Quand on n'a (plus) que l'humour… Ce mardi, dans un café du centre de Paris, des représentants d'une quarantaine d'associations de lutte contre les discriminations ont choisi d'emprunter le chemin de l'absurde pour dire leur désarroi face à l'indifférence gouvernementale. Réunis à l'initiative du collectif « Stop contrôle au faciès », ils ont dévoilé une campagne de promotion qu'ils proposent aux pouvoirs publics de diffuser à leur compte. Afin de rendre plus raccord la communication avec l'absence d'actes de François Hollande, depuis son accession à l'Élysée, il y a deux ans. Et puisque Manuel Valls « ne propose en définitive que d'arrêter d'être ce qu'on est », explique Sihame Assbague, porte-parole du collectif, une dizaine d'affiches, frappées du slogan « Arrêtez d'être », seront dévoilées d'ici dimanche, jour d'une « fête du rire », dans un squat du nord de la capitale, mis à disposition par le DAL et Jeudi-Noir (voir ici le site spécialement dédié).
L'initiative est plus sérieuse qu'il n'y paraît, et le « rire collectif » se veut jaune face au « sens de l'humour » de Hollande et à la promotion de Manuel Valls, du ministère de l'intérieur à Matignon. « Une belle blague en soi », explique Amadou Ka, des Indivisibles. « Tout ça devient tellement grotesque, enchaîne Sihame Assbague. Tous les engagements du candidat sur la lutte contre les discriminations se sont avérés être une succession de leurres. » « C'est une façon de traduire ce qu'il ressort entre les lignes de la langue de bois gouvernementale : “À nous de nous travestir, à nous de nous nier” », appuie de son côté Franco Lollia, de la « Brigade anti-négrophobie ».
La singularité de l'événement, soulignée par tous les présents, est l'étendue de l'arc de forces qui s'est regroupé autour de la blague pas si potache. Associations de quartiers populaires, de handicapés, de mamans voilées, de lutte contre la précarité dans le logement, contre l'islamophobie et le racisme, ou de défense des Rroms ou des sans-papiers… « Nous sommes tous des “minorés visibles”, chacun avec nos spécificités, mais faisant tous partie de la population qui n'a pas accès aux mêmes droits que les autres », explique Sihame Assbague, qui défend l'idée d'une « coalition ».
Une idée déjà défendue par Mohammed Mechmache, fondateur de l'association collectif liberté, égalité, fraternité, ensemble, unis, (ACLEFEU), prônant une alliance entre universitaires et acteurs des quartiers populaires pour mieux se faire entendre (lire notre article). Ce dernier est encore de la partie, estimant que « ce qui réunit tout le monde ici, c'est l'idée de prendre le pouvoir en se prenant en main, face aux promesses trahies ». Candidat écolo aux européennes (en troisième position sur la liste Île-de-France), Mechmache ne tarit pas de critiques face à ceux qui « ont fait lever les salles sur les questions d'égalité pendant la campagne », et qui, finalement, n'ont « même pas sorti l'immigration et l'intégration du ministère de l'intérieur, comme sous Sarkozy ».
Pour le porte-parole du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), Louis-Georges Tin, l'initiative « contrecarre le cliché selon lequel les associations n'ont pas d'humour, voire empêchent l'humour ». Comparant « les meilleurs scores de Hollande en 2012 » dans les Dom-Tom et la Seine-Saint-Denis, ainsi que le très fort vote musulman en faveur des socialistes, avec le fait que « neuf des dix villes les plus abstentionnistes aux dernières municipales se trouvent dans le 9-3 », Tin observe : « Avec les minorités, la gauche peut gagner. Sans elles, elle est condamnée à l'échec. »
En portant à nouveau le fer, et en tentant de faire unité entre discriminés, les « coalisés » n'ont pour l'heure pas réfléchi à d'autres actions. « La rapidité de la réaction des associations montre l'ampleur du malaise », indique toutefois Sihame Assbague, pour qui cette première action est « un signal à ceux qui nous gouvernent : nous ne sommes pas aussi divisés que vous le pensez. » Elle se lamente du sens donné par Hollande à la nomination du premier ministre : « Ce pouvoir ne gouverne que par les sondages. La popularité de Valls était déjà le principal argument donné aux ministres qui soutenaient le récépissé de contrôle d'identité. Mais à Matignon, il semble avoir rallié à lui deux de nos plus importants soutiens, Montebourg et Hamon, qui désormais se taisent sur ce sujet… »
Pour autant, elle nourrit encore quelques espoirs sur le successeur de Valls à l'intérieur, Bernard Cazeneuve. « Il a l'air beaucoup plus ouvert, dit-elle. Déjà, il est d'accord pour nous recevoir, ce qui nous a été systématiquement refusé jusqu'ici. » Comme l'humour, l'espoir fait vivre…
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Pixlr