Décidément, il ne faut jamais trop croire ce que dit François Hollande. Durant la campagne présidentielle, il a mille fois répété son slogan favori : « Le changement, c’est maintenant ! » Et on a vu ce qu’il en est advenu : depuis, il n’a quasiment rien changé et poursuit, au grand désespoir de ses électeurs, quasiment sans la moindre modification, la politique économique et sociale de son prédécesseur. À gauche, on n’a donc cessé de ruminer le reniement socialiste : le changement, c’était maintenant !
Et voilà que l’histoire bégaie. Se servant d’un nouvel élément de langage, sans doute savamment élaboré par ses communicants, le chef de l’État a étrenné au début de ce mois, comme pour calmer l’exaspération du « peuple de gauche », un nouveau slogan : « Le retournement économique arrive ! » Sous-entendu : la croissance va revenir et le chômage va enfin baisser. Et patatras ! Même pas deux semaines plus tard, l’Institut national de la statistique et des études économique (Insee) révèle que le cocorico présidentiel est au mieux prématuré, au pire stupide, puisque la croissance économique de la France a été nulle au premier trimestre de cette année 2014. Le retournement, c’était maintenant !
Pas plus tard que le 4 mai, pour commémorer un peu à l’avance le (sombre) deuxième anniversaire de son élection à la présidence de la République, François Hollande avait confié son optimisme au Journal du dimanche. « On est entré dans la deuxième phase du quinquennat, le redressement n'est pas terminé, mais le retournement économique arrive », fanfaronnait-il.
Et le JDD, qui excelle dans l’art de servir les puissants, ajoutait : « Pour le Président, qui a toujours pensé que l'économie était de la psychologie, l'important c'est ce "retournement", le moment où les Français prendront conscience que la crise est finie. Le 14 juillet 2013, Hollande annonce que "la reprise est là" ; aujourd'hui, il va plus loin, il prévoit la redistribution. »
Depuis, tous les ministres ont été priés de colporter la bonne nouvelle. Et si possible, tous les élus socialistes aussi. Le jour même, le patron du groupe socialiste à l’Assemblée, Bruno Le Roux, le petit doigt sur la couture du pantalon, a donc claironné sur BFM : « Le temps du retournement économique est en vue. » Ce retournement « comprend l’inversion de la courbe du chômage et la baisse de l’impôt », a-t-il applaudi.
Dans les heures qui ont suivi, beaucoup d’économistes ou de conjoncturistes ont fait part de leur scepticisme. Cela n’a pas empêché la campagne de communication de se poursuivre.
Voilà donc, sans grande surprise, que l’Insee, garde-champêtre de l’honnêteté du débat économique, vient de dire que les voyants et extralucides, visiblement nombreux dans les hautes sphères de l’État, seraient bien inspirés de jeter à la poubelle leurs communiqués triomphalistes. Car la vérité, c’est que l’économie française est toujours en panne, tout près de la croissance zéro, comme elle l’est depuis plus de deux ans.
Voyons en effet les vrais chiffres, ceux que publie l’Insee :
Selon ces comptes nationaux trimestriels publiés ce jeudi 15 mai, l’état des lieux est inquiétant : la croissance a été nulle (0 %) au premier trimestre de cette année 2014. Et si l’on regarde les chiffres dans le détail, on observe que toutes les courroies d’entraînement du moteur de l’activité sont bloquées, aussi bien la consommation des ménages qui chute de 0,5 % au premier trimestre que l’investissement des entreprises qui recule dans les mêmes proportions (– 0,5 %). Seules les exportations contribuent à la croissance. En clair, si la France n’est pas retombée dans la récession, ce n’est pas du fait de la politique économique nationale, c’est à cause de son environnement européen – au demeurant pas très bon.
(Cliquer pour agrandir ce tableau)
Autrement dit, non seulement le fameux « choc de compétitivité » voulu par François Hollande commence à ruiner les finances publiques et condamne le pays à un plan d’austérité, mais de surcroît, il n’a pas d’effets perceptibles.
En cela, la situation de la France ne se distingue pas vraiment de celle de la plupart des grands pays européens, l’Allemagne mise à part. Tout juste a-t-elle un niveau d’activité un peu plus faible que la moyenne, comme en attestent les derniers chiffres d’Eurostat, l’institut européen de conjoncture :
On découvre que la France, avec une croissance zéro au premier trimestre, est en dessous des pays de la zone euro (+ 0,2 %). Elle fait aussi moins bien que la Belgique ou l’Espagne (+ 0,4 %) et plus encore l’Allemagne ou, hors la zone euro, le Royaume-Uni (+ 0,8 %).
En somme, les pays de la zone euro, avec une croissance de seulement 0,2 % au cours de ce premier trimestre, sont en piteux état. Assommés par une cascade de plans d’austérité, ils ont en bonne partie cassé la dynamique de sortie de crise qui pouvait s’enclencher. Et la France a été une bonne élève de ces politiques néolibérales récessives : le gouvernement socialiste a préféré organiser des transferts massifs en faveur des entreprises, générant à leur bénéfice des effets d’aubaine sans conséquences réelles sur l’économie ; et, du fait de cette politique, cumulée à la marche pour la réduction des déficits publics, la demande intérieure a été étouffée.
Du même coup, le gouvernement plonge le pays dans une situation d’anémie, sans doute prolongée. Officiellement, le pacte de stabilité, voté la semaine dernière à l'Assemblée nationale, a été adossé à une hypothèse de croissance de 1 % en 2014 et 1,7 % en 2015 (avant 2,25 % en 2016). Mais au rythme où vont les choses, il n’est pas même certain que la France atteigne ces objectifs.
Alors, d’un seul coup, ce jeudi, les dignitaires socialistes ont été contraints de renouveler en catastrophe leurs éléments de langage. Finies les prévisions extatiques d’un retour de la croissance ! Finies les odes à François Hollande, le grand manitou du « choc de compétitivité » ! Subitement, le ton des messages publics a changé. « Ce n'est pas grave », a dit ainsi Michel Sapin, le ministre des finances.
Il faut même lire en entier la phrase prononcée par le ministre, car elle est encore plus surprenante que cela : « Ce n'est pas grave mais cela conforte toute la politique que nous menons aujourd'hui. » Étrange formule, un tantinet cafouilleuse, que l’on peine à décrypter. Car il ne faut pas manquer d’audace pour commenter de la sorte ce 0 % de croissance. Le chiffre pourrait inspirer, en fait, un commentaire strictement opposé : c’est grave, et c’est bien la preuve que la politique conduite aujourd’hui n’est pas confortée et qu'il faut donc en changer…
Non seulement la politique économique et sociale du gouvernement contribue fortement à la stagnation économique et donc à la hausse historique du chômage, mais de surcroît, les principaux responsables du pouvoir exécutif multiplient les sorties approximatives ou les tartarinades. Ce qui donne un curieux sentiment : une politique économique de droite conduite par des amateurs !
Car cette malencontreuse sortie sur le « retournement » de l’économie n’est pas le premier fait d’armes présidentiel. Tout au long de l’année 2013, il s’est aussi distingué en jurant ses grands dieux, contre l’évidence, que la courbe du chômage s’inverserait avant la fin de l’année. Courant micros et caméras, il a répété cette contre-vérité, alors que l’on savait pertinemment que c’était au pire un mensonge, au mieux une ânerie…
À preuve, selon les dernières prévisions de l’OCDE pour la France publiées la semaine passée, la fameuse inversion pourrait ne même pas intervenir en 2014, mais seulement en 2015. Et encore ! Seulement en fin d’année et dans des proportions faibles. « Le taux de chômage ne devrait baisser que faiblement vers la fin 2015 », estime l’OCDE
Et voilà que cela recommence avec le « retournement » : à l’Élysée, Madame Irma a repris du service et décèle un avenir radieux dans sa boule de cristal…
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