Au soir du second tour des municipales marseillaises, plusieurs jeunes militants sont apparus autour de Stéphane Ravier au Royal Garden, où le leader du Front national marseillais fêtait sa victoire. Le FN a raflé vingt sièges au conseil municipal de Marseille et remporté la mairie des 13e et 14e arrondissements. Bandanas blancs et vestes de cuir : le code vestimentaire de ces jeunes, qui portent leur champion en triomphe, est sans équivoque. C’est celui des jeunes de l’Action française, mouvement qui milite pour la restauration de la monarchie.
Les mêmes étaient de nouveau présents, casques de moto et gants en cuir à la main, pour assurer le service d’ordre lors de la prise de fonction houleuse de Stéphane Ravier, le 11 avril 2014. La présence de militants de l’AF Provence sur les listes du FN marseillais est passée totalement inaperçue durant la campagne électorale. Ils étaient pourtant au moins deux : Anthony Mura en 15e position dans les 1er et 7e arrondissements et Jérémie Ferrer en 23e position dans les 15e et 16e. Sur la liste de ce dernier secteur, figurait également Anne Tartrais, une proche de Jérémie Ferrer, qui s’est fait tatouer « Blood and Honour » en haut du torse. Ce nom est tiré de la devise des jeunesses hitlériennes « Blut and Ehre », reprise par un groupe de musique. Aucun n’a toutefois été élu.
Pour mémoire, l’Action française est l’un des plus anciens mouvements d’extrême droite français, fondé en 1898 sur des positions antidreyfusardes, royalistes et nationalistes. Fidèle à l’idéologie de Charles Maurras, l’Action française fut notamment des émeutes antirépublicaines du 6 février 1934. En février 2014, l'AF Provence fêtait cet anniversaire en organisant un colloque sur « la prise du pouvoir » et « la théorie du coup d’État ». Tout un programme...
L'Action française organise également des week-ends d'hommage à Louis XVI, invitant « tous les Français à venir témoigner de leur fidélité au roi, victime d’avoir trop aimé son peuple ». Chaque année en mai, ses militants défilent lors du rassemblement traditionnel de l’extrême droite célébrant Jeanne d'Arc. On les voit ici poser à Paris, avec à droite Jérémie Ferrer, candidat FN aux municipales 2014 de Marseille.
L’Action française Provence, une des plus actives en France, était également présente en force cette année. Lors du défilé du 11 mai 2014, les militants marseillais et aixois se sont distingués par un autocollant de soutien au « légionnaire embastillé pour avoir voulu se défendre ». Il s’agit d’un légionnaire mis en examen pour « violences volontaires avec armes ayant entraîné la mort sans intention de la donner » après avoir tué un homme le 3 mai 2014 à la gare du Nord.
Sur cette photo, les jeunes royalistes provençaux posent avec Alain Soral, 55 ans, de passage à Marseille au Diamant Palace, en janvier 2014. Autour de Soral au centre, on retrouve plusieurs proches de Stéphane Ravier, présents au soir du second tour ou lors de sa prise de fonction. Et notamment Guillaume Langlois (troisième en partant de la gauche), Jérémie Ferrer (au dernier rang tout à droite) ou encore Anthony Mura (accroupi devant avec un béret).
Libération relate que dans sa conférence du 12 janvier, devant une salle comble, Soral a lancé : « Arrêtez de nous faire chier en France ! Ils ont un pays, Israël… ils oublient d’y aller. » Toujours selon le quotidien, à la tribune de Marseille, Soral se vantera d’avoir fait la fameuse quenelle au mémorial de la Shoah à Berlin, « un lieu de drague pédé », « pour en finir avec la religion shoatique ». Les militants de l'AF Provence en ont profité pour faire une quenelle avec l’intéressé, qui se définit comme « national-socialiste ».
Sur le plateau de France 3 Provence-Alpes, à la suite de la diffusion du documentaire La Bataille de Marseille, Stéphane Ravier a chaudement pris la défense de ces jeunes royalistes. Il les a décrits comme des « jeunes gens étudiants, diplômés, qui travaillent ». « Les militants de l’Action française ont mené une campagne exemplaire à mes côtés, ce sont des jeunes gens qui n’ont aucun casier judiciaire, qui ne vendent pas de shit, n’agressent pas », assure le nouveau maire de secteur. « J’ai été très heureux de ces soutiens », insiste-t-il.
Le discours tranche avec celui de Marine Le Pen, qui assure que son parti n'a « aucun rapport avec ces groupes, qui expriment d'ailleurs régulièrement leur désapprobation à (son) égard », tandis que son vice-président, Florian Philippot, répète que « le FN n'a rien à voir avec ces personnalités radicales » et qu'il n'est « pas d'extrême droite ».
Des jeunes gens « exemplaires » ? Lorsque nous l’avons interviewé en mairie des 13e et 14e arrondissement le 11 avril, Jérémie Ferrer prétendait s’appeler Dimitri et être fonctionnaire hospitalier. Vêtu d’un sweat représentant le Kosovo aux couleurs du drapeau serbe, le jeune homme s'est présenté comme un simple sympathisant du Front national. En réalité, à 28 ans, Jérémie Ferrer a déjà un long passé de militant d’extrême droite. Selon le site La Horde, il est passé par les mouvements skinhead, le Front national de la jeunesse, les Jeunesses identitaires, avant de se rapprocher de l'Action française Provence et du groupuscule du Lys noir. En mai 2011, on le voit ainsi participer à Lyon aux côtés des identitaires à une « marche des cochons » contre l’agrandissement d’un marché vendant de la viande halal.
Comme l’avait révélé le site La Horde, Jérémie Ferrer a fait un passage par la case prison, contrairement à ce qu’affirme Stéphane Ravier. Le jeune homme a été condamné le 11 mars 2004 par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence à douze mois d’emprisonnement, dont deux fermes avec mandat de dépôt, pour des violences et des dégradations. Cinq autres personnes ont également été condamnées en comparution immédiate pour ces faits, commis dans un bar aixois un mois plus tôt.
Et le candidat placé en 15e position sur la liste FN dans le 8e marseillais est bien plus que royaliste. Ce que publie Jérémie Ferrer sur les réseaux sociaux est à mille lieues de la stratégie de normalisation du parti voulue par Marine Le Pen.
Le jeune militant n’est pas sectaire dans ses références idéologiques. Sur sa page Facebook, toute l’imagerie de l’extrême droite y passe : illustrations de Mussolini, de Léon Degrelle, « un homme d’honneur» (qui a combattu aux côté des Waffen-SS), du parti néonazi grec Aube dorée, du Ku Klux Klan, de l’OAS (Organisation armée secrète), d'un casque avec l’emblème des Waffen-SS. Jérémie Ferrer ne cache pas sa fascination pour les mouvements néofascistes.
On le voit d'ailleurs défilant en Espagne aux côtés des chemises bleues de l’Œuvre française lors d’un hommage à José Antonio Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange espagnole, parti d’inspiration fasciste. L’Œuvre française a été dissoute le 23 juillet 2013 par décret présidentiel à la suite de l’homicide du militant antifasciste Clément Méric. Alors ministre de l’intérieur, Manuel Valls avait décrit cette organisation comme une « association qui propage une idéologie xénophobe et antisémite, des thèses racistes et négationnistes, qui exalte la collaboration et le régime de Vichy, et qui rend des hommages réguliers au maréchal Pétain, à Brasillach ou à Maurras ».
En Moldavie, en compagnie de son amie Anne Tartrais, Jérémie Ferrer tend le bras aux côtés des néofascistes roumains de Noua Dreapta, disciples de l’ex-Garde de fer. Sur les photos postées sur son Facebook, on voit ces militants en train de commémorer la mort de Corneliu Zelea Codreanu, le leader historique de ce mouvement nationaliste des années 1930.
Il publie au passage une citation antisémite.
Jérémie Ferrer s’affiche également aux côté de Kemi Séba, un militant racialiste français. Son groupuscule la « Tribu Ka » avait été dissous en juillet 2006 pour « incitation à la haine raciale » et « antisémitisme » après une descente dans le quartier juif historique de la rue des Rosiers, à Paris.
On comprend qu'il n'hésite pas à faire le coup de poing contre les Arabes et les gauchistes, qualifiés de « pourriture » et de « saloperie », lors des manifestations.
Au Front national, les responsables nationaux et locaux contactés se renvoient la balle. Au téléphone, Nicolas Bay, secrétaire général adjoint du FN et directeur de la campagne des municipales, met immédiatement fin à la conversation. « Je suis en campagne dans le Nord-Ouest, évacue-t-il. Pour les municipales à Marseille, ses candidats, ses collaborateurs, etc., voyez avec M. Ravier. » Ce dernier n'a pas répondu à nos multiples appels. Et à la fédération FN des Bouches-du-Rhône, l'interlocuteur qui finit par nous rappeler assure ne pas connaître les militants royalistes en question et refuse de se présenter. « Vous mettrez comme vous mettez d'habitude à Mediapart : un fasciste parmi d'autres, nazi incestueux et pédophile », nous rembarre-t-il.
Seul l'élu frontiste Bernard Marandat, tête de liste dans les 15e et 16e arrondissements aux dernières municipales, a accepté de répondre à nos questions. Le chef du groupe FN au conseil régional Provence-Alpes-Côte-d'Azur explique que le contact avec les jeunes royalistes s'est fait à travers les mobilisations, notamment contre le mariage pour tous. « J'en connais deux ou trois, dit-il. On se voit régulièrement dans des débats, des sympathies se créent, ils nous aident à tracter. Dans les moments d'urgence et de péril, c'est sûr que ceux qui défendent les mêmes valeurs le font ensemble. » Le chirurgien marseillais, âgé de 60 ans, est un pilier historique du parti frontiste. Après un premier mandat de 1995 à 2001, il fut le seul élu frontiste à siéger au conseil municipal de Marseille, de 2008 à 2013.
Questionné au sujet des sympathies néofascistes et soraliennes de Jérémie Ferrer, Bernard Marandat répond ne pas être au courant du profil de sa jeune recrue. « Je n'ai pas épluché son CV et je ne vais pas sur Facebook », affirme l'ancien militant du GUD, un groupuscule étudiant d'extrême droite radicale. L'élu FN n'a pas non plus remarqué le tatouage « Blood and Honour » d'Anne Tartrais, qui ne passe pourtant pas inaperçu. « Les jeunes qui viennent nous aider, à moins que ce ne soient de dangereux nazis connus comme tels, on ne les passe pas à la question, dit Bernard Marandat. On n'a pas de commissaire politique, ce n'est pas dans nos traditions. Quand on fait les listes sur les éligibles ou pour le choix des responsables du parti, ce n'est pas pareil. Mais l'Action française, ce sont des jeunes modérés, de vrais militants avec une conscience politique, pas des gens oisifs. »
Même lorsqu'ils défilent aux côtés de mouvements néofascistes en Moldavie ou en Espagne ? « Je ne suis pas au courant de ça », répète Bernard Marandat. Mais est-ce compatible avec les idées du FN ? « Ce n'est pas dans la ligne du FN, reconnaît-il. Mais l'urgence est telle qu'il y a peut-être des choses plus importantes à défendre que ça. » Mais, à bien y réfléchir, ça fait finalement « un moment » qu'il n'a pas vu Jérémie Ferrer…
Début septembre 2013, une note interne du Front national avait demandé aux secrétaires départementaux « de vérifier, ou de faire vérifier, que les candidats aux municipales respectent la ligne politique du Front national sur leurs blogs ou sur les réseaux sociaux ». Le 18 octobre, nouvelle polémique, et nouveau courrier : le parti réclame désormais à ses responsables locaux « un rapport ville par ville sur la bonne tenue du compte Facebook » de chaque candidat.
Mais, faute d'une réelle volonté de faire le ménage, le FN ne sévit que mis au pied du mur par les médias. En janvier 2014, Stéphane Ravier avait dû écarter Armel Brisson, tête de liste FN dans un secteur marseillais, après que Marianne eut relevé plusieurs dérapages racistes sur sa page Facebook. Le conseiller régional FN Laurent Comas assurait alors au site Marsactu : « Nous avons une directive très claire de vigilance sur Internet. S'il y avait des sous-entendus (sic), il a dû être sévèrement réprimandé. »
Passé inaperçu des médias, le candidat Jérémie Ferrer a lui continué tranquillement à poster ses images prônant le fascisme au vu et au su de ses amis frontistes internautes. Dont Bernard Marandat, tête de liste du FN dans les 15e et 16e arrondissements, et Stéphane Ravier qui figurent tous deux parmi ses contacts Facebook et que le jeune homme semble connaître et apprécier depuis longtemps.
Jérémie Ferrer et Stéphane Ravier semblent d'ailleurs partager certaines références : quand le premier se promène avec un sweat défendant les Serbes au Kosovo, le second porte un très discret bracelet tressé noir au poignet gauche, qu'on aperçoit dans le documentaire La Bataille de Marseille. Doté du même bracelet, Julien Rochedy, le porte-parole du Front national de la jeunesse, en avait expliqué la signification à Rue89. « C’est un bracelet traditionnel, un geste de solidarité pour les Serbes du Kosovo », indiquait-il.
Du côté de l'Action française, l'engagement de plusieurs militants marseillais sur des listes FN ne pose apparemment pas problème. Le mouvement prône l’autonomie de ses fédérations locales. « La fédération Ile-de-France est plutôt proche des identitaires, celle de Grenoble des milieux anarchistes et celle de Provence-Alpes-Côte-d’Azur de Stéphane Ravier, du fait je crois des liens personnels de plusieurs militants avec lui », explique Arnaud Pâris, responsable communication de l’AF. Qui affirme ne pas connaître lesdits militants provençaux et leur parcours extrémiste.
L’AF ne donne pas de consigne de vote. « Nous ne sommes pas un parti, on recommande juste de voter pour des gens enracinés, et non parachutés, qui défendront le mieux les intérêts de la France et nos idées », dit Arnaud Pâris. À ce titre, il ne voit pas d’incompatibilité entre l’objectif de l’AF – le retour de la monarchie – et le fait de participer à des élections locales aux côtés du FN. « En attendant le retour du roi, soit on reste les bras croisés, soit on s’investit, indique-t-il. Et la monarchie n’est pas incompatible avec la démocratie. »
BOITE NOIREStéphane Ravier n'a pas répondu à nos nombreux appels. Contactée, l'Action française n'a pas pu confirmer la réelle appartenance des militants cités dans cet article, faute de fichier des adhérents. Sollicités sur Facebook, Anthony Mura, Jérémie Ferrer et Guillaume Langlois ne nous ont pas répondu. De même que l'Action française Provence, sollicitée à plusieurs reprises.
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