D’ordinaire, il faut dix à douze mois pour publier les décrets d’application d’une loi publiée au Journal officiel. Dans le cas de la loi sur la transparence de la vie politique et la lutte contre les conflits d’intérêts, promulguée le 11 octobre 2013 après avoir été votée au Parlement et validée par le Conseil constitutionnel, le délai a été beaucoup plus rapide : l’essentiel des décrets sont parus entre décembre et mars 2014. Sauf qu’un décret, très important, n’est toujours pas publié : celui qui oblige les membres du gouvernement ainsi que les présidents et membres des autorités administratives indépendantes économiques à ne plus gérer eux-mêmes leur patrimoine quand ils sont en poste.
Selon nos informations, le décret, dont on ne connaît pas le contenu précis, a enfin été transmis au Conseil d’État et est en cours de discussion.
Il s’agit d’une disposition essentielle, car elle doit permettre d’éviter les conflits d’intérêts des dirigeants d’institutions chargées de réguler des pans entiers de l’économie, comme l’AMF (Autorité des marchés financiers, le gendarme de la Bourse), l’Autorité de la concurrence (qui surveille les pratiques anticoncurrentielles et peut infliger des amendes qui se chiffrent en centaines de millions d’euros dans le cas d’ententes commerciales illégales), ou l’Arcep, qui régule les très juteux secteurs des communications et d’Internet.
La loi sur la transparence avait été décidée en catastrophe en avril 2013 par François Hollande, après les aveux de Jérôme Cahuzac. Ils avaient provoqué une grave crise politique et fragilisé le président de la République lui-même, soupçonné d’avoir traité l’affaire à la légère.
Entre décembre 2013 et mars 2014, six décrets parus au Journal officiel ont permis de faire entrer en vigueur les grandes dispositions de cette loi : la lutte contre les conflits d’intérêts dans la vie politique et l’administration, l’obligation pour les ministres de déclarer leur patrimoine, la création d’une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dirigée par le magistrat Jean-Louis Nadal, ou encore le contenu des déclarations d’intérêt et de patrimoine que les élus et les hauts fonctionnaires doivent désormais remplir (et dont certaines seront publiées sur le site de la Haute Autorité après vérification).
Parlementaires et membres des cabinets ministériels ont déjà rempli leurs déclarations. Les maires, présidents de conseils généraux et régionaux doivent faire de même d’ici le 1er juin. Les dirigeants d’entreprises publiques et des autorités administratives indépendantes doivent s’y plier d’ici le 1er octobre.
Mais un septième décret, lui, n’est toujours pas paru : celui qui retranscrit dans le droit l’article 8 de la loi. Un article qui stipule que les « instruments financiers détenus par les membres du gouvernement et les présidents et membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes intervenant dans le domaine économique sont gérés dans des conditions excluant tout droit de regard de leur part pendant la durée de leurs fonctions ».
Autrement dit : ceux-ci devront désormais confier la gestion de leur patrimoine mobilier à des gestionnaires indépendants (« blind trusts » en anglais), sans droit de regard durant le temps où ils sont en poste. Et ce, afin d’éviter tout conflit d’intérêts potentiel dans des dossiers qu’ils auraient à trancher.
« Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État », précise l’article. Ces derniers mois, la puissante direction du Trésor du ministère de l’économie et des finances a pourtant freiné des quatre fers pour empêcher la parution de ce décret. Ses arguments ? Il pourrait décourager certains candidats à ces postes, souvent issus de la haute administration et du monde économique, qui craindraient de ne plus pouvoir gérer en direct leurs entreprises ou leur patrimoine financier. « La loi risque de tarir leur recrutement », s’inquiétait récemment le site d’information Contexte, relayant les préoccupations du Trésor.
Des arguments balayés d’un revers de la main par un spécialiste des conflits d’intérêts : « Les dirigeants des autorités administratives indépendantes voient simplement d’un mauvais œil ces nouvelles règles, alors que jusqu’ici tout cela se gérait entre la direction du Trésor et eux, entre bons amis. » Sollicité par Mediapart, l’ancien ministre des relations avec le Parlement de Jean-Marc Ayrault, Alain Vidalies, qui a porté la loi transparence, « déplore que ce décret important pour compléter l’arsenal juridique de la lutte contre les conflits d’intérêts ne soit toujours pas publié ». Avis au nouveau premier ministre Manuel Valls.
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