Comment a-t-il plongé si bas ? C’est la question qui vient sous toutes les plumes, et sur toutes les lèvres. Les réponses sont variées, et parfois hypocrites. Les plus virulentes montent de milieux qui lui étaient hostiles avant même son élection, même si certains ont voté pour lui, par anti-sarkozysme. Mais la somme exceptionnelle de ces oppositions, ou de ces doutes, conduit toutefois à une seconde interrogation : le “retournement” économique que le président promet aujourd’hui, a-t-il une chance de se réaliser, et de le ressusciter ?
Le plus probable est qu’il faudra davantage qu’un “retournement”, et, pas seulement économique. Il faudrait un âge d’or. Une Renaissance. Il faudrait des temps nouveaux. Une résurrection. Ce redressement dont ont rêvé tous les présidents de crise, depuis Giscard d’Estaing, et qui ne s’est jamais produit. Sauf période de cohabitation, qui remet les compteurs à zéro, et transfère au premier ministre les aléas de la conjoncture, aucun chef de l’État n’est jamais sorti indemne d’une telle impopularité.
DÉTESTÉ PAR LA DROITE…
Pour la droite, François Hollande a eu le tort de ne pas engager, dès le début, les “réformes” qu’il propose aujourd’hui, c’est-à-dire les allègements de charges et la réduction des dépenses de l’État. Il aurait asphyxié le pays en l'écrasant d’impôts, avant de le mettre sous la tente à oxygène d’un “pacte de responsabilité” qui serait arrivé trop tard.
La droite est un peu amnésique. Dès le lendemain des législatives, et encore plus clairement dès le discours du 14 juillet 2012, Hollande a engagé une politique qui s’est ensuite amplifiée. Dès le départ, il a signé le Traité européen qu’il proposait de repousser ; dès le départ, ou presque, il a consenti à une augmentation de la TVA, qu’il combattait auparavant ; dès les premières semaines, il a renoncé à “la grande réforme fiscale” qu’il proposait jusqu’au printemps ; dès novembre 2012, sur les recommandations du rapport Gallois qui fuita en septembre, il a annoncé, puis mis en œuvre, des réductions de charges pour les entreprises, en consacrant ainsi le dogme du “coût du travail”, qu’il contestait auparavant…
En fait la droite a envenimé tous les débats, qu’ils soient économiques ou sociétaux, comme la réforme pénale Taubira (qui n’a toujours pas vu le jour mais qui est accusée de toutes les dérives), ou comme la question du mariage pour tous. La droite n’est pas critique du bilan de François Hollande, elle est ulcérée par sa présence à l’Élysée. Et chaque “concession” acceptée par ce président “de gauche”, chaque gage accordé aux revendications de la droite, n’a fait qu’enflammer ce rejet, et cette détestation.
La réflexion que pourrait utilement engager l’Élysée, devrait donc cesser de porter sur les prochaines mesures destinées à apaiser la droite, afin d’obtenir son consentement, ou sa neutralité, et de constater plutôt que toutes les “ouvertures” ont entraîné des surenchères. Toutes ont été ressenties comme des encouragements à déclencher d'autres actions, en vue de nouvelles redditions.
En somme, la présidence Hollande a rencontré l’hostilité classique et clanique de la droite, la même que sous Blum, Mitterrand, ou sous le primat de Jospin. C’est une opposition de principe qui conteste à la gauche, même sous sa forme édulcorée, le droit d’exercer un pouvoir censé lui appartenir. Mais Hollande a amplifié le mouvement. Il a dopé la contestation en lui cédant sans combat. Il est remarquable de constater que plus le président socialiste a fait sien le vocabulaire des libéraux, sur “les réformes structurelles”, sur “le coût du travail” ou sur “les dépenses de l’État”, plus il a serré la ceinture de la France, et plus la droite l’a accusé de laxisme et de dérive étatiste. Comme si ce président conciliant avait aggravé son cas en manquant de résistance… Comme si, à force de “souplesse”, il avait endurci ses adversaires, au point d’être surnommé “Pépère” dès qu’il cédait, et “dictateur” dès qu’il maintenait une décision…
LÂCHÉ PAR SA GAUCHE
Pendant ces deux années, Hollande n’a pas joué des vases communicants : il a dopé ses adversaires, sans rassembler ses partisans. Il a exaspéré la droite tout en se mettant la gauche à dos. Il a rencontré, comme ses prédécesseurs, des résistances rituelles, qui remontent au congrès de Tours, mais il les a “colérisées”. La méfiance de la “gauche de la gauche” vis-à-vis des “sociaux-démocrates”, traditionnellement dénoncés comme des “socio-traîtres”, pour ne pas dire des “socialauds”, n’est pas une caractéristique des deux dernières années, mais elle fait désormais tache d’huile, jusqu’à gagner une partie des écologistes, et une frange de plus en plus large des députés PS.
Certes, François Mitterrand a été élu en dépit d’une campagne intense du Parti communiste, à l’époque assez puissant pour rassembler un électeur sur cinq et l’accusant de “virer à droite”. Certes Lionel Jospin a subi le même genre de procès malgré les 35 heures, la “couverture maladie universelle” ou l’instauration du PACS. Mais Hollande a dépassé les limites de l’affrontement entre la gauche modérée et la gauche radicale. Il n’a pas seulement subi les attaques habituelles de ses opposants de gauche qui se déclarent déçus par lui, comme s’ils avaient un jour placé leurs espoirs dans un “capitaine de pédalo”. Il a donné à cette désillusion mécanique une dimension si névralgique qu’elle a gagné ses alliés, les écologistes, ainsi qu’une part grandissante des élus socialistes.
Hollande n’a pas promis grand-chose, et encore moins le grand soir, pendant sa campagne présidentielle, mais se retrouve sans majorité absolue au parlement après l’annonce de son pacte à 50 milliards d'euros. Il n’a pas seulement perdu la gauche mélenchonienne, qui n’a jamais cru en lui, il n’a pas uniquement découragé la gauche communiste, qui ne l’a jamais aimé, il a fait fuir Europe Écologie et braqué le cinquième de ses propres députés PS.
D’où vient donc ce scepticisme qui tourne à l’agacement, pour ne pas dire à la franche opposition, puisque ni son histoire personnelle (c’est un fils de Jacques Delors), ni ses promesses (il n’en a pas fait beaucoup) ne pouvaient laisser penser qu’ils incarnerait autre chose qu’un centre gauche ?
Le malentendu prend sans doute sa source dans son discours du Bourget. Non pas à cause de telle ou telle mesure emblématique, mais plutôt en raison d'une attitude. Ce jour-là, Hollande a emporté le morceau en désignant un adversaire, la finance, et en promettant de résister, debout, jusqu’à trouver “une autre voie”. La France ne se laisserait pas dicter sa politique…
Il se trouve que dès le lendemain des élections législatives, la France n’a résisté à rien, et que le président, après quelques envolées sur PSA, le jour du 14 juillet, a décidé de ne plus avoir d’adversaire. Dans un souci déclaré d’écoute et d’unité nationale, il s’est incliné devant les revendications libérales, en intégrant leur vocabulaire, “ras-le-bol fiscal” ou “baisse des charges”, comme si, de fil en aiguille, l’ennemi n’était plus “la finance”, mais clairement la “fiche de paie”.
“L’autre voix”, qui devait être celle de la France, et parler à l’Europe du Sud, a fini par intégrer le “Tina” de Margaret Thatcher, There is no alternative. Au point que Hollande n’attend plus son salut de sa politique, mais d’une reprise mondiale qui relancerait l’Europe, et provoquerait chez nous le fameux “retournement” dont il parlait cette semaine au Journal du dimanche.
Devenir un bon élève, pour être récompensé par la “maîtresse conjoncture”, quand viendrait l’heure des résultats, voilà la perspective dessinée par l’homme qui promettait la résistance. Dépolitiser le débat en 2014, le réduire à des mesures techniques, alors qu’il l’avait gonflé à l’espoir politique au printemps 2012, telle est la grande équivoque, celle qui consacre Manuel Valls, maître technicien réputé, mais qui creuse un gouffre entre Hollande candidat et Hollande président.
Le pari a-t-il une chance de fonctionner ? En d’autres termes, le président de la République peut-il se remettre en selle grâce à un “retournement”. Nul ne peut l’écarter, puisque l’avenir n’est pas écrit, mais l’hypothèse est hautement improbable. La crise dure depuis si longtemps qu’on en parle depuis 1973 et la crise du pétrole. On peut même se demander si elle est un moment ou un état, un désordre ou un ordre. Et si le mythe de “la sortie de crise” est un espoir raisonnable, ou un conte pour enfants sages.
En 1981, pendant sa campagne victorieuse, François Mitterrand avait fait projeter un petit film cruel à chacun de ses meetings. C’était Giscard, mais rétrospectivement, on dirait du Hollande. On y voyait le président candidat, la mine de plus en plus défaite, annoncer tous les six mois, la “sortie du tunnel”. En guise de tunnel, le sortant annonçait sa sortie.
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