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Face aux licenciés de Gad, Martin Schulz tente de sauver la mise

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Lampaul-Guimiliau, de notre envoyé spécial.   La colère s’est éloignée, et Martin Schulz a su ne pas la réveiller. Mardi matin, dans la salle polyvalente de Lampaul-Guimiliau (Finistère), le candidat des socialistes européens (PSE) à la présidence de la commission a décidé d’entamer sa journée de campagne bretonne (la veille, il a tenu meeting à Nantes) par un échange avec les ouvriers licenciés de Gad. La crise de cette entreprise agro-alimentaire, avec la fermeture des abattoirs de porcs, avait été à l’origine de la révolte des bonnets rouges (lire notre reportage).

Ils étaient une petite cinquantaine de salariés de Gad à avoir répondu présent à l’invitation, dans le cadre d’un « café commère », ce rendez-vous imaginé depuis la décision du tribunal de commerce afin que « les Gad » puissent continuer à prendre des nouvelles les uns des autres, autour d'un café et de gâteaux faits maison. Sur les 900 licenciés, seulement une soixantaine a aujourd'hui retrouvé un emploi en CDD ou CDI.

Le social-démocrate allemand face aux bonnets rouges bretons : la confrontation avait de quoi faire frémir. Mais Martin Schulz connaît son Finistère, et en habitué des parages (il se rend chaque été en vacances non loin de Morlaix, ville jumelée avec Würselen, dont il a été le maire pendant onze ans), il entame le dialogue en reconnaissant d’emblée « l’esclavage moderne insupportable » auquel se prêtent certaines entreprises agroalimentaires allemandes, qui ont transformé « les travailleurs de l’Est en sous-traitants ambulants »

Le maire Jean-Marc Fuchois, le délégué FO Olivier Le Bras, Martin Schulz et la députée Chantal Guittet.Le maire Jean-Marc Fuchois, le délégué FO Olivier Le Bras, Martin Schulz et la députée Chantal Guittet. © SA

Tour à tour, les ouvriers licenciés s’alarment de la situation. Mais le ton est las et courtois, presque résigné. « L’Europe doit comprendre que si elle a été construite pour assurer la paix, elle crée aujourd’hui la guerre économique, et celle-ci cause aussi beaucoup de dégâts », explique le syndicaliste FO Olivier Le Bras, qui attend toujours que lui soit notifié son licenciement et qui a récemment été élu adjoint au maire (PS) dans un village voisin. À ses côtés, le maire de Lampaul-Guimiliau, Jean-Marc Puchois, prévient : « S’il n’y a pas d’évolution, cela signifierait que notre drame n’a servi à rien. » Un autre ne comprend pas que « l’Europe impose des normes communes à l’ensemble des paysans pour les animaux et pas pour les hommes ».

À chaque fois, Schulz acquiesce. Selon lui, « la situation économique bretonne n’a rien à voir avec la question des travailleurs détachés, mais avec la migration de la pauvreté ». Et le candidat du PSE de faire un clin d’œil à son auditoire, « même si je sais que ça n’améliorera pas votre quotidien », en expliquant combien « Gad a joué un rôle pendant la négociation gouvernementale à Berlin, entre la CSU et le SPD, pour mettre en œuvre un salaire minimum en Allemagne ».

Car pour Schulz, plus que la directive sur les travailleurs détachés (héritée de la directive Bolkestein), c’est « l’équilibre entre la liberté économique et le respect des droits sociaux qu’il faut changer. Il n’est pas normal que le capitalisme soit devenu transnational, mais que les droits sociaux demeurent nationaux ». Face à la « concurrence déloyale » des autres continents, « où il n’y a pas de droit de grève, de syndicat ou de smic », il répète sa volonté de mettre en œuvre des salaires minimums dans chaque pays européen, ou son intention de lutter vigoureusement contre les paradis fiscaux. Il se dit même prêt à imaginer « le respect d’un certain nombre de standards, afin de pouvoir exporter chez nous ».

Durant l’heure et demie de discussion, Schulz soigne sa mise en scène, n’hésite pas à descendre de la tribune pour se rapprocher de son interlocuteur, à élever la voix quand il est interrompu par un syndicaliste véhément. Il accepte avec le sourire quand on lui offre un bonnet rouge ou un t-shirt de lutte. Mais il ne rentre pas non plus dans le détail de ses engagements. S’il se refuse à « promettre de l’emploi pour tous demain », il demande à ce qu’on lui donne « un crédit politique » pour « changer les choses, pour que l’Europe s’occupe enfin des travailleurs : avec moi, on discutera du niveau des revenus, et pas uniquement de celui des dépenses publiques ». Son message, en fin de compte, tient en une sentence : « Soyons francs, pour changer l’Europe, il faut en changer la majorité. »

Une seule fois le ton montera dans la matinée, quand Dominique (un ex-Gad, qui a retrouvé un emploi dans une entreprise de salaison voisine) intervient : « Oui, mais c’est l’Europe de l’argent qui décide. En France, on nous a promis la justice sociale, et on voit où on en est aujourd’hui. C’est fini le temps des promesses, on veut du concret ! Des emplois ! » Faisant allusion au projet de reprise des abattoirs par d’anciens cadres de Gad (qui prévoient 250 emplois), Olivier Le Bras ne comprend pas non plus « pourquoi ce n’est pas possible de réquisitionner un site industriel laissé à l’abandon quand un repreneur existe ». À ces interpellations, ils n'auront pas de réponse.

Martin Schulz n’entend pas rentrer dans le débat français. « Je ne suis pas là pour remplacer François Hollande, dit-il, on ne vote pas pour l’Assemblée nationale, mais pour le parlement européen. » « Pour l’instant, vous avez raison, ce ne sont que des promesses, admet-il ensuite. Mais on ne peut pas tout changer du jour au lendemain. » Il insiste cependant pour rappeler que « le gouvernement français a soutenu le PSE et le Parlement pour obtenir le petit changement acquis sur la directive travailleurs détachés ».

Martin Schulz à Lampaul-Guimiliau.Martin Schulz à Lampaul-Guimiliau. © S.A

Tout en engloutissant une paire de croissants, il explique ensuite à quelques journalistes qu’il trouve « le PS plus mobilisé que la dernière fois », puis déroule son amour du Finistère aux médias locaux. En revanche, quand on l’interroge sur la réalité de ses engagements à l’épreuve du compromis probable entre son PSE et la droite européenne (PPE), il refuse de répondre. Quand on lui rappelle la similitude de ses discours avec ceux qu’il tenait déjà en 2009, avant de s’entendre avec le PPE (et de devenir en deuxième partie de mandat président du parlement européen), le ton se fait même plus sec. « Je ne parle pas d’un accord avec la droite pendant la campagne. »

Puis il se refait bonhomme, et explique la nécessité du compromis passé : « Notre stratégie a été d’éviter au maximum d’avoir des majorités contre nous, et de gagner des marges de manœuvre politique. Cela a permis des victoires dans certains votes, parfois au détriment de défaites sur d’autres… »

Avec deux autres camarades de l’intersyndicale de Tilly-Sabco (une entreprise voisine, en chômage partiel), Corinne Nicole semble loin des subtilités bruxelloises des accords de coulisses. La déléguée CGT est venue elle aussi interpeller Schulz. Elle « respecte » le fait que le candidat du PSE soit venu, mais ne comprend pas « pourquoi nous n’avons jamais eu de contacts avec les eurodéputés, avant les votes nous concernant ».

« Les patrons, eux, il n’y a pas de souci, ils passent leur temps à plaider leur cause à Bruxelles », soupire celle qui a accepté de figurer sur la liste autonomiste présentée par le maire de Carhaix, Christian Troadec, aux européennes. Le dossier de sauvegarde de son usine n’avance pas, entre impuissances politiques, désaccords internes entre patrons de l’agro-alimentaire breton et faible mobilisation des syndicalistes paysans. « La radicalisation n’est pas pour tout de suite, dit-elle, mais pour bientôt. Nous n’avons pas de visibilité sur ce qui va nous arriver cet été. » Elle se dit « prête à avoir un casier judiciaire, pas pour casser des radars » : « juste pour préserver mon emploi ». « Mon sac de couchage est dans ma voiture, si jamais il ferme l’usine, j'y dormirai dedans. » Pas sûr que Martin Schulz ait une solution…

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