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Ecomouv: les anciens ministres prennent la fuite

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Ségolène Royal est attendue de pied ferme par les deux commissions d’enquête sur l’écotaxe, au Sénat mardi 29 avril et à l’Assemblée nationale, mercredi. À peine nommée, la ministre de l’écologie a jeté un certain trouble parmi les parlementaires, en évoquant de nouvelles pistes pour sortir du piège de l’écotaxe. Alors que les élus semblaient plutôt à la recherche d’aménagements ou de compromis pour remettre sur pied une écotaxe « acceptable par tous », Ségolène Royal semble pencher pour la rupture et l’enterrement de tout le système.

Affirmant vouloir en finir avec « l’écologie punitive », la ministre a avancé deux pistes de sortie : celle d’une obligation faite à tous les poids lourds étrangers d’emprunter les autoroutes, les sociétés d’autoroutes étant alors soumises à un prélèvement supplémentaire suppléant l’écotaxe ;  ou celle d’une vignette imposée aux frontières à tous les camions étrangers, pour emprunter les routes françaises.

Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre de l'écologieNathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre de l'écologie

« Faire payer les camions étrangers est bien sûr une bonne idée. Ils ne paient rien pour l’instant quand ils empruntent nos routes. Vous croyez que nous n’y avons pas pensé ? Mais il y a des règles européennes dont on ne peut pas s’abstraire. Ségolène Royal se rendra vite compte que c’est impossible. La meilleure solution, c’est l’écotaxe », a par avance répliqué Nathalie Kosciusko-Morizet, ancienne ministre de l’écologie, lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat, le 16 avril.

Avant elle, les deux anciens secrétaires d’État aux transports, Dominique Bussereau et Thierry Mariani, avaient à peu près tenu le même langage. Si c’était à refaire, ils le referaient. Pour eux, il importe maintenant d’en finir avec toute cette agitation, de remettre très vite en route l’écotaxe et de respecter le contrat de partenariat public-privé avec le consortium Ecomouv. C’est la meilleure solution, ont-ils insisté. « Il en va de la continuité de l’État », a martelé Dominique Bussereau.

En matière de continuité de l’État cependant, l’audition des trois anciens ministres a laissé transparaître d’étranges blancs. S’ils se sont montrés très diserts sur la philosophie de l’écotaxe et ses bienfaits, particulièrement sur les recettes apportées à l’État pour l’entretien et la rénovation du réseau routier, ils ont été en revanche beaucoup plus flous sur les circonstances qui les ont amenés à choisir un contrat de partenariat public-privé, ou sur le déroulé des opérations. L’écotaxe oui, Ecomouv, connais pas ou si peu.

L’impression générale est qu’aucun d’entre eux ne veut assumer la responsabilité de ce contrat. Tout semble s’être passé loin d’eux, sans eux. « Je n’étais là qu’au moment du Grenelle de l’environnement, quand le principe de l’écotaxe s’est décidé. Quand je suis revenue au ministère de l’environnement, tout était arrêté », s’excusa Nathalie Kosciusko-Morizet. « Je n’étais là qu’au début, au moment où nous avons lancé le projet de partenariat public-privé », rajouta Dominique Bussereau. « J’ai pris le projet quand l’essentiel avait été défini », expliqua de son côté Thierry Mariani.

La discontinuité de leur mandat peut expliquer qu’aucun d’entre eux n’ait une vue complète du dossier, les uns poursuivant ce que les autres avaient décidé. Leur absence de curiosité sur ce projet est cependant gênante. À les entendre, ils n’ont vu cela que de très loin, supervisant au niveau politique ce que d’autres avaient arbitré au niveau technique.

Le contrat Ecomouv est pourtant un des plus importants signés par l’État : 3,2 milliards d’euros sur onze ans. Il marque aussi une rupture avec les principes républicains. Pour la première fois, la collecte d’un impôt est réalisée par une société privée. Et personne n’aurait arbitré ce choix au niveau politique ?

Virginie Klès, rapporteuse de la commission sénatoriale sur Ecomouv, posa avec constance la même question à tous les anciens membres du gouvernement : « Pourquoi avoir lié dans un même contrat de partenariat la réalisation technique du dispositif de l’écotaxe et le prélèvement de la taxe ? Qui a décidé ? » À chaque fois, elle a obtenu des réponses stéréotypées. « Le partenariat public-privé n’était pas du tout un parti pris libéral. C’était un dispositif trop compliqué pour l’administration. Le PPP allait de soi. Cela n’a prêté à aucune discussion », expliqua Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux transports au moment du lancement du projet. « L’administration ne savait pas faire et ne voulait pas le faire. Les douanes nous l’ont dit », ajouta Nathalie Kosciusko-Morizet. « Il aurait fallu embaucher des fonctionnaires pour le mettre en œuvre », renchérit Thierry Mariani.  

Ces explications rapides, censées répondre à toutes les objections, ne servent peut-être qu’à cacher des faits plus difficiles à avouer : ils n’ont peut-être été que les porte-parole politiques d’un projet décidé et arbitré ailleurs.

Lors de leurs auditions devant la commission, plusieurs hauts fonctionnaires ont raconté le processus. Dès 2006, alors que les autoroutes viennent d’être privatisées, ils se demandent comment compenser cette perte et trouver les recettes que leur apportaient les concessions autoroutières pour entretenir le réseau routier. Le principe d’une taxe sur les poids lourds – « qui pourrait être élargie par la suite », a reconnu Dominique Bussereau – s’est vite imposé. La préoccupation de favoriser d’autres modes de transport, d’avoir une approche écologique, entre peu dans leurs considérations. Il s’agit d’abord de s’assurer une recette pérenne pour les routes. 

C’est si vrai qu’alors même que le Grenelle de l’environnement est à peine formé, une commission interministérielle, dite mission des tarifications et réunissant cinq membres des douanes et du ministère de l’écologie, est formée dès l’été 2007. Sans attendre, elle prend les choses en main. Dès l’automne 2007, la question est posée au conseil d’État de savoir si le prélèvement d’un impôt peut être confié à un partenaire privé. Le conseil d’État répond par l’affirmative, en précisant quelques précautions à prendre en décembre 2007.

Ainsi, avant même que le Grenelle de l’environnement soit achevé, que les textes aient été votés, le dispositif d’une taxe poids lourds, repeinte en vert, est déjà bouclé, PPP et prélèvement par l’impôt compris. Qui a décidé ? La haute administration seule ? Ou Jean-Louis Borloo, ministre de l’environnement à l’époque, qui reste le grand absent de l’histoire ? En dépit de son rôle, son nom n’est jamais évoqué lors des auditions. Étrange silence.

Par la suite, plusieurs fonctionnaires des douanes ont proposé, selon nos informations, des projets pour mettre en place l’écotaxe. Ils ont suggéré notamment la mise en place d’une vignette. Ils ont plaidé pour que le prélèvement de la taxe reste de leur compétence. Aucune de leurs suggestions n’a été retenue. Le système de l’écotaxe a été mis en place tel qu’il avait été imaginé dans le secret des cabinets.

Que les ministres assument ce qui a décidé par d’autres, soit. Mais comment expliquer le suivi très distant de l’avancée d’un projet aussi important ? Thierry Mariani, ministre des transports de novembre 2010 à mai 2012, dit avoir surveillé tout cela de très loin. « Tout était déjà acté. Je n’allais pas remettre la procédure en cause. L’important était d’aller au plus vite pour mettre le dispositif en place », expliqua-t-il.

Un portique écotaxe.Un portique écotaxe. © Reuters

Face à des sénateurs assez médusés, il nia toute implication directe dans ce dossier. Avait-il eu des contacts avec les douanes sur ce dossier ? « Je n’ai eu aucun contact. » Participait-il à des réunions interministérielles ? « Je n’ai participé à aucune réunion. Je peux me tromper, mais ce sont les services qui sont compétents. » Était-il informé du dossier ? « Pas vraiment. » S'est-il rendu à des arbitrages ? « Je n’ai pas le souvenir d’y avoir participé ? » A-t-il regardé le dossier des candidatures ? « Il y a une commission consultative qui était chargée de classer les offres. Je ne vois pas en quoi j’aurais remis en cause leur sélection. Je n’ai pas la compétence technique pour cela. »

Ces réponses laconiques, inhabituelles chez cet homme politique, éveillèrent le doute. Pourquoi prendre une telle distance avec ce dossier ? Par quoi était-il gêné ? Car ses explications sont incompréhensibles : comment un ministre peut-il ne pas suivre le projet le plus important de son ministère ? Même politiquement, cette ignorance semble impossible : à l’époque, tous les parlementaires, impatients de récolter la manne de l’écotaxe, ne cessaient de venir aux nouvelles pour savoir quand elle serait enfin instaurée.

À entendre Thierry Mariani, le choix de l’écotaxe s’est donc négocié sans contrôle politique, grâce à la seule dynamique des rouages administratifs. Une commission consultative a été chargée de sélectionner entre les différents candidats au projet, selon les critères retenus par la direction générale des infrastructures, des transports et des routes et les douanes. Une commission qui, le rappela son président, Roland Peylet, conseiller d’État, lors d’une précédente audition, « n’est chargée que de donner un avis ». Mais aujourd’hui, chacun s’abrite derrière elle pour justifier le choix d’un partenariat public-privé et de la société Ecomouv.

Est-ce le secret commercial invoqué par la société Ecomouv qui empêche toute question précise sur le contrat, en dehors du huis clos ? Curieusement, aucune question ne fut posée à Nathalie Kosciusko-Morizet sur les termes du contrat Ecomouv qu’elle a signé en octobre 2011. Pourtant, les interrogations ne manquent pas. 

Au fil des interventions, les principales clauses du contrat ont en effet fini par être mises en lumière. Dans ce contrat, tout est calculé sur la base d’un taux de rémunération de 15 % pour les partenaires privés. La société Ecomouv doit percevoir un loyer de 18 millions d’euros, dès la mise à disposition du système, que l’écotaxe soit perçue ou non. Son loyer est fixe et garanti. Elle n’a aucune pénalité en cas de mauvaise perception de la taxe ou de défaillance du système.

Les actionnaires qui ne mettent que 25 millions de capitaux, mais apportent 99 millions sous forme de prêts à la société, exigent une rémunération minimale de 15 % sur l’ensemble de l’argent qu’ils apportent, et pour toute la période. C’est ce taux de rendement du capital qui sert à calculer une éventuelle indemnisation en cas de rupture du contrat, outre le rachat des installations. Estimé lors du lancement du projet à 235 millions, le coût final du dispositif est de 650 millions. Plus la rupture se fait tôt, plus l’indemnité coûte cher, car il y a une majoration de 0,2 % du taux par année perdue. Si le contrat était arrêté aujourd’hui, l’indemnité se calculerait donc sur un taux de 17 % ! Pour mémoire, le taux de l’usure pour les crédits aux entreprises sur des durées supérieures à deux ans était fixé à 6 % au troisième trimestre 2011, au moment de la signature du contrat.

À l’inverse, les pénalités de retard sont calculées sur la base journalière de 266 000 euros, plafonnées à un montant total de 47,9 millions d’euros, quelle que soit la durée du retard. L’État est vraiment bon prince. Dans ses prévisions, l’écotaxe devait lui rapporter 80 millions d’euros par mois. Le dispositif a déjà plus de dix mois de retard.

La mission d’appui des partenariats publics-privés (MAPPP), pourtant peu hostile au principe, s’est émue des termes de ce contrat, émettant de sérieuses réserves. Cette intervention exceptionnelle traduit un certain malaise. Auditionné au début de l’année par la commission d’enquête, son directeur François Bergère s’en est longuement expliqué. Même avec l’art de l’ellipse et des sous-entendus chers à la haute administration, il a fait preuve d’une rare franchise et a dénoncé de graves dysfonctionnements.

« Quand la Mappp a été saisie sur le projet de contrat définitif, nous avions un délai de 48 heures pour l’approuver, ce qui est un peu exceptionnel », a raconté François Bergère devant la commission sénatoriale. Ses propos par la suite ne pouvaient pas être plus explicites : « La mission a recommandé, si les délais le permettaient encore, de préciser ou d’ajuster certaines formulations pour éviter des incertitudes génératrices d’ambiguïté ou rétablir ce qui pouvait parfois apparaître comme un déséquilibre au détriment de la partie publique. »

Parmi les déséquilibres, il y a notamment le taux de rendement. « Un taux de 15 %, c’est effectivement élevé. Ce sont des taux que l’on retrouve dans des montages de concessions, qui impliquent des risques de trafic, de volume. Mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans les PPP classiques, les taux sont entre 10 et 12 % », a-t-il expliqué aux sénateurs. La MAPPP s’est aussi interrogée sur la formule de calcul retenue pour l’indemnisation en cas de rupture du contrat. « Ce n’est pas une formule habituelle dans les contrats dont nous avons eu connaissance », releva-t-il.

Après une telle mise en garde administrative, insistant sur le déséquilibre de l’accord en défaveur de l’État, il aurait dû se passer quelque chose. D’autant que la MAPPP a les moyens de se faire entendre : elle dépend de la puissante direction du Trésor, dirigée alors par Ramon Fernandez. Cette direction sait faire obstacle quand cela ne lui plaît pas et sait rappeler à l’ordre un État toujours trop dispendieux à son goût. Mais cette fois-là, silence. Personne n'a tenu compte de l’avertissement. Le contrat n'a pas été modifié. On avait déjà perdu trop de temps dans cette affaire d’écotaxe, expliqua-t-on.

Le contrat fut signé en un temps record. Valérie Pécresse, alors ministre du budget, l'a même signé avant d’avoir l’avis de la MAPPP. Six jours après, le 20 octobre 2011, tout était bouclé. Qui avait intérêt à une telle précipitation ?

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