Au détour d’une enquête sur des détournements de fonds par l’ex-directeur administratif de l’établissement scolaire privé Yavné dans le 13e arrondissement de Marseille, les enquêteurs de la division économique et financière de la PJ marseillaise sont tombés sur une curieuse subvention attribuée le 17 juin 2013 par la Ville. Cette subvention d’équipement de 250 000 euros, qui n’a pas encore été versée, doit financer la future construction d'un gymnase dans la cour de l’école de confession juive Yavné. L’établissement, sous contrat d’association avec l’État, accueille environ 600 élèves, allant de la primaire au lycée.
« Nous venons d’ouvrir une enquête préliminaire incidente pour comprendre selon quelles modalités et sous quel faux nez ce gymnase était financé, explique Jean-Luc Blachon, vice-procureur de Marseille. À l’évidence, son financement interroge. »
À l’origine, la PJ avait été saisie, à la suite d'une plainte du conseil d’administration de Yavné, d’une première enquête préliminaire, pour abus de confiance et recel d’abus de confiance. Le 24 mars 2014, les policiers de la division économique ont entendu en garde à vue l’ex-directeur administratif de l’école Yavné, licencié en juin 2013. L’ex-employé, aujourd’hui gravement malade, a selon le parquet reconnu avoir détourné des dizaines de milliers d’euros sur les frais d’inscription versés en espèces par les familles.
Charles Lévy, qui avait démissionné en 2013 du conseil d’administration de l’association Yavné, en désaccord avec la reconduction du commissaire aux comptes qui n’avait pas su déceler la fraude, a été entendu comme simple témoin. De même qu’Élie Benarroch, l’ancien directeur de l’école parti fin 2012, peu avant la découverte du détournement. L’occasion aussi de quelques règlements de comptes : « Le principal suspect semble avoir été instrumentalisé par certains qui auraient aimé faire tomber M. Benarroch pour lui succéder (à la tête du Fonds social juif unifié Provence Languedoc où il a été réélu le 9 mars 2014, ndlr) », explique une source proche du dossier. Selon le parquet, l’enquête serait aujourd’hui quasiment bouclée. Mais reste un os, cette fameuse subvention d’investissement de 250 000 euros.
Le code de l’éducation encadre strictement les subventions d’investissement aux établissements privés. Celles-ci sont interdites pour le premier degré et ne doivent pas excéder « le dixième des dépenses annuelles de l'établissement » dans le secondaire. Autre précaution, le Conseil académique de l'éducation nationale (CAEN) doit préalablement « donner son avis préalable sur l'opportunité de ces subventions ». Or, selon le rectorat, « cette subvention n'a pas été soumise au CAEN de juin 2013 ».
Des dispositions souvent ignorées, et ce généralement au profit de l’enseignement et des lieux de culte catholiques choyés par les élus français, notamment sur leur réserve parlementaire. « La première demande de subvention de Yavné était dupliquée sur ce qui se fait dans les écoles catholiques, se souvient Michelle Teboul, présidente du Crif et ex-présidente du CA de Yavné. Dans les années 1990, mon collègue président de l’école Lacordaire (un établissement catholique voisin, ndlr) avait eu un beau gymnase financé par les collectivités locales. Mais notre propre demande avait été rejetée. »
Pour contourner ces restrictions, la Ville de Marseille a choisi d’attribuer la subvention pour le gymnase dans le cadre du code du sport à une association nommée Provence sport culture (PSC). Une association créée ad hoc en juillet 2010, présidée par Charles Lévy, ex-membre du conseil d’administration de l’école Yavné, et dont le secrétaire est également membre du CA de Yavné. Son objet est flou – « développement de projets sportifs, culturels ou sociaux et création d’équipements favorisant la pratique sportive, les échanges ou manifestations dans le domaine de la culture ou des initiatives permettant de créer du lien social » –, l’association n’a pas d’adhérents et n’a jamais organisé d’assemblée générale. « Nous avons décidé d’engager le projet à la suite de deux ou trois agressions antisémites, dont une sérieuse avec un élève blessé par un coup de couteau à la cuisse », explique Charles Lévy. Il assure que l’association a d'autres projets, mais serait « encore en phase de gestation » car « l’élément déclencheur sera de monter le gymnase ».
Comment une association nouvellement créée, sans adhérents, ni activité, a-t-elle pu obtenir une telle subvention ? « Il y a une étroite liaison entre l’école et l’association mais rien d’illicite, indique Daniel Sperling, adjoint UMP à l’état civil de Jean-Claude Gaudin. On sait à qui l'on s’adresse, c’est la deuxième école juive du sud-est de la France. La première caution d’emprunt qu’a accordée M. Gaudin à son arrivée à la tête de la région Paca (en 1986, ndlr), c’était à l’école Yavné. »
L’élu reconnaît cependant que la mairie est passée par le code du sport « par rapport à la chambre régionale des comptes, pour ne pas tomber sous le coup de la loi Falloux ». Membre du conseil d’administration de l’école Yavné où sont scolarisés ses enfants, Daniel Sperling a pris soin de ne pas participer au vote de la subvention en juin 2013, afin de ne pas risquer d’être accusé de prise illégale d’intérêts. Mais selon un membre du conseil d’administration de l’école, très surpris de « voir la mairie capable de débloquer une somme pareille », l’élu UMP se serait à plusieurs reprises fait fort « devant les instances communautaires juives » d’obtenir cette subvention.
La somme est d’autant plus surprenante que la mairie centrale a laissé à l’abandon la plupart des équipements sportifs du fief socialiste des 13e et 14e arrondissements : piscines fermées du jour au lendemain, stades impraticables, gymnases vieillissants aux plafonds effondrés, vestiaires insalubres, etc. En 2012, la Ville n’a par exemple alloué que 563 000 euros de crédits sportifs pour les 155 000 habitants de ces deux arrondissements. Et pour l’ensemble des 285 000 habitants des quartiers nord, qui regroupent cinq arrondissements, il ne subsiste plus que quatre piscines selon Le Monde.
« Le problème est que tout le quartier a besoin d’un gymnase, reconnaît Michelle Teboul, dont le mari est membre du CA de l'école. L’argument qui a fait basculer la mairie, c’est que le gymnase de l'école serait ouvert à toutes les communautés en dehors des horaires scolaires, le soir et les week-ends. » « Des associations de quartier auront accès au gymnase », assure aussi Daniel Sperling. « C’est un engagement de notre part », confirme Charles Lévy, président de l’association PSC. Mais cet « engagement » n’est mentionné nulle part dans la convention signée avec la Ville. Il n’a donc aucune valeur juridique.
Quant à l’abandon des équipements publics de ces quartiers, l’élu UMP en rejette la responsabilité sur Garo Hovsepian, le maire PS de secteur depuis 1998, battu par le FN aux dernières municipales. « Il n’a pas défendu grand-chose et n’était pas écouté à cause de l’affaire Andrieux (députée PS condamnée en 2013 pour détournements de fonds publics et qui a fait appel, ndlr), argue Daniel Sperling. Regardez Samia Ghali dans les 15e et 16e arrondissements, elle a obtenu des financements. »
Pressenti comme tête de liste UMP dans les 13e et 14e arrondissements, Daniel Sperling a finalement dû céder sa place à Richard Miron, adjoint au sport de Gaudin et… commissaire rapporteur de la subvention attribuée à Provence sport culture en juin 2013. Les locaux de PSC se trouvent au 15 de la rue Alphonse-Daudet, siège d’une des agences immobilières de son président Charles Lévy, à une centaine de mètres de la permanence de campagne de Richard Miron.
Un membre du CA de Yavné voit donc dans le vote de la subvention à quelques mois des municipales « un effet de manche à visées purement électoralistes ». Bref, du « clientélisme, des échanges de services personnels », lâche un autre proche de l’école. L’élu UMP Richard Miron n’a pourtant eu de cesse durant toute la campagne de fustiger le « clientélisme » de « la pourriture et la racaille socialiste de Marseille et des 13e-14e ». Il les a même accusés d’avoir « fortement contribué à l'élection du Front national ».
Dans l’entre-deux tours des municipales, après avoir en vain rencontré Garo Hovsepian, le maire PS sortant, le conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) de la région avait publié un communiqué demandant au candidat socialiste, arrivé en troisième position au premier tour, de se retirer « au profit du candidat en capacité de battre la liste du FN ». Un communiqué appuyant de façon quasi explicite Richard Miron, qui avait choqué certains membres de la communauté juive marseillaise.
Le gymnase, budgété à 1,3 million d’euros, a cependant très peu de chances de sortir un jour de terre. L’argent de la Ville ne sera débloqué que sur facture, une fois les travaux commencés. « L’école attend encore une réponse de deux fondations », indique Daniel Sperling. Du côté de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le dossier de demande de subvention déposé par Yavné serait toujours « en cours d’instruction », selon le service de presse. D'autres sources nous indiquent qu'il aurait en fait été rejeté car « hors cadre d'intervention ».
L’établissement privé s’était également vu promettre, selon nos informations, une subvention de 500 000 euros du conseil général des Bouches-du-Rhône. Mais il s’est finalement heurté à une fin de non-recevoir de son président Jean-Noël Guérini, devenu très prudent depuis les remontrances de la Chambre régionale des comptes. « Le dossier a été refusé, l’association ne rentrait pas dans les critères éligibles », indique le département, sans plus de précisions. « La PJ est venue prendre des dossiers après le rapport de la CRC, et comme ça tangue, Guérini est beaucoup plus circonspect dans ses relations avec les responsables communautaires », confie un conseiller général.
En octobre 2013, la chambre régionale des comptes (CRC) avait épinglé le fonds spécial d’intervention (FSI) du département, qui permettait à Jean-Noël Guérini de financer à discrétion de nombreuses structures communautaires, dont certaines gérées par son conseiller officieux Clément Yana, ancien président du Crif. La chambre avait notamment buté sur le financement en 2009 par le département de la construction d’une salle de spectacles et d’un gymnase pour une école privée bilingue français-arménien Hamaskaïne (12e arrondissement).
Le conseil général avait versé 1,3 million d’euros de subvention à une association culturelle, un intermédiaire, alors que le véritable bénéficiaire de l’aide était l’école Hamaskaïne. Pour les magistrats financiers, ce « montage juridique et financier » avait « bien pour effet de contourner le cadre législatif relatif aux interventions des collectivités territoriales en faveur des établissements d’enseignement privé sous contrat ». Toute ressemblance avec le montage réalisé par la Ville de Marseille étant purement fortuite...
BOITE NOIREContactée à plusieurs reprises depuis trois semaines, Mireille Pallot, la directrice de l'école Yavné, ne nous a pas répondu. Contacté le 1er avril, Richard Miron ne nous a pour l'instant pas répondu. Le service de presse de la Ville de Marseille nous a indiqué qu'il serait injoignable jusqu'au début du mois de mai.
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