Le départ pour « raisons personnelles » du directeur de l’enseignement scolaire, Jean-Paul Delahaye, homme clé de la rue de Grenelle, annoncé à ses collaborateurs le 30 avril, a provoqué un séisme dans les couloirs du ministère de l’éducation. En claquant la porte, cet homme de l’ombre – réputé pour sa discrétion – a contribué à révéler une crise qui couvait en réalité depuis plusieurs semaines au ministère de l’éducation nationale.
Ce très proche de Vincent Peillon, avec qui il fonctionnait en tandem depuis l’élaboration du projet PS pour l’éducation, était certes annoncé partant depuis longtemps puisqu’il devait faire valoir ses droits à la retraite au mois de juin. Mais le choix de quitter ses fonctions à un moment très délicatpour le ministère n’a pas manqué d’apparaître comme un geste fort de défiance à l’égard du nouveau ministre, Benoît Hamon. Fait inédit, en l’absence de successeur désigné, une des plus grandes administrations du pays se retrouve depuis jeudi dernier sans directeur à sa tête…
« J’avais souhaité que la transition se passe bien, le temps que j’apprivoise mon ministère », reconnaît sans détour Benoît Hamon, qui avait pressé son directeur de l’enseignement scolaire (Dgesco) de rester jusqu’en juin. Si son entourage ne se prive pas de qualifier d’« inélégante » la démarche de ce dernier, Hamon assure qu’il a déjà choisi son successeur, sans doute une femme, dont le nom sera annoncé au prochain conseil des ministres. Reste que l’absence, ce lundi, de Jean-Paul Delahaye lors du Conseil supérieur de l’éducation(CSE), qu’il devait normalement présider et au cours duquel le nouveau décret « d’assouplissement » sur les rythmes scolaires était examiné, met en difficulté le nouveau ministre en prenant un tour forcément politique.
« Il n’a sans doute pas voulu détricoter lui-même le décret qu’il avait contribué à élaborer. Et ce de façon, selon lui, non marginale », raconte son ami, l’historien de l'éducation Claude Lelièvre. De fait, le décret préparé par Hamon assouplit un certain nombre de critères pour la mise en œuvre de la semaine de 4 jours et demi dans le cadre d’expérimentations. Certains y voient une brèche dans laquelle les adversaires de la réforme ne manqueront pas de s’engouffrer pour la fragiliser un peu plus. La FCPE s'est ainsi insurgée contre ce qu'elle considère comme un premier recul du ministre. Le syndicat majoritaire du premier degré le SNUipp l'a lui jugé insuffisant et intervenant «trop tard», alors que 93% des communes ont déjà déposé leur projet d'organisation au ministère pour l'an prochain. Ce texte censé être de compromis n'aura finalement contenté personne puisqu'il a été rejeté en CSE recueillant 31 voix contre, 27 abstentions et trois voix pour.
Au-delà des incertitudes sur la réforme des rythmes scolaires, que Benoît Hamon n’a pas encore totalement levées, ce sont surtout des doutes quant à la volonté du nouveau ministre de poursuivre l’ensemble des réformes engagées depuis deux ans qui s’expriment. Chacun a donc depuis un mois scruté ses premiers pas en s’interrogeant sur le sens politique de sa nomination. « Est-ce que son mandat est d’étouffer tous les dossiers et d’expédier les affaires courantes ? C’est un risque », s’interroge Christian Chevalier, secrétaire général du SE Unsa.
Après l’interminable feuilleton de la réforme des rythmes scolaires qui a suscité des mécontentements de toutes parts, Benoît Hamon a-t-il pour mission de ne surtout plus faire de vagues ? « Je ne suis pas sûr que le baromètre pour être un bon ministre de l’éducation nationale soit forcément d’être le plus impopulaire, ironise le ministre, mais je puis vous assurer que mon souci ne sera pas de plaire systématiquement à tout le monde. Il y a des réformes où l’on peut avancer par consensus et d’autres où il faudra trancher », prévient-il.
Il rappelle que sa feuille de route, préparée par son prédécesseur, est bien remplie : « Nous avons une réforme des programmes qui approche, une réforme du collège, un enseignement professionnel qui se vit toujours comme une voie de second rang… La phase qui me concerne est celle de la mise en œuvre de la refondation pour réussir à inverser une tendance dramatique dans notre pays où l’origine sociale pèse comme nulle part ailleurs dans les parcours scolaires. »
L’éviction de Vincent Peillon, alors que la majorité des réformes engagées sur la formation des enseignants, les rythmes scolaires, ou l’éducation prioritaire, sont soit au milieu du gué soit encore dans les cartons (comme la réforme du collège ou des programmes), a laissé le ministère en suspens. L’arrivée d’un profil politique comme celui de Hamon, plutôt néophyte sur les questions d’éducation, n’a pas forcément rassuré, dans un contexte très différent d’il y a deux ans. La priorité à l’éducation a en effet pratiquement disparu des discours de François Hollande, supplantée par le chômage et la compétitivité.
Dans son discours de politique générale, Manuel Valls a évoqué les questions éducatives après le problème des « cambriolages » et encore, uniquement pour parler de l’assouplissement de la réforme des rythmes scolaires. Hamon saura-t-il peser face au rouleau compresseur budgétaire ? Et pour quelle politique ?
Son positionnement à l’aile gauche du PS, sa proximité avec la FSU, ne suffisent sans doute pas à définir ses orientations. « Les étiquettes facilitent la vie de tout le monde, à commencer celle des journalistes ! rétorque Benoît Hamon. J’ai de très bonnes relations avec Bernadette Groison (secrétaire générale de la FSU – Ndlr) que je connais depuis très longtemps, mais je n’ai pas une vision totémique sur ces sujets. Et cela surprendra sans doute les familles syndicales, les grands anciens du secteur. »
Les clivages syndicaux, entre la FSU, le Snes et le Snuipp, majoritaires, d’une part, et les syndicats dits « réformistes », comme l’Unsa ou le Sgen-Cfdt, ont par ailleurs beaucoup évolué au cours des deux dernières années. La réécriture, très modeste, des décrets de 1950, qui définissaient le métier des enseignants sur la seule base des heures de classes (et pas sur la concertation, l'accueil des parents, etc.), naguère chiffon rouge du Snes, n’a pratiquement pas provoqué de clash. Une preuve pour Vincent Peillon que ces antagonismes anciens, et selon lui stériles, pouvaient être dépassés.
À l'inverse, les relations avec le SNUipp-FSU, majoritaire dans le premier degré, et à l'origine très proche du programme éducation du PS, se sont peu à peu dégradées sous la pression d'une base souvent très hostile à la réforme des rythmes scolaires. Les références du nouveau ministre sur l'éducation invitent, elles aussi, à ne pas le cataloguer trop rapidement. Lorsqu’il dirigeait la convention « égalité réelle » du parti socialiste, en 2010, qui comprenait les questions d’éducation, Benoît Hamon assurait pour le volet éducatif s’être beaucoup inspiré des travaux de François Dubet, un sociologue rarement sur la ligne de la FSU…
Ses proches vantent sa culture de la négociation et son pragmatisme. « Je crois qu’il va beaucoup s’appuyer sur le terrain, affirme le secrétaire général de son courant, Un monde d’avance, Guillaume Balas. La manière dont il a conduit l’assouplissement sur les rythmes me semble assez intelligente. Hors de tout dogmatisme. » Aujourd’hui à son cabinet, un autre proche y voit même une de ses premières victoires : « Avec cet assouplissement, on a quand même plus de chance que la réforme aboutisse que si l’on était resté sur un bras de fer stérile », assure-t-il, taclant au passage le caractère un peu "psychorigide" de l’équipe précédente.
« Cela me va très bien d’avoir les deux mains dans la réalité plutôt que dans les concepts », dit aujourd’hui Benoît Hamon, qui sait qu’il va devoir trouver sa place rue de Grenelle après l’agrégé de philosophie Vincent Peillon, certes impopulaire, mais très apprécié de son administration, notamment parce qu’il connaissait parfaitement son sujet.
« Il est vrai que j’ai pu ressentir un peu de circonspection dans la haute administration. Mais je ne découvre pas ces sujets, répond Benoît Hamon. Beaucoup l’ont oublié, mais j’ai présidé la Convention pour l’égalité réelle du parti socialiste où j’ai travaillé aux côtés de Bruno Julliard pour déterminer les grandes orientations en matière d’éducation. Je n’arrive donc pas en terrain étranger. » Hamon a aussi pris soin de conserver à son cabinet quelques piliers du cabinet Peillon, notamment pour les dossiers les plus techniques.
Dans l’amertume des cartons, un membre du cabinet partant dressait un autre procès en illégitimité : « Vous imaginez ce type qui a eu une licence d’histoire à Brest et qui va diriger plus d’un million d’enseignants, présider à la stratégie nationale de la recherche… », s’étranglait ce technocrate ultra-diplômé. Ulcéré par ce type de critiques, émises par « cette aristocratie qui a eu le bon diplôme à 18 ans et demi et qui ruine le système », son ami Guillaume Balas affirme au contraire que « c’est une excellente chose qu’il ne soit pas du sérail. Benoît Hamon pense que les questions éducatives s’inscrivent dans une vision globale de la société. Il aura vraiment à cœur de combattre le déterminisme social. Si Benoît a beaucoup d'estime pour Vincent Peillon, il a, par son parcours personnel, peut-être une foi moins évidente dans le miracle de l'école républicaine dont il n'est pas un pur produit ».
Son entourage rappelle qu’il a déjà remporté d’importants arbitrages : la garantie du maintien de la création des 60 000 postes « alors que le cabinet de Peillon nous avait prévenus que 20 000 d'entre eux étaient menacés »,indique un conseiller, le maintien de l’aide au logement pour les étudiants tout comme l’assurance qu’on ne toucherait pas aux frais d’inscription dans le supérieur. Ce qui reste, pour ce dernier point au moins, à voir.
Parvenir à enrayer les inégalités – même « un tant soit peu », comme il s’en fixe modestement l’objectif –, de plus en plus prégnantes dans le système éducatif, nécessitera, Benoît Hamon le sait, de courageuses réformes qui ne pourront se faire qu’avec un soutien sans faille de l’Élysée. « Jean-Paul Delahaye est parti non parce qu’il aurait eu un quelconque problème avec Benoît Hamon mais parce qu’il sentait que François Hollande se fichait totalement de l’éducation et qu’il aspirait juste à la paix dans ce secteur », affirme Claude Lelièvre. Voilà Benoît Hamon prévenu.
BOITE NOIREL'entretien avec Benoît Hamon a eu lieu vendredi soir par téléphone. Le ministre n'a pas demandé à relire ses citations. Jean-Paul Delahaye, contacté par mail, n'a pas donné suite à notre demande d'entretien.
Cet article a été modifié à 17 heures pour ajouter les résultats du vote du Conseil supérieur de l'éducation.
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