« Allo, BN terminé. Je répète : BN terminé. » Il est 19 h 30, ce lundi soir, au pied du grand escalier du siège socialiste de la rue de Solférino. Le grand rideau noir, annihilant tout espoir de plumitif d’entrapercevoir la salle du bureau national, pourtant de l’autre côté de la cour intérieure, peut enfin s'ouvrir. Les quatre vigiles du service d’ordre peuvent prévenir, par talkie-walkie, le collègue qui surveille l’étage, et les deux postés à l’extérieur. Le point presse démarre, les journalistes y sont tous invités, jusqu’à ce que la porte se referme sur eux. Le champ est libre, les hiérarques peuvent sortir. Le « plan Valls » de 50 milliards de réduction des dépenses publiques a été approuvé par la direction du parti socialiste.
À l’intérieur de la salle de presse, les porte-parole du PS, Corinne Narassiguin, Olivier Faure et Carlos Da Silva, résument les deux heures de réunion en citant la déclaration à l'instant adoptée par le bureau national. Et évacuent rapidement le résultat du vote (31 voix pour, 15 contre, une abstention), un équilibre « deux tiers/un tiers », il est vrai conforme aux équilibres du dernier congrès, et à la récente désignation de Jean-Christophe Cambadélis. Au passage, aucune information supplémentaire n’a pour l’heure été communiquée quant au détail du vote militant qui validerait cette évolution de palais, pourtant promis par le successeur de Harlem Désir. Mais là n’est pas le sujet principal du soir. À la veille du vote des parlementaires, il s’agit de faire passer, même en novlangue solférinienne, le message d’un « BN conclusif » ouvrant la voie « au temps de la cohésion, après celui du débat serein ».
À en croire Olivier Faure, les divisions ne sont pas aussi grandes que ce que l’on pourrait penser en lisant les tribunes de ces derniers jours, s’opposant ou soutenant l’austérité made in France proposée par le gouvernement. « Nous avions trois solutions, dit-il : soit ne rien faire, au risque de se mettre dans la main des marchés ; soit augmenter la fiscalité, alors que les Français nous ont demandé d’arrêter aux municipales ; soit baisser les dépenses publiques. » Façon de dire : il n’y a pas d’alternative, enfin si, il y en a deux, mais en vrai il n’y en a pas. En tout cas, ça pourrait être bien pire : « Ce n’est pas le plan grec, italien ou portugais. Ce n’est pas non plus celui proposé par la droite », conclut-il.
Ce qui semble compter, c’est que Manuel Valls a entendu la pression parlementaire, promis juré, et qu’il l’a même écoutée. Au terme d’une mise en scène savamment orchestrée, et après avoir d'abord laissé entendre que le premier ministre ne bougerait pas, avant de rendre publique une lettre aux députés ce lundi en fin de matinée, Valls a fait quelques concessions. Et rapidement, les rebelles les plus modérés ont dit leur satisfaction. Ainsi, ils sont plusieurs à avoir annoncé leur intention de finalement voter pour le « pacte de stabilité 2014-2017 », comme les députés Matthias Fekl, Thomas Thévenoud ou Karine Berger. Cette dernière, à l’entrée du bureau national, explique : « Il y a une évolution substantielle sur 1,5 à 2 milliards d’euros. C’est un premier pas. On a eu raison de se mobiliser, et on restera attentif pour la suite. »
Au « BN », l’opposition au texte a de nouveau regroupé le courant « Un monde d’avance » (composé de proches de Benoît Hamon), celui de « Maintenant la gauche » (des proches de Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel) et la « motion 4 » (celle de feu Stéphane Hessel). Les proches de Martine Aubry sont restés en retrait, se sont abstenus, étaient absents ou n’ont pas pris part au vote. « Comme toujours, ils tergiversent entre raison et conviction », soupire un membre de l’aile gauche du parti. Plusieurs d’entre eux devraient pourtant faire vivre leur fronde de moins en moins feutrée à l’Assemblée, lors du vote de ce mardi.
Parmi les signataires de « l'appel des cent », initié avant le vote de confiance à Manuel Valls, ils pourraient être au bout du compte une quarantaine de députés socialistes à s’abstenir. Même si la fiabilité des pointages est rendue difficile par les fluctuations floues et les états d’âme de chacun. Bien que consultatif, ce vote a été peu à peu dramatisé, entre intimidations et « appels à la responsabilité », sur fond de scénarios catastrophistes façon dissolution. À la sortie de la conférence de presse, le porte-parole Carlos Da Silva, proche de Manuel Valls (il est son suppléant à l’Assemblée) et souvent éruptif par le passé, a du mal à dissimuler ses yeux revolver. Après s’être contenu devant les journalistes et avoir seulement souhaité que « l’immense majorité, voire la quasi-totalité » des députés rentrent dans le rang, il lâche, d’un sourire, en quittant les lieux : « Je me retiens… »
La coercition paraît ainsi passée de mode, et les représailles à l’encontre des récalcitrants, un temps annoncées, ont été remisées. Manuel Valls a passé l’obstacle, cette fois-ci, en cédant sur quelques sujets symboliques (les petites retraites et les bénéficiaires du RSA). « Il n’y a pas besoin d’en rajouter avec des sanctions. C’est contre-productif », dit un dirigeant du PS. « Vu le climat et les votes à venir, mieux vaut ne pas lancer la bombe atomique tout de suite. Si vous pouvez transmettre à Jean-Marie Le Guen… », s’agace un député favorable au « plan Valls », qui goûte moyennement, comme beaucoup d’autres, la gestion du dossier par le ministre des relations avec le parlement (« C’est quand même un mec qui, au bout de cinq minutes de discussion, peut menacer de vous péter la gueule… »).
Le premier ministre devrait aussi profiter de « l’abstention d’encouragement » des centristes de l’UDI, pour obtenir la majorité de l’hémicycle sur son plan d’économies. Nul besoin, donc, de mener la guerre aux « sécessionnistes » dénoncés dimanche par Jean-Christophe Cambadélis. Celui-ci a décidé de prendre les accents de Maurice Thorez pour intimer aux siens : « Il faut savoir terminer une fronde. » Ça ne rajeunit pas, mais ça a le mérite de bien poser l’ambiance interne…
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