« On hérite d’une drôle de patate chaude. » D’emblée, Ségolène Royal n’a pas caché devant les parlementaires le casse-tête face auquel elle se trouvait. Une taxe rejetée par l’opinion publique et suspendue par le gouvernement précédent, un dispositif qui ne fonctionne toujours pas, un contrat aberrant, des menaces de contentieux… l’écotaxe semble devenue un problème insoluble. Trouvant ce dossier sur son bureau en arrivant au ministère de l’écologie, la ministre ne veut rien dire de la suite, sauf qu’il faut remettre à plat un système dans l’impasse.
De quelle façon ? Alors que le gouvernement, en difficulté face à ses troupes, a donné comme mot d’ordre de travailler en coopération avec les parlementaires, Ségolène Royal s’y est conformée, sans hésitation. Elle dit attendre les travaux à la fois de la commission d’enquête du Sénat sur le contrat Ecomouv et de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’écotaxe pour obtenir des pistes et prendre des décisions. Les deux commissions devraient rendre leur rapport fin mai. La ministre de l’écologie a, cependant, indiqué à l’Assemblée nationale que les décisions sur l’avenir de cette taxe poids lourds pourraient intervenir « dès juin ».
Même si elle se veut ouverte à la concertation avec les parlementaires, Ségolène Royal semble déjà s’être fait une opinion assez tranchée sur le sujet. N’ayant jamais été associée de près ou de loin à ce dossier, depuis son lancement en 2007, elle dispose d’une totale liberté de parole, et ne s’en prive pas. Le premier état des lieux qu’elle a tracé lors de son intervention devant le Sénat, mardi 29 avril, a été assez décapant. Il dresse un constat de faillite généralisée.
La première faillite, pour la ministre de l’écologie, est le dévoiement du principe même de l’écotaxe. Ce qui devait être une taxe relevant du principe pollueur-payeur a été transformée en une taxe généralisée sur les produits. « La première perversion du système est que la taxe n’est plus fondée sur le coût d’usage des infrastructures », a-t-elle relevé.
Les négociations avec les lobbies des transporteurs sont passées par là. Vent debout contre l’écotaxe, les transporteurs ont obtenu dès 2010 plusieurs compensations : une baisse au minimum de la taxe à l’essieu et l’autorisation d’utiliser des camions de 44 tonnes qui, jusque-là, étaient interdits en France. Mais au fil des négociations, ils ont fini par obtenir plus : transférer le coût de l’écotaxe aux donneurs d’ordre, en la faisant inclure au pied des factures. « Le dispositif imaginé a abouti à une simple taxe sur les prestations de transports. Un calcul complexe a établi le montant de la taxe par région. Au bout du compte, toutes les prestations sont affectées, même les transports qui utilisent le train », a expliqué Ségolène Royal.
« Dans le cas de la Bretagne, les calculs ont abouti à une estimation de 45 millions d’écotaxe par mois. Cela doit se traduire par une majoration uniforme de 3,7 % sur tous les transports. Au départ, il s’agissait de faire payer les transports polluants », a rappelé la ministre de l’écologie.
Les sénateurs écoutaient, vaguement mal à l’aise. Car tout le monde a participé à cette dérive du système. Et l'on ne peut pas dire que les heures de discussions parlementaires sur le sujet et les questions des commissions d’enquête aient vraiment permis de faire émerger cette réalité, jusqu’à présent.
Le deuxième constat de faillite sur le contrat Ecomouv a été encore plus implacable. « Ce contrat est exorbitant. La rémunération du capital prévue pour Ecomouv est de 17 %, le coût du prélèvement de la taxe est de 25 %. Est-ce que les intérêts de l’État ont bien été défendus dans ce domaine ? Pourquoi donner à une entreprise privée la charge de prélèvement de l’impôt, alors que l’État sait faire à un coût inférieur à 1 % ? », a poursuivi Ségolène Royal.
« Mais d’où tirez-vous ces chiffres ? Êtes-vous bien sûre de leur exactitude ? », a demandé, un brin suspicieux, un sénateur dans le flot de questions qui ont suivi l’intervention de la ministre de l’écologie. Ces chiffres avaient déjà été donnés devant la commission d’enquête par plusieurs intervenants dont François Bergère, responsable de la mission d’appui des partenariats public-privé (MAPPP), qui s’était étonné de ces taux inhabituels (voir Ecomouv : les anciens ministres prennent la fuite).
Ces interrogations sénatoriales illustrent un des manques cruels de cette commission d’enquête. À l’exception de la présidente, la sénatrice UMP Marie-Hélène des Eygaulx et de la rapporteuse, la sénatrice PS Virginie Klès, peu des membres semblent maîtriser le dossier. Lors des différentes interventions, parfois très surprenantes, devant la commission, ils n’ont exercé aucun droit de suite, n’ont que rarement posé des questions précises pour savoir comment le contrat Ecomouv avait été signé, pour comprendre où étaient les responsabilités. Ils ont fait diversion, en se noyant souvent dans des généralités, dans la défense et l'illustration des PPP, les problèmes d’emploi à Metz, la parole de l’État et le préjudice subi par Ecomouv. Ils se sont surtout beaucoup plaints du retard pris dans l’écotaxe, lequel les privait d’une manne espérée, qui pour faire un rond-point, qui pour faire un point de liaison routier ou autoroutier.
Selon nos informations, Daniel Bursaux, directeur général des infrastructures, des transports et de la mer, principal maître d’œuvre à ce titre de l’écotaxe depuis 2007 et signataire par délégation du ministre de l’écologie du contrat Ecomouv en octobre 2011, s'est félicité dans les couloirs du ministère des transports de l’attitude de la commission d’enquête sénatoriale : elle se préoccupait surtout des moyens de sortir de l’impasse actuelle. Sous-entendu : pendant que les sénateurs regardaient la suite, ils ne s’intéressaient pas trop au contrat Ecomouv en lui-même et aux circonstances qui avaient conduit à sa signature.
Il en a été de même lors de l’intervention de Ségolène Royal. Les questions des sénateurs ont porté uniquement sur les voies de sortie imaginées par la ministre de l’écologie, sur sa volonté de rompre ou non le contrat Ecomouv, sur son attitude de conciliation avec le consortium privé.
Le différend entre l’État et le consortium Ecomouv a monté d’un cran depuis quelques semaines. Il prend le chemin d’un précontentieux. L’État a désigné un conciliateur. « Mais, a précisé Ségolène Royal, il n’a pas encore d’ordre de mission précis. J’attends votre rapport pour fixer le cadre de son mandat. »
La ministre de l’écologie n’en dit pas plus. Mais elle ne paraît nullement impressionnée par le fait d’avoir, s’il le faut, à s’engager sur le terrain judiciaire face au consortium privé. La menace d’avoir à verser près de 900 millions d’indemnités au consortium en cas de rupture de contrat a été constamment agitée, afin de dissuader l’État de remettre en cause le dispositif et de pousser le gouvernement au compromis. Ségolène Royal ne semble pas être dans cet état d’esprit : « On a beaucoup parlé du préjudice subi par Ecomouv. Mais l’État et les collectivités locales ont subi aussi un préjudice. Je les ferai valoir, si l'on s’engage dans un contentieux. C’est en intégrant ces préjudices dans le règlement du contentieux que nous pourrions régler ces coûts », dit-elle.
La liste des griefs qu’elle a dressée devant la commission d’enquête commence à être étoffée : atermoiements dans les décisions de la société, dysfonctionnements du dispositif, retard dans l’exécution du contrat, mauvaise information de la société qui a conduit à un rejet de la population, absence de permis de construire pour les portiques, sans parler des millions manquants pour l’État et les collectivités locales.
Même si elle dit à ce stade n’avoir aucune option arrêtée, son envie d’en finir avec l’usine à gaz actuelle de l’écotaxe transpire. « La déperdition de rendement sur le prélèvement de la taxe est difficilement compréhensible en période d’économies budgétaires », a-t-elle souligné, en revenant sur les 25 % accordés à Ecomouv pour le prélèvement de l’écotaxe. « Le dispositif financier peut-il être remis d’aplomb ? C’est très compliqué. »
Le premier souhait de Ségolène Royal paraît être de revenir à la philosophie initiale de l’écotaxe : faire payer les transports polluants. « Encore faut-il qu’il y ait des alternatives... », a-t-elle souligné en reprenant le cas breton où, pour l’instant, il n’existe aucun autre moyen de transport que la route.
Le système du péage lui paraît être le plus simple et le plus approprié. La ministre de l’écologie a une cible privilégiée : « les camions étrangers qui empruntent nos routes. Ils font le plein aux frontières avant d’entrer en France, ne paient aucune TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), ne paient pas de péage, et ne paient donc rien pour l’usage de nos infrastructures », a-t-elle insisté. Le paiement d’une vignette aux frontières pour tous les camions étrangers entrant en France, comme cela se fait en Suisse, lui semble une voie à explorer. Mais ce système est interdit par la législation européenne, ont insisté plusieurs sénateurs. « La Grande-Bretagne et l’Allemagne ont imposé la vignette aux frontières pour les camions étrangers », a-t-elle rétorqué.
La deuxième piste à l’étude consiste à imposer aux camions d’emprunter les autoroutes payantes. En contrepartie, l’État prélèverait une taxe supplémentaire sur les sociétés concessionnaires d’autoroutes. « Les sociétés autoroutières font 2 milliards d’euros par an de bénéfices. Si les camions ont l’obligation d’emprunter les autoroutes, elles toucheront des péages en plus. L’État peut leur demander en retour une contribution supplémentaire pour aider à l’entretien des réseaux routiers et des infrastructures de transports. D’autant que les propriétaires des concessions autoroutières sont les entreprises de travaux publics. Elles seront les premières bénéficiaires des travaux routiers, de l’aide à l’emploi dans leurs entreprises », a-t-elle relevé.
Si cette piste est poursuivie, elle risque de conduire à un sévère bras de fer avec les groupes concessionnaires. Car ceux-ci, pleinement conscients des difficultés financières de l’État sur l’écotaxe et autres, ont déjà commencé à travailler sur d’autres solutions, en coopération avec l’administration : ils proposent notamment une extension de la durée de leur concession autoroutière… pour aider l’État, naturellement.
Ces dernières semaines, Daniel Bursaux est allé rencontrer les services de la Commission européenne pour étudier cette possibilité et plaider un aménagement du droit, selon nos informations. L’idée est de permettre l’allongement des concessions autoroutières d’une vingtaine d’années pour les porter jusqu’en 2033, en compensation de travaux routiers et autoroutiers que mèneraient les sociétés concessionnaires. Au passage, ces travaux seraient réalisés par les sociétés elles-mêmes, donc à un coût invérifiable, et payés par les utilisateurs.
Si cette solution voyait le jour, cela ne s’appellerait même plus un cadeau. Pour mémoire, l’État a empoché 11 milliards d’euros lors de la privatisation des autoroutes en 2006. Lorsque le gouvernement socialiste est arrivé, il avait mis à l’étude un possible rachat des concessions autoroutières. Les sociétés concessionnaires avaient estimé le coût du rachat à 30 milliards d’euros, soit une multiplication de la valeur de 2,7 fois en six ans. Normalement, une concession perd de sa valeur au fur et à mesure que le contrat approche de son expiration ou de son renouvellement. À combien se chiffrerait une extension des concessions dans ce contexte ?
Cette solution est bien éloignée de celle préconisée par Ségolène Royal, dans le cadre de la remise à plat de l'écotaxe. Qui, du politique ou de l’administration, laquelle a jusqu'alors imposé ses vues, va avoir le dernier mot sur le sujet ?
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