-il jamais fait mention des réserves de la DGCRRF ? Poser ces questions revenait-il à s’interroger sur la démarche de l’administration et à demander à nouveau qui avait pris la responsabilité de tout cela ?

Le simple fait de mentionner les courriers de la DGCCRF a en tout cas provoqué la colère de certains membres de la commission. Pourquoi la rapporteure avait-elle demandé des explications à la DGCCRF sans en avertir les autres ? Que valaient ces lettres par rapport à ce qu’avaient dit d’autres personnes entendues, « des personnes honorables entendues sous serment » ? Mieux valait ne pas en parler. Après de longs débats, le rapport ne comporte plus qu’une référence très neutre au sujet et il a été accepté de mettre les deux lettres en annexe. Sans plus. Ce n’est pas le rôle d’une commission d’enquête de soulever des questions. La commission a précisé que « l’égalité de traitement des candidats a été respectée », préférant cette phrase à la suivante : « le formalisme de l’égalité a été respecté », qui aurait pu nourrir des doutes.

Peu de détails ont échappé aux ciseaux des sénateurs. « Un dispositif très coûteux », était-il écrit dans le rapport, rappelant la dérive d’un projet estimé au départ à 235 millions d’euros pour finir à plus de 650 millions. « Je réfute le mot coûteux. Il est tendancieux », a soutenu Marie-Hélène des Esgaulx. Dans la foulée, il fut décidé de passer à la trappe les chiffres si dérangeants, rappelant les taux de prélèvement de l’écotaxe, et la rentabilité des fonds propres exigés, cités par Ségolène Royal lors de son audition (voir Ségolène Royal face à la patate chaude de l’écotaxe). Il n’est fait aucune référence aux réflexions de la ministre de l’écologie. « Mme Royal a montré quelques faiblesses vis-à-vis de la réglementation européenne. Elle ne connaît pas trop le fonctionnement de nos institutions non plus », a ironisé Marie-Hélène des Esgaulx lors de sa conférence.

La grande défausse des politiques, si visible au moment des auditions, a été traitée de même, au détour de quelques paragraphes. Si l’écotaxe a déraillé, c’est « faute d’un pilotage politique », les ministres ayant changé ! « Comment pouvez-vous évoquer la défaillance du politique ? Votez si vous voulez, mais en ce qui me concerne ce sera niet ! », s’est emportée à un moment la présidente de la commission, lors de l’examen du texte. Même le fait d'écrire que les réunions interministérielles sur la mise en place de l’écotaxe et du PPP avec Ecomouv n’ont pas donné lieu à des comptes-rendus précis, au moins sur des questions aussi essentielles que l’abandon de la collecte de l’impôt au privé, ou en tout cas, que la commission n’en a pas eu connaissance, a été tenu pour la commission comme inacceptable.

Quant à Ecomouv, difficile de le remettre en cause. Souligner que ses risques sont très limités relève du procès d’intention, selon certains sénateurs lors de cette réunion. Dire qu’il n’a pas fait preuve de transparence, qu’il a manqué à ses engagements, lui porte une atteinte insupportable, à en croire d’autres ou les mêmes. Alors que Jean-Luc Fichet (PS) insistait sur le fait qu’il fallait dire qu’Ecomouv n’était pas en mesure de remplir sa mission au moment de la suspension de l’écotaxe, il a obtenu cette mise au point sanglante de la part de Marie-Hélène des Esgaulx :  « Ce n’est pas le sujet. La suspension est le fait de l’État, pas d’Ecomouv. » « Aucun élément n’autorise à dire que l’écotaxe ne pouvait être mise en place au 1er janvier 2014 », insiste-t-elle par la suite, bien que certains lui rappellent les conclusions de Cap Gemini, conseiller de l’État.

Ces échanges traduisent bien la tonalité de cette commission d’enquête. Tout au long des auditions comme dans le rapport, nombre de sénateurs se sont montrés plus soucieux de préserver les intérêts d’une société privée, par principe intouchable, « au nom de la continuité de l’État » que l’intérêt général et les finances publiques. Le rapport ne tire aucune conclusion de l'épisode. Il ne fait même aucune recommandation pour éviter que l’État ne renouvelle cette détestable expérience.

De cette commission d’enquête, les sénateurs finalement ne veulent retenir qu’une chose : que la décision de l’État de suspendre l’écotaxe n’avait aucun fondement juridique. Il importe donc de la rétablir au plus vite, dans les termes prévus par le contrat avec Ecomouv.

Pour le reste, il faudra attendre longtemps, voire toujours, avant de connaître le fin mot de ce dossier, l’épreuve du temps permettant sans doute de le précipiter dans les oubliettes de l’Histoire : « Nous sommes tenus au secret (…). Aucune transmission ne doit être faite sur le travail de la commission avant trente ans sur les demandes de modification ou sur les documents reçus par la commission, particulièrement les documents confidentiels. Le non-respect de ces règles fait l’objet de poursuites pénales », a averti la présidente de la commission. On ne savait pas ce dossier sensible au point d'être classé dans la zone du secret défense.

Les deux rapports parlementaires sur l’écotaxe sont censés avoir blanchi définitivement le processus et redonné du crédit au principe même de cette taxe. Les élus attendent désormais avec impatience leur milliard pour faire qui son rond-point, qui sa bretelle d’échange. Tout juste concèdent-ils qu’il faudra sans doute en changer le nom. Parler d’écoredevance au lieu d’écotaxe devrait, selon eux, changer tout auprès des populations. L’analyse paraît singulièrement manquer de sensibilité politique. Le gouvernement et les élus pourraient le redécouvrir dès qu’ils parleront de la réinstaller à l’identique.

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